Chapitre 4.4

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Sélène tirait sur le tissu du pantalon prêté par Sa Majesté. Une drôle d’idée était soudain apparue dans l’esprit de Kaldrys à son réveil : emmener la jeune femme faire une balade à cheval.

« Pour te remercier de ton intervention contre le prince » avait-il dit.

Sélène n’était pas dupe, il voulait surtout être accompagné par quelqu’un d’autre que ses gardes, pour une fois. Et n’ayant pas de dame de compagnie, sa jeune femme de chambre était toute indiquée.

« Votre Majesté, je n’ai jamais monté à cheval » lui répétait-elle depuis que le souverain avait ordonné qu’elle enfilât une tenue convenable.

Ce à quoi il avait répondu par un simple sourire.

Et lorsqu’ils furent aux écuries et qu’arriva Onyx, le frison de Sa Majesté – dont le garrot dépassait la taille de sa propriétaire de bien dix centimètres – Sélène ne fut plus tout à fait certaine de vouloir céder à sa demande.

« Tu vas monter avec nous, tenta de la rassurer vainement Kaldrys.

  • Il est immense, s’inquiéta-t-elle en restant en arrière.
  • Allons, tu ne peux pas rêver mieux qu’Onyx pour une première fois. Approche, tu dois te familiariser avec lui. »

Kaldrys lui tendit la main pour l’inciter à approcher et saisit celle de Sélène avec douceur avant de la porter sur l’encolure de l’équidé. Onyx renâcla, faisant sursauter Sélène puis sentit l’inconnue. Après quelques secondes, il lui donna un léger coup de museau sur l’épaule ; la femme de chambre jeta immédiatement un regard vers le souverain.

« Tout va bien, il t’accepte.

  • Vous êtes sûre ? » s’enquit-elle tandis que le cheval tendait son cou vers elle pour quémander des caresses.

Sa Majesté attrapa les rênes que lui tendait l’écuyer qu’il remercia et félicita pour son excellent travail – l’homme repartit avec un large sourire – puis guida le frison jusqu’à l’extérieur. Là, il glissa son pied dans l’étrier et se hissa sur l’imposant cheval. D’un geste de la main, il fit signe à Sélène de s’approcher.

« Messieurs, appela-t-il ses gardes, aidez la demoiselle à grimper s’il vous plaît. »

Deux d’entre eux s’avancèrent, attrapèrent Sélène et la montèrent sur le dos de l’animal, non sans peine. Kaldrys lui ordonna de se tenir à elle en plaçant ses mains autour de sa taille. La jeune femme hésita – il s’agissait du roi après tout ! – puis obéit. Elle craignit de tomber du cheval dont la hauteur lui assurait de graves blessures ou la mort si jamais elle devait chuter.

Dès que les gardes eurent enfourché leurs montures, Onyx partit de lui-même au trot et prit le chemin habituel menant en dehors du palais, en direction des champs.

Le cœur battant à tout rompre, Sélène s’était collée contre Sa Majesté par peur de tomber. Elle ne pensa ni à l’odeur floral infiltrant ses narines ni à la main posée sur les siennes. Et encore moins au regard des six gardes surpris par la compagnie de leur souveraine. Si cela les avait étonnés, tous partageaient la même pensée bienveillante : enfin Sa Majesté s’était décidée à s’ouvrir à quelqu’un. Et peu leur importait qu'il s'agît de sa femme de chambre ! Ils avaient l’habitude de la suivre lors de ces promenades équestres, et elle était peu bavarde, le visage souvent fermé, préoccupée par les affaires du royaume. Et son cheval lancé au galop à l’avant du peloton lui assurait de ne parler à personne.
L’entendre parler à Sélène du paysage, de la météo et de ses péripéties vécues lors de ses sorties équines leur offrait un ravissement sans pareil. Un sourire identique était masqué derrière leur casque.

Après environ une heure, le corps de Sélène s’était détendu. Et lorsque Sa Majesté proposa de mettre pied à terre un moment, la femme de chambre accepta avec une joie non dissimulée.

Les cavaliers s’étaient arrêtés dans un champ où les fleurs avaient éclos par centaines : des pâquerettes, des pissenlits, des boutons d’or, des coquelicots, des achillées millefeuilles et quelques nielles des près. Sélène en cueillit assez pour faire un bouquet sous l’œil attendri de Sa Majesté.

Kaldrys se souvint de sa rencontre avec la jeune femme dans la salle du trône. Le comportement qu’elle avait eu ce jour-là le fit sourire. Il était rare qu’on lui tienne tête, et il était heureux qu’elle l’ait fait. Sans cela, il aurait fait exécuter le tailleur et aurait renvoyé mère et fille chez elles, manquant ainsi sa première amitié.

