Chapitre 5.2

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Le verdict tomba tôt dans la matinée et donna tort au conseiller : il s’agissait de la grippe. Et ce fut un soulagement pour tous. Le médecin conseilla à Khiara beaucoup de repos ainsi que des inhalations à base de plantes. Quelques jours suffiraient à voir son état s’améliorer.

Sélène resta près d’elle toute la matinée. Son Altesse s’était endormie malgré sa fièvre. Les traits de son visage étaient en tout point identiques à ceux de son frère, bien sûr, mais les yeux aguerris de la femme de chambre pouvaient y voir quelques légères différences. Elle avait suffisamment côtoyé Sa Majesté pour s’en rendre compte.

Elle s’interrogea sur le jeune homme : comment supportait-il sa captivité ? Il avait grandement pris sur lui, cette nuit. Et s’il l’avait fait, craignant pour la vie de sa sœur, cela n’enlevait rien à ce qu’il ressentait.
Sélène lui avait promis de revenir dès que le diagnostic serait tombé, mais elle ne pouvait abandonner Son Altesse ni prendre le risque que quelqu’un ne la vît ou l’entendît emprunter le passage secret.

Elle l’imagina faire les cent pas dans la petite pièce, se heurtant aux murs, désespérant de revoir un jour quelqu’un. Le doute devait s’être emparé de lui, remettant en question ses choix, sa relation avec Khiara. Sa relation avec elle. Chacune de ses pensées devait être une chaîne supplémentaire garrotant sa raison.
Et que dire de son passé qui devait l’assaillir avec force ? Sélène ne douta pas une seconde qu’elle devait le rejoindre au plus vite.

Au milieu de l’après-midi, la fièvre était un peu retombée et Khiara s’était réveillée pour manger. Zorian vint à plusieurs reprises à son chevet et jamais il ne douta que la jeune femme n’était pas celle qu’il voyait tous les jours.

Le soleil passait derrière l’horizon, laissant la lune seule souveraine du ciel. Sélène glissa un linge humide sur le front de Son Altesse.

« Vous irez mieux demain, l’encouragea-t-elle d’une voix douce.

Khiara balaya la chambre des yeux pour s’assurer qu’elles fûrent seules et chuchota :

« As-tu été voir Kaldrys ?

  • Non, je suis restée près de vous toute la journée. Je vais y aller sous peu.
  • Il doit être dans tous ses états. Il n’a subi que haine et violence dans cette pièce. Je crois que père descendait pour s’assurer qu’il ne se soit pas changé en démon ou pire. J’ai vu mon frère tant de fois couvert de bleus, le visage en sang…
  • Cela arrivait souvent ?
  • Oui. Il devait penser qu’en le battant, il allait réprimer cette chose qui ferait de lui celui qui mènerait le royaume au chaos. Mais elle n’a jamais existé. Jamais Père n’a songé que la prophétie n’était pas réelle, la mort de notre mère était l’ultime preuve de sa véracité pour lui. Pourtant, je suis née aussi ce jour-là.
  • Que s’est-il passé avec votre mère ?
  • L’accouchement s’est mal passé, elle a fait une hémorragie. Kaldrys a failli mourir avec elle. Père pensait qu’il était en vie car il avait aspiré celle de notre mère. »

Elle s’assit et attrapa la main de Sélène avant de reprendre d’un ton grave :

« Si Kaldrys l’a tué, cela n’aura été que justice. J’aimais mon père, mais ce qu’il lui faisait… personne ne devrait avoir à vivre cela. Surtout pas un enfant. Tu ne devras jamais dire à quelqu’un ce qu’il a fait, il serait condamné à mort.

  • Je ne dirai rien, promit Sélène.
  • Lorsque tu le verras, dis-lui bien que ses secrets ne seront pas dévoilés et que je retournerai là-bas de mon plein gré. Nous trouverons ensuite comment le révéler au royaume.
  • Il a à cœur de vous protéger, Altesse. Quelqu’un cherche à vous éliminer. Il ne faut pas oublier cela.
  • En tuant notre père, Kaldrys a effectivement placé une cible sur ma tête. Et le dévoiler maintenant apporterait la confusion au royaume. Certains en profiteraient pour semer le doute, aussi loyaux souhaitent-ils paraître. Le trône reste le trône. »

                        *

Sélène descendit les marches sombres avec appréhension. Elle ne savait pas dans quel état elle allait retrouver Kaldrys. Lorsqu’elle ouvrit la porte, la tension dans son corps retomba : il était assis sur le lit de fortune, les genoux remontaient contre son torse, le visage enfoui contre. Mais ce calme apparent l’inquiéta, davantage en voyant qu’il ne bougeait pas.

« Votre Majesté ? » l’interpela-t-elle doucement.

Sa voix le fit sursauter mais il ne bougea pas d’un pouce. Elle alla s’asseoir à ses côtés, déposa la nourriture, et bien qu’elle hésitât longuement, posa une main sur son épaule.

« C’est la grippe, dévoila-t-elle, votre sœur ira mieux d’ici quelques jours. »

Le silence répondit pour lui. Aussi Sélène décida-t-elle, et ce contre le protocole, de glisser sa main dans la sienne.

« Allez-vous bien, Votre Majesté ? s’enquit-elle, peinant à masquer un trémolo dans sa voix. Je peux faire quelque chose pour vous ? Peut-être un chocolat chaud ? Tout le monde dort à cette heure. »

La main du souverain se resserra sur la sienne, puis il releva finalement la tête. La pénombre de la pièce donnait à ses yeux une teinte sombre et triste.

« Pensiez-vous vous être débarrassé de moi ? poursuivit-elle avec un sourire. Il en faudra un peu plus ! Bon, je n’irai peut-être pas jusqu’en enfer pour vous retrouver, alors ne vous rendez jamais là-bas. »

Elle espéra le faire sourire, mais son expression resta la même.

