Chapitre 4.3
Kaldrys se laissa tomber sur son lit devant les yeux amusés de Sélène. Les draps frais apaisèrent quelques secondes son visage douloureux. Son esprit s’était calmé après avoir parlé à Zorian qui lui avait juré écrire dès le lendemain au roi Christan Jakarter sur les agissements de son fils. Il regretta cependant que ses informateurs ne soient pas encore revenus de leur mission. Ainsi, pensa-t-il, l’événement aurait pu être évité, certains que la nature du prince aurait été révélée.
« Votre bain est prêt, Majesté, fit Sélène en s’approchant pour l’aider à se déshabiller. Comment vous sentez-vous ?
- Affreusement stupide, répondit-il en se levant. Nous sentions que quelque chose n’allait pas avec lui, nous savions qu’il mentait mais…
- Mais ? l’encouragea-t-elle en faisant glisser sa robe vers le bas.
- Nous ne nous attendions pas à cela. Pourquoi faut-il que les hommes réagissent toujours avec violence ?
- Je… Je l’ignore.
- S’il y a bien un chose qui diffère entre hommes et femmes, c’est l’éducation, affirma-t-il. Les hommes doivent êtres cultivés, forts, exceller au combat et être des maîtres dans l’art de la stratégie. Et que demande-t-on aux femmes ? S’occuper des enfants, faire la cuisine, la lessive et de toutes les tâches ingrates que ces messieurs de veulent pas faire. Sais-tu qu’on leur interdit l’accès à l’enseignement ? Ils oublient bien vite qu’en cas de siège, ce sont leurs femmes qui prennent le relais. »
Sélène peina à masquer un sourire compréhensif tandis qu’elle lui retirait son corset.
« C’est Khiara qui nous a éduqué, te l’avons-nous déjà dit ? Elle nous a enseigné ce qu’on lui apprenait. Ainsi, nous avons reçu l’éducation des femmes, poursuivit-il en se dirigeant vers la salle de bain. C’est aussi pour cela que personne n’a jamais compris que nous n’étions pas elle. »
Il se tut, l’esprit soudain bouillonnant d’idées et ne reprit la parole qu’une fois dans son bain.
« Pourquoi les femmes devraient-elles être inférieures ? dit-il tout haut sans prêter attention à Sélène qui aurait bien émis une hypothèse s’il lui en avait laissé le temps. Elles devraient apprendre les mêmes choses. Nous devrions… nous devrions faire quelque chose pour changer cela. Mais le conseil nous en empêchera. Nous pourrions… nous pourrions enseigner ! »
Ses prunelles bleutées se tournèrent vers Sélène qui ne sut interpréter ce qu’il attendait d’elle. Ils se regardèrent puis un sourire s’empara des lèvres de Sa Majesté.
« Penses-tu que les femmes de chambre voudraient apprendre ? l’interrogea-t-il avec intérêt.
- Je l’ignore, elles ont beaucoup de travail, vous savez.
- Nous pourrions leur libérer une ou deux heures par semaine pour leur faire la lecture, leur apprendre à lire et à écrire, s’enthousiasma-t-il. Penses-tu cela possible ? »
Aux vues de l’entrain qu’il manifestait, Sélène ne voulait pas balayer ses espoirs d’un simple « non ». Et elle partageait son avis bien qu’elle ne pensait pas cela réalisable : quelqu’un – un homme – viendrait sûrement contrecarrer son projet. Et elle ignorait si les autres montreraient de l’intérêt au projet de leur reine.
« Vous devriez inclure les valets et les cuisinières, l’encouragea-t-elle.
- Brillante idée, petite lune, fit-il sans même remarquer comment il l’avait appelée. Tout le monde a le droit à un enseignement, homme ou femme, et ils devraient avoir exactement le même.
- Faisons cela : j’irai leur demander s’ils sont intéressés et si c’est effectivement le cas, nous mettrons cela en place.
- Parfait ! »
Sélène fut ravie de le voir si enjoué seulement quelques heures après avoir été agressé. Mais cela l’inquiéta également. Il avait à peine réagi même lorsqu’elle l’eut soigné. A sa place, elle aurait sûrement longuement pleuré dans sa chambre à se lamenter sur les mauvaises intentions du prince Dameric.