Son sourire retomba brusquement à la seule pensée que Sélène essayait peut-être de tirer parti de cette relation sans qu’il ne le sût. Cela faisait déjà quelques semaines qu’elle gardait ses secrets et jamais elle n’avait laissé penser le faire.

Pourquoi nous apprécierait-elle ? Elle ne peut que constater l’horrible personne que nous sommes. Qui sinon un monstre enfermerait sa sœur pour prendre sa place ?

Une fleur se glissa dans son champ de vision, tendue par Sélène, tout sourire.

« Pour vous, dit-elle en voyant que Kaldrys restait figé. C’est le seul bleuet que j’ai trouvé. Enfin, il y en avait deux, mais j’ai préféré laisser l’autre. »

Dans sa seconde main, elle tenait un bouquet si conséquent qu’elle ne pouvait complétement la refermer autour des tiges.

« Devrions-nous revenir demain ? demanda le souverain sur un ton faussement sérieux, il reste encore tant de fleurs à ramasser, peut-être devrions-nous amener quelques gens avec nous, cela serait plus efficace.

  • Moquez-vous ! Je comptais mettre ce bouquet dans votre chambre, peut-être le garderais-je finalement pour moi ! »

Ils s’affrontèrent du regard puis éclatèrent de rire. Un court instant leurs yeux ne purent se détacher l’un de l’autre et s’entremêlèrent avant que l’embarras ne s’en mêlât. Kaldrys fut le premier à rompre ce contact, puis il jeta un regard aux alentours : ses gardes patrouillaient à plusieurs mètres et ne devaient rien avoir vu de la scène. L’instant d’après, il se trouva bien maladroit et reporta son attention sur Onyx pour couper court à sa gêne.

« Merci de m’avoir emmenée avec vous, Votre Majesté, lui lança Sélène dont les joues avaient pris une teinte rosée.

  • Et si tu prenais les rênes pour le retour ?
  • Vous êtes sûre ? » s’inquiéta-t-elle immédiatement.

En guise de réponse, il lui prit le bouquet et le bleuet qu’il coinça derrière son oreille, puis lui fit signe de monter sur le frison.

« Mets ton pied dans l’étrier et aide-toi du pommeau pour te hisser, expliqua-t-il, Onyx ne bougera pas, tu n’as pas à t’inquiéter. »

Sélène suivit ses directives, mais il lui fallut bien quatre essais avant de parvenir à grimper sur le cheval : ce qu’il était grand ! Sa Majesté demanda de nouveau l’aide de ses gardes et une fois assis derrière Sélène, il lui expliqua comment diriger le cheval.

C’est au pas qu’il repartit vers le palais. Et cette fois, ce furent les mains de Kaldrys qui entouraient Sélène, et qui parfois se glisser sur les siennes pour l’aider à diriger Onyx. Le cheval ne sembla pas perturber par ce changement, il obéit à chacun de ses gestes.

Le léger souffle de Sa Majesté chatouillait la nuque de la jeune femme et son dos lui transmettait les battements du cœur du seconde cavalier – ou peut-être était-ce les siens ? Ou les vibrations dues au pas du cheval ?

A quoi je pense, par tous les dieux ! Ce n’est qu’une balade et… Sa Majesté est assis derrière toi. Son corps contre le tien… Non, c’est parce que tu ne sais pas monter qu’il t’a proposé de partager son cheval. N’imagine rien d’autre ! Il est le roi, il ne peut rien se passer entre lui et toi.

Ses joues virèrent aux rouges écrevisse ; ses mains se resserrèrent sur les rênes tandis qu’elle essaya de se concentrer sur le chemin du retour. A dire vrai, le frison le connaissait si bien qu’il n’avait nullement besoin d’être dirigé.

Sélène tourna un instant la tête vers Sa Majesté, croisant un regard azur si envoûtant qu’elle peina à s’en libérer.

Est-ce qu’il ressent la même chose ? Non. Arrête d’y penser. C’est tout bonnement impossible. Et puis, pourquoi maintenant ? Tu le vois nu tous les jours, ça ne t’a jamais rien fait, alors pourquoi une balade à cheval te met dans tous tes états ? Allez ma fille, arrête de penser que tu as un quelconque intérêt à ses yeux.

Elle inspira profondément dans l’espoir de se libérer de ses émotions, et lorsqu’ils arrivèrent près de l’écurie, elle avait retrouvé son calme.

Kaldrys descendit en premier, puis il l’aida à remettre pied à terre avant de lui rendre son bouquet. Il flatta l’encolure d’Onyx, lui glissa quelques mots à l’oreille que le cheval sembla apprécier avant que l’écuyer ne vînt le chercher.

« Merci pour cette balade, messieurs, fit-il à l’attention de ses gardes avant de faire signe à sa femme de chambre de le suivre. Allons-nous changer. »

Sélène lui emboita le pas, s’autorisant à détailler chaque parcelle de la silhouette royale…

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