Chapitre 5.5

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Le cœur battant la chamade, Sélène avait pris le chemin des rues de la capitale. Ses pieds se rappelaient parfaitement de la sensation des pavés anthracites de celles-ci. Elle ne les avait que trop empruntés avant de rejoindre le service de Sa Majesté.

Son cœur fit un bond dans sa poitrine lorsqu’elle vit l’enseigne du tailleur – un fin ouvrage en fer représentant un ciseau, cadeau d’un client à son père.

Elle resta quelques instants à regarder la maison. Sa maison. Elle avait pensé ne plus jamais voir ses murs en pierres grises, son épaisse porte en bois de chêne et ses petites fenêtres rectangulaires dont son père n’avait de cesse de se plaindre tant elles ne laissaient entrer que peu de luminosité une fois fermées.

Son cœur se serra à la pensée que celui-ci devait désespérer de revoir un jour sa fille chérie. Avait-il bien reçu sa lettre ?

Elle entra dans la pièce principale où nombre d’étoffes toutes plus colorées les unes que les autres étaient entreposées. Elle fut surprise de ne pas entendre le rire gras de son père – il plaisantait toujours avec sa femme qui l’aidait à tenir l’affaire ou avec ses clients – et le chercha du regard. Elle s’avança lentement, scrutant du regard chaque centimètre de la salle lorsqu’elle vit une silhouette grisonnante assise sur un tabouret, le dos voûté comme un vieillard, regardant dans le vide, les bras pendants, une aiguille dans une main, une étoffe dans l’autre.

Cette vision lui saisit le cœur.

« Papa ? »

L’homme ne bougea pas, se contentant d’un profond soupir. Pensait-il avoir rêvé ? Sélène s’approcha un peu plus et l’appela de nouveau. Il eut un bref instant d’hésitation, puis sa tête pivota vers sa fille. Il resta figé, bouche bée pendant quelques secondes avant de bondir sur ses pieds pour venir l’étreindre.

« Ma Sélène ! Mais que… qu’est-ce que tu fais ici ? Oh ma fille ! Ma chérie ! Je suis si heureux de te voir ! »

Il la serra si fort qu’elle en eut le souffle presque coupé.

« Sa Majesté m’a donné son accord pour vous rendre visite. Où est maman ?

  • Sa Majesté t’a… ? Elle est partie donner sa commande à un client. Elle ne devrait plus tarder. Sa Majesté a-t-elle changé d’avis ? »

Elle lut l’espoir dans ses yeux, mais fut obligé de lui dire la vérité aussi pénible fût-elle.

« J'ai reçu ta lettre. Est-ce que tu es bien traitée là-bas ? Vraiment ? La reine ne t’en faut pas trop voir ? Oh, mais tu ne dois pas la voir souvent.

  • A dire vrai… par un concours de circonstances étranges… je suis devenue première femme de chambre, l’informa-t-elle avec un sourire.
  • Comment est-ce possible ? Est-ce pour te punir à loisir ?
  • Papa, rit Sélène, pour qui est-ce que tu prends la reine ?
  • Je connaissais son père, un homme doux, gentil et soucieux de son peuple. Elle, m’a semblé bien froide, comme si rien ne pouvait pénétrer son cœur.
  • Elle pensait que tu voulais la tuer ! protesta-t-elle. Il y avait de quoi ne pas être conciliant.
  • Certes, admit son père en lui jetant un regard inquiet. Dis-moi tout, comment est-elle ? Elle ne te fait pas travailler trop dur pour se venger de moi ? »

Sélène sourit et ils s’assirent ensemble sur deux tabourets. Son père lui prit aussitôt la main, voulant la pousser à se confier. Elle le rassura immédiatement : Sa Majesté était tout à fait charmante. Elle lui expliqua dans les grandes lignes en quoi consister son travail, sans jamais mentionner la vraie Khiara ou Kaldrys. Elle avait entièrement confiance en lui, bien sûr, mais ces secrets ne lui appartenaient pas. Elle lui révéla cependant comment elle s’était retrouvée première femme de chambre.

