Chapitre 4.2
« Votre Altesse ? » fit Kaldrys en jetant un rapide regard interrogatif à Zorian.
Celui-ci lui renvoya son interrogation puis ils reportèrent tous deux leur attention sur le prince Dameric Jakarter.
« Ravi de vous revoir, Majesté, dit-il en lui tendant sa fleur. Veuillez m’excuser, je n’ai pu résister à l’envie de vous rendre visite de nouveau.
- N’étiez-vous pas rentré ? l’interrogea la souveraine en saisissant le présent.
- J’ai quelques amis dans vos contrées à qui je voulais rendre visite avant cela. Votre charmante personne hantait mes pensées, alors me voilà. J’espère que vous excuserez mon audace.
- L’audace, Votre Altesse, est parfois une bénédiction, parfois une malédiction. En ce qui vous concerne… eh bien, nous verrons. »
Un sourire éclaira le visage du prince et alors que Khiara allait demander à un valet de le conduire à une chambre, Zorian y vit l’occasion d’un rapprochement.
« Votre Majesté, je vais m’occuper de faire rajouter un couvert pour le déjeuner. Pourquoi n’iriez-vous pas dans les jardins avec Son Altesse ?
- Son voyage a dû l’épuiser…
- Nullement, l’interrompit Dameric en glissant vers lui un sourire séduisant. Ce serait un plaisir de vous accompagner, Votre Majesté. »
Kaldrys maudit intérieurement son conseiller ; il ne pouvait se dérober à cette balade sans montrer le peu d’intérêt qu’il avait pour le prince ou pour le mariage.
« En ce cas, allons-y, répondit-il.
- Permettez » s’avança le prince en lui donnant son bras.
Il y déposa sa main non sans regret et l’accompagna jusque dans les jardins, le tintement des armures de métal de ses gardes sur ses talons.
Un vent frais les accueillit, filant entre une allée de charmes et faisant se courber les massifs de coreopsis et de corbeilles d’argent.
Sa Majesté ne venait que très rarement se promener ici, c’est pourquoi elle découvrit avec enchantement la floraison récente du jardin. Si le vert prédominait encore, un arc-en-ciel de couleurs et de nuances s’était emparé du lieu en certains points. La rose donnée par le prince lui parut bien anodine en comparaison.
« L’émerveillement dans vos yeux me fait penser que vous n’étiez pas venu ici depuis quelques temps, lui lança Dameric avec amusement.
- Nous devons avouer avoir été très occupée dernièrement.
- J’ai ouïe dire que… pardonnez-moi d’aborder le sujet aussi crûment mais, on aurait de nouveau attenté à votre vie.
- En effet.
- Je dois vous avouer, Votre Majesté, que c’est pour cela que j’ai décidé de revenir ici. Je vous sais gardée par les meilleurs soldats de votre royaume mais je ne pouvais rester sans rien faire. J’ose espérer que vous me pardonnerez cette visite incongrue. »
Les prunelles saphir de Kaldrys se posèrent sur l’homme comme un couperet sur le cou de sa victime. En voilà un qui ne rate pas une occasion de se montrer sous son meilleur jour.
« Nous ne connaissons que peu de chose à votre sujet, Votre Altesse. Vous avez six frères, n’est-ce pas ? Et vous êtes le cadet. Pourquoi votre père aurait-il envoyé son dernier né ? Les autres ne sont-ils pas jaloux ?
- Quelle perspicacité ! Je n’en attendais pas moins de vous, Votre Majesté. J’ai une confession à vous faire : je me suis envoyé tout seul. Plus exactement, mon frère Hector, le troisième fils de mon père, devait venir vous rencontrer. Mais je lui ai volé ce privilège.
- Voilà quelque chose d’ambitieux, remarqua Kaldrys. Qui a-t-il d’autre à savoir sur vous ? »
Le prince se stoppa et se plaça devant lui en attrapant sa main.
« Je ferai tout pour vous, Votre Majesté. Tout ce que vous me commanderez de faire. Cela vous fait sourire ?
- Votre Altesse, tous ici nous obéirez sans hésitation. Que pourriez-vous faire pour nous qu’ils ne puissent pas faire ?
- Gouverner, avec vous à mes côtés.
- En tant qu’épouse ? Mère de vos enfants ? Nous aussi maîtrisons fort bien les mots, n’essayez pas de nous duper avec de vaines promesses.
