Chapitre 3.7

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Sélène finit de coudre une petite pochette sur laquelle elle avait travaillé depuis son réveil. En tant que fille de tailleur, elle savait manier aiguilles et ciseaux pour donner au tissu la forme souhaitée. Pour son ouvrage, elle avait opté pour un tissu bleu marine pris sur une robe laissée dans sa nouvelle chambre. Sans doute appartenait-elle à Annabelle et avait-elle été oubliée.

Une fois fini, elle garnit la pochette avec quelques grains de sel et une pièce de monnaie en fer. Ceci fait, elle rangea son présent dans la poche de sa robe et partie en direction de la chambre royale.

Sa Majesté était déjà réveillée lorsqu’elle entra. Le regard fatigué, les traits tirés, elle devina aisément qu’il avait passé une mauvaise nuit. Il allait falloir quelques jours avant qu’il ne puisse se réapproprier pleinement sa chambre – sans craindre d’y voir apparaitre de fantôme.

Sélène l’aida à se vêtir, brossa ses cheveux, le coiffa puis elle attendit toute guillerette.

« Si tu souhaites demander quelque chose, fais-le » soupira Kaldrys dont la tête héberger un pic vert martelant douloureusement son crâne.

Elle lui tendit son cadeau, un large sourire sur les lèvres. Allait-il l’apprécier ? Elle n’en douta pas une seconde.

« Qu’est-ce ? demanda-t-il en examinant la pochette.

  • Une protection contre les fantômes.
  • Et, cela fonctionne ?
  • Seulement si vous y croyez, Majesté. J’ai mis du sel et du fer à l’intérieur, ainsi que des cheveux de vierge, paraît-il que cela les repousse également. »

Kaldrys lui jeta un regard mi-interrogatif mi-ahuri qui la fit rire aux éclats.

« Je plaisante Majesté, seulement du sel et du fer. Gardez-la sur vous, cela vous protégera, lui assura-t-elle en reprenant son sérieux.

  • Bien, fit-il simplement en glissant le tissu sous son corset, près de son cœur. Eh bien quoi ? Les femmes ne font pas ainsi ?
  • Pas les grandes dames de la cour » se moqua Sélène.

Il se pencha vers elle et tandis qu’ils échangeaient un regard complice, chuchota :

« Je ne suis pas une dame. »

Puis il la remercia sincèrement pour son présent. Les mots n’auraient pu suffire à transmettre la joie que cela lui procurait. Une douce chaleur dont il se délecta secrètement avait envahi son corps.

                      *

Seuls dans le salon, Kaldrys relisait la lettre de Sélène à ses parents. La jeune femme était à l’affut du moindre signe encourageant, espérant tout de même l’impressionner. Mais lorsqu’il releva les yeux vers elle, le visage déconfit, elle comprit que son niveau était loin d’être excellent.

« Nous allons tout reprendre, lâcha-t-il en lui faisant signe de s’asseoir dans l’un des fauteuils tandis qu’il déposait devant elle papier, encre et plume. Pour commencer, tu appuies trop lorsque tu écris, ce qui explique les tâches d’encre et les lettres épaisses. Tu dois caresser le papier avec ta plume, pas le traverser. Essaye ! »

Sélène s’exécuta, faisant glisser la pointe de son outil sur le papier. A sa grande surprise, l’encre semblait ne pas vouloir s’y déposer. Elle regarda Kaldrys sans comprendre ce qui n’allait pas – elle caressait effectivement la feuille avec sa plume, comme il l’avait dit – et celui-ci étouffa un rire puis pointa l’encrier du doigt :

« Cela fonctionnera bien mieux si tu trempes d’abord ta plume là-dedans. »

Les joues de Sélène devinrent rouges, elle ne parvenait pas à croire à quel point elle avait dû lui paraitre stupide. Au moins, cela l'avait fait rire... Elle plongea la pointe dans l’encre, l’essuya délicatement sur le rebord et commença à écrire.

« Cher Père, Chère Mère,

C’est moi, votre petite Sélène »

Cela sembla amusé Kaldrys, alors elle le regarda en fronçant les sourcils.

« Qui a-t-il Votre Majesté ? Qu’ai-je fait qui vous fasse sourire ainsi ?

  • Rien. Nous trouvons seulement cette formulation très tendre.
  • Et… c’est mal ?
  • Nullement. »

« Je vous écrit du palais pour vous dire que je vais bien et que je suis bien trété. »

« Pourquoi un « t » à écris ? l’interrogea le jeune homme.

  • On dit écriture, non ?
  • Et.. « trété » ? Pourquoi maltraites-tu ce mot ?
  • Comment cela ?
  • T-R-A-I-T-É-E, épela-t-il.
  • Vous êtes sûr ? Cela ressemble beaucoup à « traître » avec cette orthographe. »

Kaldrys tenta de garder son sérieux, mais Sélène pouvait lire dans son regard tout l’amusement qu’il tirait de la situation.

« Votre Majesté, si vous vouliez vous moquer de moi…

  • Pas du tout ! l’interrompit-il avec un soudain embarras, pardonne-nous, nous ne voulions pas t’offenser. Nous allons te corriger, ainsi tu n’auras pas à la réécrire une troisième fois. Réécris le début ! »

Sélène saisit une autre feuille et s’appliqua à réécrire les premières lignes en suivant les indications de Kaldrys. Il lui expliqua les terminaisons et l’orthographe et ce, tout le temps que dura la rédaction de sa lettre. Et tous deux furent ravis du résultat final :

« Cher Père, Cher Mère,

C’est moi, votre petit Sélène.

Je vous écris du palais pour vous dire que je vais bien et que je suis bien traitée. Sa Majesté a eu la bonté de me laisser écrire cette lettre. Je m’habitue peu à peu à mon nouveau rôle. J’essaye de faire de mon mieux, comme vous me l’avez appris.

Vous me manquez et j’espère vous revoir bientôt. En attendant, j’espère que ces quelques lignes vous réchaufferont le cœur. Je vous écrierai de nouveau dès que je le pourrais !

Je vous aime, prenez soin de vous.

Votre Sélène »

« Voilà qui est concis et sans trop de détails, parfait ! commenta Kaldrys. Tu peux nous la confier, nous la ferons envoyer.

  • Elle va vraiment parvenir à mes parents ? douta-t-elle.
  • Tu as notre parole ! En ce qui concerne une éventuelle réponse… il est hors-de-question que ton père t’écrive.
  • Je comprends, vous ne voulez pas qu'il puisse penser continuer avoir un lien avec moi. Cela fait partie de sa… punition. »

Elle baissa tristement la tête mais ne se laissa pas longtemps abattre : ses parents allaient avoir de ses nouvelles et elle était certaine que cela leur ferait du bien. C’était à ses yeux, le plus important.

Le visage de Kaldrys resta impassible, pourtant lorsqu’il la vit passer d’une émotion à l’autre, il ne resta pas indifférent. Il ne comprenait que trop bien sa peine, regrettant qu’elle ne puisse voir la sienne. Ses yeux se posèrent brièvement sur le portrait de ses parents, n’osant y rester très longtemps par peur de céder à une émotion trop vive.

« Merci, Votre Majesté, fit Sélène en se levant, je vous suis très reconnaissante. »

Le souverain croisa son regard, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il lui fit un simple signe de tête avant de refermer l’encrier. Sélène ne comprit son silence que lorsqu’elle releva à son tour les yeux vers le portrait royal. Aurait-il souhaité lui aussi pouvoir écrire une lettre à ses parents ? A sa mère surtout, probablement. Son père n’aurait jamais rien lu provenant de son fils.

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