Chapitre 5.6

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Furieux contre lui-même, Kaldrys arpentait la pièce de long en large, fulminant intérieurement. Plongé dans ses réflexions, il ne vit pas les regards inquiets de Khiara et de Sélène. Sa sœur tenta de le calmer, mais il explosa :

« Tu ne comprends pas, c’est ce Dameric qui est derrière tout ça ! Et nous l’avions ! Mais nous avons été assez stupide pour le renvoyer chez lui ! Nous l’avions ! »

Il fit volte-face et poursuivit son incessant balais d’aller-et-retour.

« Kal, tu dois te calmer ! Nous allons trouver une solution, ensemble, essaya de l’apaiser sa sœur.

  • Nous aurions dû nous en douter, son insistance, sa manière de sourire, ses promesses… sa violence lorsque nous avons refusé de l’épouser.
  • Votre Majesté, tenta Sélène en se plantant devant lui, vous ne pouviez le deviner. Il n’allait tout de même pas vous montrer ses réelles intentions ! Il a tenté de vous conquérir quand il a vu que les assassinats échouaient. J’ignore pourquoi il n’a pas commencé par essayer de vous séduire, d’ailleurs.
  • Ce n’est pas lui que nous devions rencontrer, mais son frère Hector, les informa-t-il plus calmement. Il ne devait pas être certain de pouvoir l’évincer, et si nous l’avions pris pour époux, il n’aurait pu le tuer sans s’attirer les foudres de toute sa famille. C’est un homme d’ambition, nous devons lui reconnaître cela.
  • Que comptes-tu faire ? demanda Khiara.
  • Zorian doit être mis au courant, il saura nous guider. Ce n’est assurément pas le moment de déclencher une guerre.
  • C’est assurément le bon moment pour te révéler, mon frère ! corrigea-t-elle, les mains sur les hanches. Tu es un homme, personne ne contestera ta légitimité au trône.
  • Notre légitimité au trône, veux-tu savoir ce que nos ennemis en pensent ? Nous sommes dans la même position que toi ! Ils chercheront à nous éliminer ! Le seul avantage que nous ayons, c’est qu’ils ne savent pas que nous sommes deux. »

Khiara consentit qu’il avait raison. Le plus grand espoir de maintien du royaume d’Ymirgas résidait dans le secret des jumeaux. Si l’un mourait, l’autre pourrait légitimement en hériter. La place ne serait pas vacante et cela empêcherait certains de se lancer à la conquête du trône. Il aurait fallu être sot pour imaginer que le prince Dameric Jakarter était le seul intéressé…

Dès le lendemain matin, le souverain présenta la pièce à son fidèle conseiller qui reconnut immédiatement l’emblème sur celle-ci. Cependant, après lui avoir partagé ses conclusions, le vieil homme modéra immédiatement ses ardeurs.

« Je suis de votre avis, Majesté, Son Altesse Dameric est très probablement derrière ces tentatives d’assassinat. Cependant, et croyez en mes sincères excuses, cela n’est nullement suffisant pour l’accuser.

  • Cette pièce provient de l’un des assaillants des Loyel, rétorqua-t-il.
  • Bien, admettons ! Avez-vous vu de vos yeux Son Altesse Dameric s’accoquiner avec ces vauriens ?
  • Non.
  • Quelqu’un d’autre peut-être ? persista Zorian en arquant un sourcil.
  • Non.
  • Je sais que cela est difficile, mais sans preuve, nous ne pouvons demander à son père réparation.
  • Que faire alors ?
  • Vous, rien. Vous allez poursuivre vos activités comme à l’habitude. Nous ne voudrions pas que nos ennemis sachent que nous savons qui ils sont, n’est-ce pas ? Quant à moi, je m’efforcerai de relier Son Altesse Dameric Jakarter à ses méfaits. »

Il plaça ses deux grandes mains squelettiques sur ses épaules et posa sur lui un regard paternel.

« Je vous promets que vous ne subirez pas le sort de votre père. J’en fais le serment, Majesté. »

Kaldrys eut l’impression d’être écarté de l’affaire mais il savait Zorian bien plus apte à la gérer. L’homme se trouvait être une poigne de fer dans un gant de velours ; personne n’était plus indiqué que lui pour éviter une guerre.

Rongeant son frein, Kaldrys s’était réfugié dans son salon. Il tournait et retournait la situation dans sa tête. Il devait y avoir une solution pour montrer l’implication du prince dans ces tentatives d’assassinat ! Après un long moment, force fut de constater qu’elle n’était pas si évidente… Tous ses espoirs se portèrent alors sur Zorian.

Quelqu’un frappa à la porte, le tirant de ses songes, et Sélène apparut. Elle affichait un léger sourire qu’elle communiqua malgré elle au souverain.

« Êtes-vous prête, Votre Majesté ? demanda la jeune femme.

  • Pour quoi donc ?
  • Votre première leçon ! s’enthousiasma-t-elle.
  • Maintenant ? Mais…
  • Pardonnez-moi de vous interrompre, mais je commence à vous connaître, Majesté. Vous ne pouvez rien faire contre ce prince pour l’instant, concentrez-vous donc sur quelque chose où vous pouvez agir ! »

L’amusement étira les lèvres de Kaldrys ; la timidité de sa jeune femme de chambre s’était entièrement envolée. Celle-ci allait passer la porte en sens inverse, mais Sa Majesté la retint. Sélène tourna des yeux interrogatifs vers elle tandis que Kaldrys saisissait sa main.

