Sélène chercha à tâtons près du sol où ce fichu levier pouvait bien être, tenant un plateau en équilibre de son autre main. Après deux bonnes minutes, ses doigts heurtèrent un petit manche en bois et un bruit sourd se fit entendre. Elle tira sur le loquet de la porte et vit émerger de sous les couvertures une Khiara à la mine peu glorieuse.

Ses yeux étaient enfoncés, son teint, plus pâle qu’à l’habitude, et sa respiration saccadée accompagnait une vilaine toux. La tête entre les mains, la jeune femme souffrait terriblement.

« Êtes-vous malade, Votre Altesse ?

• Je… Je suis navrée, je… ne me sens pas très bien » souffla-t-elle péniblement avant de renifler.

Sélène posa immédiatement le plateau et vint coller sa main sur son front.

« Vous êtes brûlante. Depuis quand êtes-vous dans cet état ?

• Quelques heures ? Je ne saurais le dire… Je crois que je me suis endormie. Je suis si fatiguée, je…
• Vous devez voir un médecin.
• Comment ? Kaldrys ne voudra jamais me laisser sortir.
• Je l’ignore, mais il ne veut assurément pas que vous mourriez, Votre Altesse. Je vais de ce pas le réveiller. Je reviens vite, d’accord ? »

Sélène referma rapidement derrière elle, remonta les marches quatre à quatre et se dirigea immédiatement dans la chambre royale. Elle pensait trouver le jeune homme endormi, mais le vit assis près de son lit à regarder le balcon.

« Votre Majesté, le fit-elle sursauter, votre sœur ne va pas bien, pas bien du tout.

• Que veux-tu dire ? s’enquit-il en se levant d’un bond.
• Je crois que c’est grave. »

Il enfila rapidement une robe de chambre et la suivit jusque vers Khiara. Il entra dans la pièce, ignorant tout ce qu’elle aurait dû lui inspirer et examina sa sœur avec délicatesse.

« Que t’arrive-t-il ? Comment te sens-tu ? la questionna-t-il.

• J’ai l’impression d’être terriblement confuse et… j’ai du mal à respirer. Je suis fatiguée, je…
• Tu as de la fièvre.
• Il faut qu’elle voie un médecin, Votre Majesté » intervint Sélène.

Elle lut l’inquiétude dans son regard et comprit ce qui le terrifiait. Le temps ne pouvait guérir sa sœur, et le lieu était sans nul doute responsable de son état. Elle ne pouvait rester ici. Pouvait-il faire confiance à Khiara ? Devait-il échanger de place avec elle ? N’allait-elle pas le laisser enfermer à son tour pour se venger de lui ?

« Kal… Fais-moi confiance, l’implora sa sœur, je sais que pour rien au monde tu ne voudrais revenir dans cette pièce… alors il est temps de dévoiler ton existence.

• Je ne peux pas, quelqu’un cherche à te tuer. Tu es en sécurité ici.
• Et si vous sortez de l’ombre, c’est à vous que reviendra le trône, l’encouragea Sélène.
• Je n’en veux pas, je te l’ai dit. Et… Non. »

Khiara fut prise d’une toux si intense qu’elle crut sa dernière heure arrivée. Son corps réclamait de l’air que ses poumons ne pouvaient plus fournir en quantité suffisante.

« Je sais ce que tu as fait, Kaldrys, je le sais, lâcha-t-elle finalement. Je sais que tu as tué notre père. »

Le jeune homme baissa honteusement la tête et n’osa plus regarder aucune des deux femmes. II cherchait un moyen de se justifier mais sa sœur poursuivit :

« J’ignore si c’est ce que tu avais en tête… lorsque tu m’as demandé de te laisser sortir…

• Non. Non, bien sûr que non, dit-il, les larmes aux yeux. Je n’ai jamais voulu ce qui s’est passé.
• C’est pour ça que tu ne veux pas révéler ton existence. Si j’y ai pensé, d’autres le feront.
• Il m’a reconnu, dévoila-t-il en éclatant en sanglots, j’étais à peine sorti lorsque je l’ai croisé et… il a posé les yeux sur moi à peine une seconde, et il a su… Il a… Il… »

Khiara rassembla les forces qu’il lui restait pour se lever et prendre son frère dans ses bras. Enfin il l’avouait ! Et si cela lui était pénible d’imaginer son propre frère tuer son père, elle ne l’accabla pas de reproches. Elle se douta de la réaction du roi en voyant son fils à la lumière du jour, lui qu’il considérait comme un véritable fléau.