- Pensez-vous que je voudrais vous ravir le trône, Votre Majesté ? Je n’ignore pas qu’il appartient depuis toujours à votre famille. La famille, cela compte énormément pour moi.
- Mais vous voilà ici, à la place de votre frère, fit-il en retirant sa main. Vous dites une chose mais vous en montrez une autre. »
Le sourire princier retomba et l’espace d’un instant, un éclat méprisant passa dans le regard de celui-ci. La seconde d’après, il avait disparu et le visage de Dameric s’éclaira de nouveau.
« Vous vous méprenez, Majesté. J’aime ma famille plus que tout, mais je me dois de m’éloigner d’elle pour m’accomplir en tant qu’homme. Je ne pouvais attendre que mon père me trouve une épouse.
- Vous devez pourtant avoir beaucoup de prétendantes, lui souligna Kaldrys en le dépassant pour l’inciter à le suivre.
- Aucune n’est aussi belle que vous.
- Aucune ne possède un royaume, corrigea-t-il. Que savez-vous à son propos ?
- Majesté ?
- Outre ce que tout le monde sait. » précisa-t-il.
Le prince s’arrêta de nouveau, déconcerté. Il savait bien peu de chose sur le royaume qu’il convoitait tant et ne put répondre.
« Vous voulez une chose dont vous ne connaissez rien, Votre Altesse. Aussi comment pourrions-nous envisager une union avec vous ? Ce que vous voulez, c’est une couronne sur votre tête. Etant le dernier fils de votre père, cela n’arrivera sans doute jamais. La seule façon est d’épouser une reine. Quelle chance qu’il y en ait une dans le royaume voisin !
- Majesté, je ne demande qu’à apprendre. Et je jure sur mon père, ma mère et mes frères que jamais je ne tenterai de vous évincer si vous me choisissez.
- Je vous l’ai dit, Votre Altesse, vos mots glissent sur nous comme la pluie sur les feuilles. Nous ne vous choisirons pas et notre décision est définitive. Nous vous accordons une nuit au palais pour vous remercier de votre sollicitude, mais ayez l’obligeance de partir demain tôt dans la matinée. »
Le prince Dameric resta figé quelques secondes, encaissant douloureusement les mots de la reine. Puis il s’avança vers elle, le visage dur avant qu’un sourire ne se glissât sur ses lèvres :
« Je comprends, Votre Majesté. Je ne perds cependant pas espoir. Je trouverai comment vous convaincre. »
*
A l’heure du déjeuner, Zorian semblait ravi de voir que le prince montrait toujours autant d’intérêt pour sa protégée. Et celle-ci se lamenta en se demandant ce qu’il n’avait pas compris dans son refus. Mais elle le laissa espérer, tout comme son conseiller.
C’est à l’heure du coucher que le prince réapparu, attendant devant la chambre royale. Kaldrys, suivi de Sélène, jeta un regard agacé à celle-ci qui lui sourit discrètement.
« Votre Altesse, que pouvons-nous faire pour vous ?
- J’ai réfléchi à ce que vous avez dit et… pourrions-nous en parler en privé ? »
Il indiqua des yeux les deux gardes en poste devant la chambre.
« Nous vous accordons deux minutes, pas une de plus » fit Kaldrys en se dirigeant vers son salon.
Il fit entrer Dameric et fit signe à Sélène d’attendre devant la porte. Le cœur de cette dernière s’élança dans une course folle ; après les événements récents, elle ne trouvait guère prudent de se retrouver seule avec un homme, peu importait qu’il soit un prince. Elle décida de coller son oreille contre la porte afin d’être certaine qu’il n’arriverait rien à Sa Majesté.
Plus loin dans le couloir, l’un des gardes la regarda faire, et alors qu’elle pensait être réprimandée, il lui adressa un signe de tête affirmatif. De toute évidence, il s’inquiétait aussi pour sa souveraine.
Kaldrys lui fit signe de s’asseoir tandis qu’il resta debout, les bras croisés. Mais le prince s’approcha et prit ses mains. Son comportement inquisiteur lui déplut fortement, mais le souverain prit sur lui de supporter sa démarche.
« Votre Majesté, vous aviez raison. Je ne connais rien de votre royaume et j’espère bien combler rapidement mes lacunes, dit-il d’une voix douce. Je n’ignore pas votre attachement à Ymirgas et je me garderai bien de vous en priver.
