Chapitre 3.5

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D’immenses nuages cotonneux baignaient les graviers beiges de l’arrière-cour du palais d’un voile sombre. Une légère brise glissait sous les branches d’un chêne centenaire trônant en ultime roi sur la place. Et une pie s’envola pour atterrir à quelques mètres d’un curieux spectacle. Penchant la tête d’un côté, puis de l’autre, elle admira la lueur d’une lame dans la main d’une jeune demoiselle à l’allure bien masculine.

Kaldrys avait troquer ses somptueuses robes contre un pantalon et une tunique aux motifs dorés. Élégants, ils étaient aussi plus favorables à la mobilité. Elle examina attentivement la garde puis la poignée de son arme. Toutes deux étaient très simples car il s’agissait d’une épée d’entrainement. Celle des novices.

Joseph Mircal, maître d’arme et mentor du capitaine de la garde royale Roch Tellir, avait été choisi sous les conseils de ce dernier afin d’enseigner l’escrime à Sa Majesté. Âgé d’une soixantaine d’année, l’homme avait formé nombre de recrues et n’avait jamais espéré avoir un jour pour élève quelqu’un de la famille royale. Et encore moins une femme.

Tout d’abord, il expliqua comment tenir une lame : la main entourait fermement la poignée, ni trop haut ni trop bas. Ceci fait, le corps ne devait pas rester tendu ; on arquait légèrement les jambes, le dos restait droit et le bras non armé venait équilibrer celui qui portait l’épée.
Il laissa Sa Majesté s’y essayer et corrigeait sa posture lorsque Zorian arriva. Silencieux, celui-ci se plaça près des gardes royaux chargés de la protection de la reine et observa.

« Pensez-vous nous déstabiliser ? lui lança Kaldrys en faisant quelques gestes maladroits avec son arme.

  • Je viens seulement m’assurer que vous ne soyez pas blessée, Votre Majesté. »

Le maître d’arme dégaina son épée afin de montrer son maniement et que son élève puisse reproduire ses gestes. Immédiatement, la voix du conseiller se fit entendre :

« Il est interdit de tirer son arme contre Sa Majesté. Cela est considéré comme un acte de traitrise.

  • Nous le permettons, s’opposa la souveraine, sans quoi nous ne pourrions apprendre.
  • Votre Majesté ne peut aller contre la loi, lui rappela Zorian en s’approchant.
  • Si Père n’avait eu de maître d’arme tirant son épée contre lui, il aurait été un piètre soldat. Cette loi est ridicule.
  • Ridicule peut-être, cependant elle existe et j’entends la faire appliquer. »

Il se tourna vers le maître d’arme et le menaça d’une exécution si sa lame venait à être pointée de nouveau vers la souveraine. Celui-ci pivota à son tour vers Kaldrys, ne sachant quoi faire.

« Assez, veuillez nous laisser Zorian.

  • Je ne le puis, Votre Majesté. Pas temps que l’on vous menacera.
  • Cessez cela, gronda-t-il, vous ne pouvez nous interdire de manier l’épée.
  • Qu’arriverait-il si vous vous blessiez ? Y avez-vous seulement songé ?
  • Nous ne sommes pas une enfant. Aussi ne vous avisez pas de nous traiter comme telle. Vous avez été le conseiller de notre père, et de son père avant lui. Il serait dommage que nous devions mettre fin à vos services.
  • Vous le pourriez, il est vrai, mais le conseil me nommerait de nouveau. Ce ne serait qu’une question de jours. Et vous savez que je fais cela dans votre intérêt.
  • Vous ne voyez donc aucun avantage à ce que nous puissions nous défendre seule ? Curieux, nous aurions pensé que cela vous rassurerait. Et vous n’êtes pas sans savoir que nous pourrions décider de changer de conseil.
  • Cela prendrait du temps d’en concevoir un nouveau, lui indiqua le conseiller.
  • Parfait, cela nous laissera le temps d’apprendre les bases du maniement de l’épée » fit-il en relevant le menton.

Zorian savait qu’une telle décision pourrait désorganiser le royaume pour quelques temps. Rien d’insurmontable, mais il avait quelques projets qui auraient pu pâtir d’un retard. Son regard se plongea dans celui assuré de Sa Majesté. Sa bouche se tordit sur un côté tandis qu’il réfléchissait – une moue qu’il réservait habituellement à des sujets bien plus graves – puis s’avoua vaincu et consentit à laisser la leçon se dérouler.

