Chapitre 3.6

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Devant la porte de sa chambre, le souverain s’était stoppé, incapable d’actionner la poignée. Il craignit d’y revoir Annabelle, bien que Sélène lui eut assuré avoir remis la pièce dans son état habituel.

« Voulez-vous que j’entre en premier ? Cela sera peut-être plus aisé pour vous » fit doucement la voix de cette dernière.

Elle n’eut pour seule réponse qu’un léger signe de tête. Elle se glissa devant lui et entra. Kaldrys resta dans l’encadrement de la porte, incapable de la franchir comme si une barrière invisible le forçait à rester en dehors. Son regard se fixa là où elle gisait ; il n’y avait plus rien. Il aurait presque pu douter de ce qu’il s’était passé si son corps n’avait pas été si tendu.

« Venez, fit Sélène en lui tendant une main, il ne vous arrivera rien. Je vous le promets. »

Il y glissa la sienne et la laissa le tirer à l’intérieur. Ses poumons réclamèrent soudain plus d’air et il inspira profondément, bloqua sa respiration puis relâcha et recommença l’exercice. Son corps se souvenait très bien de ce qu’il avait vécu la dernière fois qu’il avait été dans cette pièce. Le traumatisme était intact et aucun nettoyage n’aurait pu l’effacer.

« Crois-tu qu’elle reviendra nous hanter ? » demanda-t-il très sérieusement.

Sélène ne croyait ni aux fantômes ni aux esprits mais elle le rassura :

« Si ce devait être le cas, je connais quelques astuces pour la faire fuir. »

Un sourire chaleureux étira ses lèvres dans l’espoir que cela l’apaiserait.

« Nous sommes curieux de les connaitre.

  • Le sel, par exemple, fait fuir ou emprisonne les fantômes. Tout comme le fer peut les faire disparaître si on les touche avec.
  • L’as-tu déjà expérimenté ? la questionna-t-il, sceptique.
  • Non. Mais ce serait l’occasion ! » s’enthousiasma-t-elle.

Kaldrys esquissa un sourire face à la candeur de la jeune femme. La tension dans son corps retomba d’un cran. Cependant ses prunelles azures ne quittèrent pas la demoiselle, même lorsqu’il lâcha sa main.
Son esprit ne pouvait s’empêcher de douter d’elle. Allait-elle un jour le trahir ? Révéler qui il était ? Ce qu’il avait fait à sa sœur ? Devrait-il l’éliminer elle aussi ? Non, Sélène n’est pas comme elle. Et si… s’il se trompait ? Non. Ne doutons pas d’elle. Quand allait-elle lui demander de l’argent contre son silence ? Bientôt ? Demain ? Aujourd’hui ? L’intimité de ce moment y était propice, pourquoi n’essayait-elle pas de le faire chanter ? Elle en avait les moyens ! Non, elle ne voulait pas d’argent. Elle voulait plus que tout que ses parents restent en vie. N’aurait-il pas été plus simple alors de le trahir ? Elle nous apprécie. Ou elle fait semblant. Non, comment pourrait-elle nous apprécier alors qu’elle sait tant de choses à notre sujet ?

« Allez-vous bien, Votre Majesté ? Vous êtes très pâle, remarqua-t-elle en voyant son teint plus blanc qu’à l’habitude. Peut-être était-ce trop tôt pour revenir ici ? »

Elle s’autorisa à poser sa main sur son front pour vérifier sa température. Un geste ambitieux qui gêna Kaldrys, mais il n’en dit rien.

« Peut-être avez-vous pris froid dehors ? Vous ne semblez pas avoir de fièvre. Votre bain est prêt, mais je peux aller vous chercher du thé ?

  • Non, ce n’est rien. C’est seulement… cette pièce, expliqua-t-il, elle a un mauvais effet sur nous.
  • Annabelle ne reviendra pas, promit-elle en accompagnant ses mots d’un geste amical, et je ne laisserai personne vous faire du tort. Surtout pas un fantôme. »

Le cœur de Sa Majesté se fendit devant tant de bienveillance et l’aménité de son caractère. Comment pouvait-il se défier d’elle ? Elle connaissait déjà la majorité de ses secrets et avait de quoi le faire tomber. Pourtant, il était toujours sur le trône, sa sœur enfermée et la tête attachée à son corps. Et bien qu’il l’eût menacée, elle se souciait de lui. Quelle horrible personne il pouvait être…
Son esprit n’avait de cesse de répéter qu’il fallait se méfier d’elle. Son cœur accéléra lorsqu’il songea vouloir lui accorder une confiance aveugle. Quelle naïveté ! crièrent ses pensées. Peut-être avait-il tort, mais il choisit de ne pas les écouter cette fois-ci.