« Bougresse ! lança son père en fronçant les sourcils. Ma foi, cette fille aura eu ce qu’elle méritait. »

Puis il regarda Sélène, un peu honteux.

« Je ne devrai pas juger trop vite cette Annabelle, après tout, j’ai tenté de faire la même chose. Mais on ne m’avait pas payé, moi ! »

Sa mine s’assombrit brusquement et ses yeux s’embrumèrent.

« Je ne voulais pas vous perdre toutes les deux. Mais je dois avouer… je n’aurais pas été capable de tuer la reine. J’ai levé le ciseau derrière elle et… je n’ai pas pu, avoua-t-il.

  • Papa, ils nous auraient probablement tués même si tu l’avais fait. Si les gardes de Sa Majesté n’étaient pas venus ici, c’est ce qui serait arrivé. Si tu l’avais tué, tu ne serais peut-être plus en vie toi aussi.
  • Oh, pendant que j’y pense ! » fit-il soudainement en se levant d’un bond.

Il chercha frénétiquement dans des tiroirs sous les yeux interloqués de sa fille. Dès qu’il trouva l’objet de ses pensées, il revint vers Sélène et lui tendit sa main. Dans sa paume se trouvait une petite pièce de métal frappée d’un blason qu’elle ne connaissait pas.

« Nous l’avons trouvé quelques jours après que ces hommes soient venus, ceux avec les armures noires. J’ai cru tout d’abord qu’un client l’avait égaré. Mais aucun de mes clients ne m’a jamais donné ce genre de monnaie. Tu devrais la donner à Sa Majesté, peut-être saura-t-elle d’où elle vient ? Dis-lui bien que je n’essaye pas de l’envoyer sur une fausse piste ! »

Sélène regarda la pièce de plus près : deux épées s’entrecroisaient sur une face, formant une croix. Elle n’en avait jamais vu de semblable et douta qu’il s’agissait véritablement d’une pièce de monnaie.

« Si elle appartenait bien à l’un de ses hommes, cela pourrait aider Sa Majesté à trouver qui en veut à sa vie.

  • Peut-être t’autorisera-t-elle à nous rendre de nouveau visite alors ? s’enquit son père avec un large sourire.
  • Je vois que certains ne perdent pas le nord, ici » se moqua-t-elle.

Elle le prit dans ses bras et promit de ne pas laisser passer encore deux mois entiers avant de lui rendre de nouveau visite. La joie de son père la galvanisa et lorsque rentra enfin sa mère, l’heureuse surprise de celle-ci réchauffa son cœur.

C’est comblée et le cœur léger qu’elle repartit au palais.

« Comment votre leçon s’est-elle passée ? demanda-t-elle à Sa Majesté dès qu’elle la retrouva dans sa chambre.

  • Fort bien. Nous serons bientôt la plus fine lame du royaume. Tes parents devaient être plus que ravis de te revoir, et nous remarquons que toi aussi. »

Elle s’avança vers lui avec précipitation, à la fois impatiente et tendue de lui montrer la pièce. Elle guetta sa réaction en même temps qu’elle lui dévoilait son origine. Le souverain l’examina avec attention, mais dû reconnaitre son ignorance quant au blason.

Ils décidèrent tous deux de l’amener à Khiara pendant la nuit. Et lorsque celle-ci posa les yeux dessus, son regard se figea.

« Je connais ce blason. C’est celui de Nouvelle Aube, un groupe de mercenaire. »

Dès qu’elle eut prononcé ce nom, l’angoisse figea ses traits. Kaldrys et Sélène la regardèrent soucieusement, et tous deux craignirent ce qu’elle allait dévoiler.

« Il y a des années, ils sont arrivés ici même, à la capitale, proposant leurs services à tous ceux qui pourraient se les offrir. Ils prônaient la liberté dans sa forme la plus pure. Ce sont des fanatiques. Père les a chassés sans relâche jusqu’au dernier, mais un groupe s’est échappé et je ne doute pas qu’ils aient retrouvé des fidèles pour leur cause depuis.

  • Où ce sont-ils enfuis ? demanda son frère.

Ils sont partis en direction de la côte, dans le royaume de Vathia, celui de Sa Majesté Christan Jakarter. »

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