« Je suis un bien piètre souverain, n’est-ce pas ? lâcha-t-il péniblement.

  • Pourquoi dites-vous cela ? Vous vous en sortez plutôt bien. »

Le voyant replonger de nouveau la tête, Sélène repensant à sa conversation avec Khiara. Elle avait devant elle l’enfant battu par son père, et Kaldrys en éprouvait une honte écrasante. Il lui était impensable de croiser son regard de peur qu’elle comprît à quel point il était brisé. Il avait enfoui tout ce qu’il avait pu ressentir, tout ce qu’il avait vécu au fond de lui ces dernières années. Mais son enfermement avait agi comme un tsunami sur les barrières de son esprit, repoussant et ravageant chacune d’entre elles. Le laissant psychiquement à nu.

« Majesté, ce que vous avez vécu… ne définit pas qui vous êtes aujourd’hui. Vous êtes… bien plus que ce que votre père voulait faire de vous. Je crois en vous, et votre sœur aussi. Alors, pourquoi pas vous ? Le royaume se porte bien, personne ne vous a démasqué, et ce n’était pas une mince affaire, n'est-ce pas ? Comment se fait-il que personne ne s’est jamais douté que vous n’étiez pas la princesse ?

  • Ils ont mis sur le compte du choc du décès de notre père les quelques absences que je pouvais avoir. Pour le reste, Khiara me parlait si souvent de ce qu’elle faisait là-haut, quelque part je vivais à travers ses récits. Et le temps a fini par combler mes lacunes.
  • Vous avez dû gouverner un royaume sans que personne ne vous prépare à cela. Vous tentez de changer les mentalités pour que votre sœur puisse un jour régner, et vous la protégez fort bien. Même si, admettons-le, cette pièce est loin d’être le meilleur endroit où la garder. Vous n’êtes… »

Elle hésita à poursuivre, ne sachant la réaction que cela engendrerait. Mais de tout son cœur, elle souhaitait l’aider.

« Vous n’êtes plus ce petit garçon. Il fait parti de vous, de votre histoire, mais ce n’est plus vous. Et vous l’avez prouvé. Votre père ne saura jamais quel homme vous êtes, il ne s’excusera jamais de ce qu’il vous a fait. Et personne ne vous demande de le pardonner, lui dit-elle doucement en serrant sa main. Ne le laissez plus vous atteindre. Et si vous voulez me parler de ces choses, je serais honorée de les écouter.

  • Honorée ? répéta-t-il sans comprendre.
  • Les cicatrices sont intimes, elles se partagent avec des amis. Et j’ose croire que nous le sommes. Pardonnez-moi si je suis trop présomptueuse. »

Quelque chose changea dans le cœur du jeune homme. Il pensa que Sélène était effectivement toute indiquée pour l’écouter se confier. Elle connaissait déjà plusieurs de ses secrets, mais il redoutait encore trop l’image qu’elle pouvait avoir de lui pour partager son passé.

Il comprit cependant une chose : il tenait beaucoup à elle, suffisamment pour se demander à quel point ils pouvaient être proches. Une amitié ? Il se surprit à vouloir plus que ça, et ce, envers et contre leurs rangs opposés. Il laissa toutefois cette pensée de côté : il ressentait peut-être cela car Sélène était un pilier du maintien de son secret.

Sans un mot, il se tourna et la serra doucement contre son torse. Surprise, elle le laissa tout de même faire et apprécia chaque seconde de cette étreinte maladroite.

« Merci. » chuchota-t-il d’une voix affectée.

Il se détacha d’elle tout aussi gauchement, embarrassé d’avoir céder à une pulsion. Finalement, un sourire apparut sur ses lèvres tel un soleil transperçant les nuages après un orage.

Sélène avait enlevé un poids sur le cœur du jeune homme. A présent libéré, son corps se raviva ; il se leva et fit quelques pas pour atténuer la douleur dans ses jambes. Resté assis toute la journée avait endolori ses muscles.

La femme de chambre décida que c’était le bon moment pour lui répéter les propos de sa sœur.

« Te semblait-elle allé mieux lorsque tu l’as quittée ? l’interrogea Kaldrys, inquiet pour sa jumelle.

  • Légèrement. Son état sera plus parlant demain matin j’imagine. Monsieur Zorian voulait que le médecin la revoie, mais votre sœur a dit de le faire venir uniquement si cela empirait.
  • N’a-t-il pas douté en voyant Khiara ?
  • Il n’a pas de raison de le faire puisqu’il ne connait pas votre existence.
  • J’en conviens, et j’imagine qu’il était très inquiet.
  • Vous devriez manger, Votre Majesté » l’encouragea Sélène en tirant le plateau vers lui.

Il hocha la tête puis picora quelques fruits, songeant qu’il la retenait alors qu’elle devrait dormir. Pendant qu’il mangeait, il la vit bailler à s’en décrocher la mâchoire plusieurs fois puis, la tête posée sur le dos de sa main, ses yeux commencèrent à se fermer. Il ne chercha pas à la maintenir éveillée, au contraire, il fut ravi de la voir s’endormir.
Dès qu’il fut certain qu’elle ne se réveillerait pas, il fit glisser le plateau sur le sol pour faire de la place et l’allongea délicatement dans le lit de fortune. Il avait parfaitement conscience que ce n’était pas convenable, mais s’en moqua. Ici, personne ne les surprendrait. Et il ne comptait pas sur le sommeil pour le trouver dans cette fichue pièce lui rappelant sans cesse son passé.

Il attrapa un livre à la couverture sombre et assis à côté de sa servante, commença à lire les premiers mots d’un conte.

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