« Majesté, pardonnez mon ignorance mais… le prince… est-ce qu’il voulait…
- Me violer dans l’espoir que nous soyons obligée de l’épouser ? Cela aura pu effectivement fonctionner, si nous avions été une femme. L’honneur prime bien souvent sur tout. Bien sûr, le fait que nous soyons un homme l’aurait quelque peu… surpris, s’amusa-t-il. Il aurait pu le découvrir, nous avons eu très peur, à dire vrai.
- Si vous voulez parler de ce qu’il s’est passé, vous savez que vous pouvez me faire confiance. Je veux vous aider, je veux que vous vous sentiez bien.
- Merci Sélène, mais cela ira. La violence, nous y sommes rompu depuis l’enfance. Et si nous pouvons ainsi l’éviter à ma sœur, c’est avec joie que nous l’endurerons encore.
- Vous devriez aussi penser à vous, Majesté.
- Khiara a tant fait pour nous, jamais nous ne laisserons quelque chose lui arriver, dit-il en baissant soucieusement les yeux.
- Vous devriez retourner la voir, vous lui manquez. »
Kaldrys s’enfonça silencieusement dans son bain jusqu’à avoir de l’eau jusqu’en dessous du nez.
« Vous ne voulez pas la revoir ? » insista doucement Sélène.
Il souffla de mécontentement, créant une succession de bulles éclatant à la surface dont chacune semblait porter le même message : question suivante !
« Elle ne parle que de vous, vous savez ? Elle m’a dit qu’il était aisé de tricher avec vous lorsque vous étiez petits.
- Vous parlez trop, toutes les deux, fit-il avant de recommencer à faire des bulles.
- Elle a parlé d’un jeu de carte auquel elle gagnait tout le temps.
- Elle gagnait parce qu’elle trichait et qu’elle savait que nous ne pouvions nous en rendre compte, se défendit-il. Comment va-t-elle ?
- Elle a grande hâte de recouvrer sa liberté. »
Kaldrys resta silencieux, songea que ce jour-là, sa sœur montrerait enfin à quel point elle lui en voulait. Ce jour-là, peut-être la perdrait-il, peut-être perdrait-il tout. Mais il y était résolu : jamais il n’avait envisagé enfermer Khiara pour toujours là où lui-même avait été enfermé pendant seize ans. Il aurait pu décider de la libérer, mais quelqu’un cherchait à assassiner la reine et si cela devait arriver, il était préférable à ses yeux qu’il fût la victime.
« S’il m’arrivait quelque chose, tu lui diras que je suis désolé, dit-il finalement sans la regarder. Pour l’avoir enfermée, et pour tout le reste. »
Elle acquiesça d’un signe de tête, le cœur serré. C’était une fin qu’elle n’imaginait pas concevable ; le frère et la sœur devaient se retrouver, un jour, après toute l’horreur vécue !
« Ne pensez-vous pas que ces assassins viendraient de ce prince ? l’interrogea Sélène soupçonnant que Dameric Jakarter aurait pu choisir deux voies pour s’assurer le trône.
- C’est probable, oui. Mais peut-être n’est-il pas le seul. Nous avons beau rejeter les conseils de Zorian… il a raison. Un mariage et une descendance assurerait un avenir au royaume.
- Alors vous devriez vous marier, en tant que Kaldrys de Bénéfiel » avisa Sélène.
Un sourire amusé se glissa sur les lèvres de celui-ci.
« Je n’ai jamais voulu du trône, avoua-t-il, Khiara est l’aînée, si elle avait été un homme, la question ne se serait pas posée. On l’aurait laissée gouverner. J’ai pris sa place parce que dès la minute où père est mort… elle est devenue la cible des ambitieux. Et ce jour-là, les choses se sont enchainées si vite que…
- Vous n’avez pas eu le temps de retourner en bas.
- Oui, mais c’était préférable. Ainsi personne ne peut lui faire du mal. Même si, j’en conviens, c’est bien le pire endroit où enfermer quelqu’un. Je dois… »
Réparer ce que j’ai fait.
Sélène remarqua la culpabilité dans ses yeux, mais ne se permit aucune question. Quelque fut ses pensées, il les exposerait lorsqu’il se sentirait près à le faire.
« Dis-lui simplement que je l’aime de tout mon cœur » lâcha-t-il finalement.
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