« Nous devons te dire quelque chose, commença-t-il sur le ton de la confidence. Nous sommes absolument ravie de t’avoir rencontrée. Nous n’irons pas jusqu’à louer l’acte de ton père, mais… nous sommes heureuse que tu sois là aujourd’hui. »

La chaleur monta aux joues de l’intéressée en même temps que son cœur accélérait brusquement. Et lorsqu’elle le vit s’avancer davantage, le flux de ses pensées se précipita brusquement dans son esprit. Qu’est-ce qu’il fait ? Il ne va tout de même pas… Non, il ne peut pas m’embrasser ! Sa sœur comprendra dès qu’elle me verra ! Je ne pourrai jamais le lui cacher !

Il glissa ses doigts sous son menton et déposa un tendre baiser sur sa joue rouge. Puis il recula et lut l’inquiétude dans les prunelles de Sélène.

« Pardonne-nous si cela t’a embarrassée. Il est vrai que nous faisons fi des convenances avec toi. Mais nous sommes seules, personne ne viendra nous tirer l’oreille, la rassura le souverain. Nous y allons ? »

Sélène acquiesça d’un simple signe de tête, ne voulant encourager son comportement. Il valait mieux ne pas y réagir, se répétait-elle en se rappelant l’avertissement de Khiara.

Elle le mena dans l’une des salles de réception où plusieurs chaises avaient été disposées, formant deux lignes. Là, Sa Majesté découvrit avec stupéfaction qu’environ un quart de ses domestiques – les plus jeunes – étaient présents. L’émerveillement se lut sur son visage.

« Vous voilà bien plus nombreux que nous l’espérions, fit-il en regardant fièrement chacun d’eux tour à tour. Eh bien, nous espérons que nous serons à la hauteur.

  • Vous le serez, Votre Majesté, il ne peut en être autrement » s’enthousiasma le jeune Thaniel dont les yeux posés sur la reine étincelaient de mille feux.

Kaldrys eut pour lui une expression toute particulière que Sélène ne lui avait encore jamais vu. Elle se douta que ces deux-là partageaient une histoire mais elle n’en avait jamais entendu parler. Et lorsqu’elle vit le valet aller au-devant de Sa Majesté pour placer une chaise face au deux rangés, la prévenance du jeune homme tomba sur elle comme une masse. Alors quoi ? Je ne suis pas la seule à qui il accorde sa confiance ? Thaniel sait ? Arrêtez de lui sourire aussi bêtement, Votre Majesté !

Un court instant, elle crut que le souverain avait entendu ses pensées. Kaldrys avait dirigé son regard sur elle au même moment, ce qui la fit se sentir très bête.

Dès que Sa Majesté les invita à s’asseoir, les domestiques prirent place sur les chaises. Sélène s’apprêtait à prendre la dernière, au premier rang, face au roi, lorsque Thaniel s’y assit sans même la voir. Elle se figea et chercha une autre chaise du regard, grommelant intérieurement. Hélas, comme elle l’avait remarqué auparavant, il n’en restait plus une de libre.

« Prends celle-ci, s’éleva la voix de Kaldrys en posant sa main sur la chaise apportée par Thaniel. Il serait sans doute malvenu pour un professeur de s’asseoir. Si nous restons debout, vous pouvez tous nous voir. »

Elle adressa de nouveau un sourire à Thaniel qui prit un air désolé, se reprochant de ne pas y avoir penser. Sélène le remercia et lança un regard en coin au jeune valet. Et voilà ! Bien fait pour toi ! Elle prit la chaise et la plaça dans le prolongement du premier rang.

Enfin la leçon pouvait commencer.

Sa Majesté commença par demander si certains avaient quelques connaissances en écriture. Seule Sélène leva la main. Il songea que du papier et de l’encre aurait été nécessaire pour commencer, mais il n’avait rien prévu, et sa femme de chambre non plus. Sa première leçon prenait le chemin du fiasco.

« Bien, nous verrons l’écriture plus tard, soupira-t-il en se promettant d’être mieux préparé la prochaine fois. Quelqu’un peut-il dire quelles sont les bienfaits de la lecture ? »

Les domestiques se regardèrent, cherchant qui parmi eux saurait répondre à la question. Sélène, elle, n’avait qu’une cible : Thaniel. Le jeune homme faisait mine de vouloir lever la main avec la même assurance qu’un chiot faisait ses premiers pas. Ce fut donc avec plaisir qu’elle le devança.

« La lecture permet d’ouvrir son esprit à la réflexion et au savoir. Elle permet aussi de s’évader, mais dans notre cas, ce n’est pas ce qui nous intéresse.

  • Exactement » la félicita Sa Majesté sous les regards envieux des autres.

Kaldrys expliqua ensuite le but de son projet, dévoilant sa volonté d’élever les femmes au même rang que les hommes. Aussi les informa-t-il d’une décision qu’il venait de prendre à l’instant : dès lors que la lecture leur serait aisé, tous pourraient emprunter des livres dans la bibliothèque du palais à condition de les rendre dans le même état.

Il y eut un léger instant de flottement où tous le dévisagèrent comme si il avait perdu la tête. C’est alors que Thaniel se leva pour encourager à haute voix le projet de son souverain. Il y mit tant de passion et d’entrain qu’il finit de convaincre les domestiques de la viabilité du projet. Tous se révélèrent emballés à l’idée d’apprendre la lecture et l’écriture.

Sélène remarqua le regard reconnaissant que le souverain dirigeait sur Thaniel. Elle aurait voulu l’ignorer, mais son cœur se serra.

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