Les membres tremblants, Kaldrys essaya d’articuler des mots que tout son corps refusait de laisser sortir.

Le cœur de Sélène se fendit en le voyant si vulnérable. Elle aurait voulu le réconforter elle-aussi, mais il était roi, et elle, une simple servante.

« Calme-toi, Kal, calme-toi, fit sa sœur d’une voix douce en caressant sa joue du dos de sa main.

• Je suis désolé, je… suis désolé…
• Il t’a frappé, n’est-ce pas ? »

Il acquiesça avant de fondre de nouveau en larmes, le visage plaqué contre la poitrine de sa sœur. Celle-ci sentit une nouvelle quinte de toux monter, et fit tout pour la retarder : son frère avait besoin de ce contact. Mais elle perdit bien vite la bataille et dut se séparer de lui brusquement.

« Nous reparlerons de tout cela, dit-elle pendant un répit, en attendant, je ne te trahirai pas… je ferai tout pour conserver ton secret… mais je dois voir un médecin et… tu vas devoir… rester ici. »

Bien qu’il hochât la tête, son corps se tendit et ses yeux transmirent un message qu’il ne voulait laisser paraître : celui de la peur. Khiara l’enlaça de nouveau, promettant de ne pas le laisser trop longtemps ici. Et devant sa crainte, elle glissa ses doigts sous son menton pour tourner sa tête vers le dessin accroché au mur :

« Elle te protège, tu te souviens ? Sélène te protège, là-haut comme ici. »

Puis elle tourna les yeux vers la femme de chambre et ajouta :

« Et tu en as trouvé une bien plus concrète qui fera de même. »

Kaldrys essuya ses larmes et se força à sourire, puis il accepta finalement d’échanger sa place avec sa sœur. Tandis qu’il échangeait ses vêtements avec elle, aidé par Sélène, son esprit l’assaillit de doutes et de craintes. Et il dut se faire violence pour ne pas les laisser l’envahir. L’amour porté à sa sœur fut plus fort que le reste et il s’accrocha à lui comme à une bouée de sauvetage pendant la tempête la plus féroce afin de ne pas changer d’avis.
Il n’osa pas croiser une seule fois le regard de la femme de chambre. Il avait si honte de ce qu’il était ! Un imposteur ! Sélène ne pouvait assurément plus avoir d’estime pour lui.

Dès que Khiara fut prête, elle vint serrer son frère dans ses bras une dernière fois puis passa la porte. Sélène attendit quelques secondes, espérant que Kaldrys se déciderait à la regarder, mais son visage resta tourner vers le sol.

« Je… Je veillerai sur elle, Votre Majesté, fit-elle timidement, il ne lui arrivera rien, je vous le promets. Et dès que le médecin l’aura vue, je viendrai ici vous informer. »

Il ne répondit rien ; son esprit était déjà ailleurs, enfermé entre quatre murs dans l’obscurité la plus totale.

Sélène referma la porte, soucieuse de l’effet qu’aurait le séjour du jeune homme dans cette pièce. Mais son attention se porta bien vite sur Khiara dont l’état était inquiétant. Elle l’aida à gagner la chambre royale et alors que Sélène alla se mettre en quête de réveiller Zorian, Khiara la stoppa.

« Je ne sens pas très bon, contrairement à mon frère, cela se remarqua bien vite. Je dois me laver, aide-moi. »

La jeune malade décida que l’eau de la cuve dans la salle de bain – bien que froide – ferait l’affaire. Sélène l’aida et dès qu’elle l’eut rhabillée, la conduisit jusqu’au lit.

La jeune femme allongée, elle ne perdit pas une seconde et fonça dans la chambre du conseiller, situé au bout du couloir. Lui seul saurait dire ce qu’il fallait faire pour trouver un médecin à cette heure.

Le vieil homme pesta immédiatement contre l’entêtement de Sa Majesté à refuser la présence d’un médecin au palais. Aux vues des symptômes que Sélène décrivait, il craignit une pneumonie. Il n’hésita pas une seconde et la renvoya auprès de la reine, assurant qu’il ramènerait un médecin coûte que coûte.