« Nous te… Je te remercie, Sélène. »

Les joues de celle-ci s’empourprèrent tandis qu’elle sourit. C’était la première fois qu’il faisait preuve d’autant de douceur depuis leur rencontre. Il fallait admettre que la situation l’avait rendu vulnérable. Toutefois, au lieu de se retrancher dans le silence ou l’agressivité, il avait choisi de laisser apparaitre par une faille, une autre facette de sa personnalité.

Son regard se retrouva attiré, comme toujours, vers le balcon. Ce maudit balcon couvert de fleurs qui ne lui étaient pas destiné et dont l’odeur parfumait toute la pièce.

« Votre Majesté, puis-je vous demander… pourquoi vous semblez toujours si affligé lorsque vous regardez vers le balcon ? » s’inquiéta Sélène.

Un soupir s’échappa d’entre les lèvres du jeune homme et ses yeux fixèrent le sol. Puis il regarda sa servante avec l’envie de se confier ; son rythme cardiaque accéléra de nouveau. Son corps tout entier lui sommait de ne pas céder davantage de terrain à la fragilité. Mais là non plus, il ne s’autorisa à lui obéir.

« Te rappelles-tu de ce que nous t’avons dit à son sujet ? Il s’agit d’un cadeau du roi Drasyl à sa fille. A Khiara. Toutes les fleurs de ce balcon sont rares, elles ne poussent pas dans notre royaume. Il les a ramenées lors de ses voyages, une à une, année après année. Toutes ces fleurs viennent des royaumes voisins, avec qui il a tenu à faire la paix. Ce balcon, c’est l’avenir qu’il a offert à notre sœur. Y a-t-il plus sublime offrande à faire à son enfant ? »

Sélène se figea, comprenant la douleur de Kaldrys. En voyant les larmes infiltraient les prunelles de celui-ci, elle regretta de lui avoir poser la question.

« Que m’a-t-il offert à moi ? L’oubli. Le néant. Le devoir de n’être rien. Il n’a jamais eu quelque affection pour moi. Il ne pouvait me tuer sans se condamner aux tourments pour le reste de sa vie, mais j’aurais préféré qu’il le fasse.

  • Ne dîtes pas cela, Majesté. Vous n’avez pas mérité le sort qu’il vous a réservé. Personne ne mérite un tel traitement.
  • Et voilà que je l’inflige à ma sœur, se lamenta-t-il.
  • Si vous me permettez, ce n’est pas exactement le même, Votre Majesté. »

Elle évita son regard et comprit que le sujet était trop douloureux pour être abordé maintenant. Kaldrys n’était pas prêt à parler de la maltraitance que son père lui avait infligée.

« Votre père est mort. Il ne tient qu’à vous de libérer votre sœur, fit-elle en se dirigeant vers la salle de bain. Et vous ne comptez pas la laisser là-bas, vous l’avez dit vous-même. Voilà une énorme différence avec votre père.

  • Je ne peux pas.
  • Qu’est-ce qui vous en empêche ? »

Sa question resta sans réponse ; Kaldrys contemplait de nouveau le balcon. Sélène repensa alors à sa conversation avec Khiara : il avait sans douter tuer son père, c’est pourquoi il ne voulait révéler son identité. Il ignorait si sa jumelle mentirait pour lui ou si elle le condamnerait.

« Vous devriez parler avec votre sœur, lui conseilla la jeune femme en trempant un doigt dans l’eau du bain pour vérifier sa température.

  • Sélène ? »

Elle repassa la tête dans la chambre et vit avec surprise le sourire amusé de Sa Majesté.

« Verrouille la porte. »

Son visage prit une teinte coquelicot tandis qu’elle se précipitait sur la clef. Comment avait-elle pu oublier une chose si importante ? Et pourquoi cela semblait-il amuser Kaldrys ?

C’était un oubli qu’Annabelle n’aurait jamais commis car elle n’avait pas ni l’empathie ni la bienveillance de Sélène pour la distraire. Jamais il n’aurait pu avoir une telle conversation avec elle, comme jamais il n’aurait imaginé l’avoir pour confidente. Encore moins pour amie.

Et Kaldrys osa.

Il osa espérer pour la première fois de sa vie pouvoir offrir son amitié à quelqu’un. Pouvoir accorder sa confiance sans craindre d’être trahi. Parler de choses personnelles sans être jugé.

Être lui-même.

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