« Prenez bien garde à ne pas vous blesser. Une cicatrice serait disgracieuse sur votre personne.

  • Ce joli minois restera intact, lui promit le souverain. Nous ne voudrions pas que nos prétendants se sentent lésés. Bien que le royaume serait en ce cas un réconfort tout trouvé, n’est-ce pas ?
  • Votre Majesté est d’humeur taquine, à ce que je vois » répondit le vieil homme sans parvenir à retenir un sourire amusé.

Il le lui rendit puis regarda le conseiller reprendre sa place initiale. Il pria ensuite Joseph Mircal de reprendre sa leçon et se remit en position.

Zorian le regarda se mouvoir comme il avait un jour regarder son ami, le roi Drasyl, encore prince à cette époque lointaine. Ce dernier avait commencé son apprentissage de l’épée à l’âge de huit ans. La maladresse des premières heures avait laissé place à un soldat terriblement habile sur le champ de bataille au fil des ans. Fort heureusement, sa petite Khiara n’aurait jamais à se battre, à ôter une vie ou sacrifier la sienne pour le royaume. Ce qu’elle pouvait ressembler à son père ainsi vêtue ! Finalement peut-être cherchait-elle par ce biais à se rapprocher de lui. Il l’avait vu changer du jour au lendemain après sa mort ; la jeune femme espiègle et rieuse avait laissé place à une souveraine écrasée par ses responsabilités, devant mettre de côté ses sentiments afin de gérer le royaume. Avait-elle seulement eu le temps de pleurer son père ?

Zorian ne rêvait que de lui rendre sa liberté afin de retrouver cette douce Khiara.

                        *

Sélène frottait depuis un moment, pestant contre cette tâche rougeâtre incrustée dans le sol de la chambre royale.

« Ce n’est que du vin, se répétait-elle pour conjurer la réalité, un vin rouge que Sa Majesté a renversé par mégarde. Du vin ! »

Pourquoi était-ce à elle de se charger de cette tâche ? Nul n’aurait pu douter que la mesquinerie faisait déjà son œuvre : étant la première femme de chambre, elle devait passer derrière la reine pour nettoyer. Comme si elles n’attendaient pas toutes une occasion de se faire remarquer, pesta-t-elle intérieurement, en voilà une, mais elles se sont toutes défilées.

Elle avait déjà changé l’eau du sceau deux fois et celle-ci était toujours aussi rouge. La brosse et ses mains avaient également pâtis de l’exercice. Elle dut se concentrer pour ne pas penser qu’il s’agissait d’une partie d’Annabelle. Il y avait aussi le sang de Sa Majesté. Du sang. Elle revit derrière ses paupières l’image du corps inerte de l’ancienne femme de chambre ; ses yeux livides, son expression figée par la peur et une couleur prédominante teintant sa poitrine.

Elle se leva, jeta la brosse dans le sceau et fit un aller-retour supplémentaire. Sur le trajet, deux valets portant des affaires de femme passèrent à côté d’elle. Et lorsqu’elle entra dans la cuisine pour vider son sceau, Mme Crépel l’interpella :

« Chère enfant, dès que vous aurez terminé, allez vous installer dans votre nouvelle chambre. Mais ne prenez pas trop de temps, Sa Majesté ne devrait pas tarder. »

Sélène acquiesça d’un signe de tête ; depuis que la reine l’avait nommée première femme de chambre, l’intendante s’était adoucie. Elle pensait comprendre ce changement : comme elle s’était si bien occupée d’elle après le drame, la vieille femme se sentait redevable. Sélène admirait sa loyauté et son attachement pour sa souveraine. Elle aurait aimé lui dire l’avoir fait parce que c’était la chose à faire, mais… elle appréciait ce renouveau. Si les autres femmes de chambre la détestaient un peu plus, Mme Crépel avait changé d’avis à son sujet.

L’eau de nouveau propre, elle remonta dans la chambre royale et attaqua de nouveau la tâche disgracieuse à coup de brosse. Disparais, bon sang ! Si seulement ses mots avaient possédé un quelconque pouvoir magique… Hélas, il lui fallut encore un long moment avant qu’elle ne disparût complètement.

Cela fait, il lui restait à changer les draps du lit et s’assurer une dernière fois que rien ne pouvant rappeler à Sa Majesté la terrible attaque, n’avait persister.

Ensuite, elle devrait attendre le retour de Kaldrys pour l’aider à se changer avant le dîner. Le bain suivrait, puis le coucher. Et durant la nuit, Sélène devrait se relever pour apporter son repas à Khiara.

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