- N’avons-nous pas déjà eu cette conversation ?
- Je vous laisserai gouverner, Majesté, c’est ce que vous voulez, non ?
- Voilà une nouvelle promesse. Mais vous n’êtes pas notre époux, et si jamais vous le deveniez, cette promesse ne serait que des mots jetés en l’air dans une pièce sans témoin. »
Gardant ses mains dans les siennes, il se mit à genoux et promit une nouvelle fois. Son sourire avait fait place au sérieux d’un homme jouant son avenir. Et la réponse de Sa Majesté fut tel une vague balayant tous ses espoirs.
« Nous connaissons fort bien le mensonge, Votre Altesse. Nous aussi savons en user. C’est pourquoi nous reconnaissons un menteur lorsqu’il se présente devant nos yeux. Et vous êtes un menteur, Altesse. »
Il y eut un lourd silence pendant lequel Damaric sembla à peine vivant. Puis il lâcha les mains de la reine et se releva lentement, les yeux rivés sur le sol. Lorsqu’enfin il les plongea dans ceux de Kaldrys, son visage avait changé d’expression ; la colère tendait sa mâchoire et donnait à son regard une dureté qui ne présageait rien de bon. Sa main partit brusquement contre la joue de Sa Majesté.
« Par égard pour votre père, nous oublierons cela, fit Kaldrys en posant ses doigts là où il l’avait frappé.
- Mon père ? rit-il, mon père n’est qu’un idiot. Il refuse de voir que je suis le mieux placé pour lui succéder.
- Nous y voilà. Enfin la vérité. Le dernier fils veut monter sur le trône, mais il ne peut occire son père et ses six frères. Et voilà qu’un royaume est en quête d’un nouveau souverain. Il suffit de séduire la belle et… »
Un sourire moqueur se dessina sur le visage du souverain ; il méprisait le prince depuis le jour de leur rencontre et plus encore à présent. Il voulait le voir fuir et ne jamais revenir, aussi décida-t-il de ne pas choisir ses mots avec prudence.
« Vous avez échoué, non ? »
Cela attisa le courroux de Dameric qui se jeta sur lui. L’une de ses mains alla agripper son bras pour l’empêcher de s’échapper, tandis que l’autre le repoussa brusquement pour le faire tomber. Sans succès.
Sélène entra et vit Kaldrys se débattre et gifler son assaillant, ce qui eut pour seul effet de faire redoubler sa violence. Il lui asséna un coup au visage, fendant sa lèvre inférieure, tandis que la femme de chambre appelait à l’aide. Puis le prince chercha à remonter la robe de la reine, s’emmêlant dans les nombreuses doublures. Kaldrys le repoussa, et devant son insistance, le frappa, le griffa, lui tira les cheveux pour le faire cesser. Sélène tenta elle aussi de le faire reculer et prit un coup de coude dans l’abdomen avant qu’enfin les gardes n’intervinssent.
Le prince immobilisé, le jeune souverain se releva, légèrement décoiffé et la lèvre sanguinolente. Il s’assura que sa femme de chambre allait bien – celle-ci avait eu le souffle coupé un court instant sous la violence du coup et se tenait le ventre – puis dirigea son regard sur Dameric Jakarter dont le visage égratigné et rougis témoignait de la violence de leur échange.
« Allez-vous bien, Votre Majesté ? s’enquit l’un des gardes.
- Mieux depuis que vous êtes ici. Escortez cet homme jusqu’à la frontière. Assurez-vous qu’il rentre chez lui. Nous ne voulons plus jamais le voir sur nos terres. »
Il s’avança vers le prince qui le dévisageait avec un rictus diabolique.
« Votre père sera mis au courant de cela, Altesse. Soyez-en assuré.
- Que fera-t-il ? Il me punira, croyez-vous ? se délecta-t-il avec assurance. Va-t-il me tirer l’oreille ou me taper sur les doigts comme un enseignant sévère ?
- Tout comme nous, il tient à la paix entre nos deux royaumes. Il prendra la sanction qui s’impose et lorsqu’il vous l’infligera, pensez bien que nous aurions pu mettre votre tête sur une pique.
- Vous n’oseriez pas.
- Vous nous avez agressée, Altesse. »
Dameric se contenta d’un sourire insolent et avant que les gardes ne l’emmènent, il promit une chose :
« Ce n’est pas fini, Votre Majesté. »
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