Chapitre 4 : Le prétendant

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  Dans la salle du trône, Zorian jugeait les querelles du peuple depuis le début de la matinée. Sa Majesté étant occupée, il lui arrivait de prendre le relais.

L’affaire concernait un comte dont la fille aurait été violée par l’un de ses convives, un duc du nom de Gaspard Hauterive. D’âgé à peine trente ans, le jeune homme était un bon parti ; son titre lui conférait de l’argent et des terres. Ses longs cheveux noirs encadré un visage impeccable et doux à la peau pâle. Et ses yeux verts brillaient comme deux envoûtantes émeraudes.
Le père de la victime, Vivien Tort, de vingt ans son aîné, exigeait un mariage pour sauver l’honneur de sa fille ainsi que celle de sa famille.
Le duc ne contestait nullement l’acte, mais précisa que l’attitude désinvolte de la jeune femme l’avait poussé à la faute, et qu’elle-même y avait pris beaucoup de plaisir. Ainsi donc, les torts étaient partagés.

Le comte insista : sa fille était jeune, seize ans, mais loin d’être stupide. Et si son comportement était bien souvent enjoué et espiègle, il n’avait pas été spécifiquement différent ce jour-là. Jamais elle n’avait voulu séduire le duc.

« Elle savait très bien ce qu’elle faisait, persista Gaspard Hauterive. Et elle a eu ce qu’elle demandait bien qu’elle ne l’ait exprimé avec des mots.

  • Vous accorderait-on le don de lire dans l’esprit ? grogna le comte.
  • Allons, soyez raisonnable ! Vous connaissez le caractère sauvage des hommes, la bête qui sommeille en nous ne peut toujours être muselée, rit le duc avec assurance.
  • L’honneur de ma fille a été bafoué et son corps, souillé, jamais aucun homme ne voudra d’elle à présent. »

Le ton montait, aussi Zorian choisit-il de prendre rapidement une décision. Un mariage réglerait l’affaire et les deux parties en sortiraient vainqueurs : l’un conserverait son honneur et l’autre se verrait assuré d’avoir une descendance. La mine réjouie du duc retomba soudainement ; la décision ne l’enchantait guère. Une épouse signifiait dire adieu à ses conquêtes du moment et à celles qui aurait dû suivre. Il chercha un moyen de se dérober à la décision de Zorian et avança le projet d’un mariage futur avec la fille d’un autre duc. Il proposa une coquette somme d’argent en guise de réparation. Mais Zorian lui imposa un refus catégorique : s’il avait privé une jeune femme de sa vertu, il devait l’épouser.

A ce moment-là, Kaldrys entra dans la salle ; ses pas résonnèrent tandis qu’il se dirigeait vers le trône. Le duc et le comte s’inclinèrent respectueusement, et Zorian se leva pour faire de même, lui laissant récupérer sa place.

Le regard de la souveraine passa sur le comte puis se figea sur le duc.

« Vous n’épouserez pas Mélissandre Tort, annonça-t-elle en s’asseyant et posant son menton contre le dos de sa main.

  • Mais, Votre Majesté… » tenta d’intervenir le comte en voyant l’honneur de sa famille terni à tout jamais.

Un rictus victorieux s’empara du visage du duc tandis qu’il pensait sortir vainqueur.

« Votre fille n’a pas à endurer toute une vie enchainée à son violeur, poursuivit Kaldrys, le visage fermé. Ce serait un avenir bien sombre à lui offrir. Nous nous engageons à lui trouver un époux avant la fin de l’année, cela laissera le temps de s’assurer qu’une graine n’a pas été plantée. Si ce devait être le cas, une place au palais lui serait réservée. Messire Hauterive, à compter de ce jour, nous vous destituons de votre titre et de vos terres…

  • Votre Majesté, chuchota Zorian à ses côtés.
  • Vous vous êtes déshonoré comme vous avez déshonoré votre rang…
  • Majesté, vous ne pouvez…
  • Nous le pouvons, gronda-t-il fermement à l’intention du conseiller. Messire Hauterive a hérité de son titre par son père, le prenant ainsi pour acquis. Hélas, il a choisi d’en faire usage avec légèreté et de salir le rôle qui lui incombe. »

Zorian se tut ; il trouvait la décision sévère mais il avait connaissance de cas similaire dans l’aristocratie. Après réflexion, il consentit qu’un exemple devait être fait. On ne pouvait laisser la noblesse s’encanailler.

Le regard paternel posé sur la souveraine devint admiratif.

« Votre Majesté, j’ai reconnu l’acte, se défendit le duc. Mais comprenez qu’un homme ne peut réprimer ses bas instincts…

  • Vous apprendrez à museler cette bête dont vous aimez vanter l’existence, sans quoi peut-être lui donnerons nous la chasse, l’affronta Kaldrys dont le regard perçant fit baisser les yeux du duc.
  • Oui, Votre Majesté » répondit-il honteusement.

L’homme comprendrait-il que son comportement abject était à l’origine de sa punition ? Cela allait-il le faire changer ? Aux vues de l’expression contrarié qu’il affichait, le souverain en douta. Il était simplement irrité que le comte ait amené l’affaire devant la reine et d’avoir perdu son héritage qui lui conférait nombres d’avantages afin de conquérir la gent féminine.

C'est pourquoi Sa Majesté n’eut aucun remord quant à sa décision. Il congédia les deux hommes ; le duc s’inclina brièvement, tourna les talons et disparu ; quant au comte Tort, il se courba plusieurs fois en le remerciant pour sa bonté, puis une dernière fois devant lui et Zorian.

« Était-ce les derniers ? s’enquit Kaldrys.

  • Il semblerait, fit le conseiller en balayant la salle vide d’un regard. Vous avez brillamment jugé cette affaire, Majesté. Votre décision était juste.
  • Alors pourquoi nous avoir contredit ?
  • Veuillez me pardonner, vous avez vu plus loin que je ne l’ai fait. Vous vouliez donner une leçon à la noblesse.
  • C’est exact. Mais nous doutons que cela suffise.
  • Cela en convaincra certains, assurément. »

Zorian sourit et ne put taire plus longtemps une pensée qui le rendait fier :

« Vous ressemblez fort à votre père, Majesté. Vous avez beaucoup appris de lui. »

Un sourire se dessina sur les lèvres de Kaldrys, aussi faux que le soleil se lèverai un jour à l’ouest. Son cœur se serra dans sa poitrine et sa nuque devint raide.

Jamais je ne ressemblerai à cet homme. Jamais.

Si les mots du conseiller se voulait être un compliment, son corps entier le rejeta. Un violent torrent de souvenirs dévala dans son esprit, se projetant en vagues contre les parois de son crâne. Sa respiration se coupa nette et…

« Votre Majesté, l’appela un valet, un visiteur demande à vous voir. »

Cela suffit à le tirer de sa torpeur. Voilà quelqu’un qui tombait à pic, se dit-il intérieurement.

« Faites-le entrer » ordonna-t-il.

Ses boucles blondes tressautèrent à chacun de ses pas lorsqu’il pénétra dans la salle du trône, une rose à la main.

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