Chapitre 6 : Affrontements

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  Quelques semaines avaient passé ; Sa Majesté n’avait plus à envier à son meilleur soldat son niveau d’escrime. Et ses leçons avaient donnés d’excellents résultats sur ses domestiques ; ils furent si satisfaits de leur apprentissage que d’autres finirent par les rejoindre.

Kaldrys était ravi de la tournure des événements. Et si Zorian s’était montré discret ces derniers temps, c’est avec une idée derrière la tête qu’il le rejoignit à la bibliothèque tandis qu’il choisissait la lecture de sa prochaine leçon.

Il le découvrit en équilibre sur une chaise, étirant son corps au maximum afin de saisir un ouvrage bien trop haut pour lui.

« Votre Majesté ! le gronda-t-il par peur qu’il ne se brisât le cou. Ne pouvez pas demander à quelqu’un de faire cela ? Et si vous tombiez ? Et si vous vous rompiez le cou ?

  • Allons mon ami, tout le monde a suffisamment à faire et… nous l’avons… presque ! fit-il en touchant pénible la couverture du bout des doigts.
  • Majesté ! Descendez, je vous en prie ! Je vais l’attraper pour vous. »

Au même moment, l’un des côtés de la chaise se souleva brusquement, et le souverain s’accrocha à l’étagère pour ne pas tomber, laissant échapper un cri de frayeur. Il parvint à la rééquilibrer in extremis, et à faire reposer les quatre pieds sur le sol.

Zorian le regarda avec un air désapprobateur et soupira de soulagement face à la catastrophe évitée. Kaldrys lui adressa un sourire gêné et descendit précautionneusement de son support. L’homme passa à côté, fronçant les sourcils, grimpa sur la chaise et tira habilement l’ouvrage de l’étagère.

« Vous en faut-il un autre ?

  • Non, cela ira. Vous venez de sauver notre prochaine leçon ! dit-il avec entrain.
  • Votre Majesté, j’ai été bien occupé ces derniers temps, aussi n’ai-je pas pu vous dire ce que je pensais de cela…
  • Oh, nous pouvons assurément nous en passer, se moqua-t-il en esquissant un sourire.
  • Je vais quand même vous le dire : ce n’est pas votre rôle ! Vous deviez vous marier, vous en souvenez-vous ? La liste de vos prétendants s’étant drastiquement réduite, votre choix ne peut se porter que sur le jeune Cassian Porel. Le conseil et moi-même pensons que cela doit être fait rapidement ! Plus vite vous aurez un héritier, plus vite le royaume sera en sécurité !
  • Le conseil… nous aurions bien deux mots à lui dire si seulement nous pouvions le voir ! Pourquoi ne pouvons-nous y assister ? Il en va de notre avenir, non ?
  • Vous êtes une femme ! grommela Zorian qui en avait assez de ce dialogue de sourd. Ne vous en déplaise, vous allez obéir, Votre Majesté ! Je pensais pouvoir vous résonner, vous sembliez prendre votre rôle au sérieux, mais tout ceci n’était que pure perte de temps !
  • Vous vous êtes donc fait rouler par une femme ! souligna Kaldrys avec un regard dur. Voilà qui doit blesser votre ego.
  • Il y a des limites à ne pas franchir, Votre Majesté. Pensez vous que votre père serait fier de vous voir refuser…
  • Ne me parlez pas de mon père » le coupa-t-il froidement.

Zorian se tut. Il ne lui connaissait pas le regard sinistre qu’il lui lançait. Ce fut à ses yeux le signe de la profonde souffrance qu’il éprouvait face à la perte de son père. Une douleur jamais exprimée. Il décida donc de se radoucir :

« Je sais comme vous souffrez de son absence. Vous n’êtes qu’une douce jeune femme au cœur tendre, et vous…

  • Cessez de nous infantiliser. Cessez de nous rabaisser. Nous ne sommes pas une petite chose frêle et délicate, Zorian. Nous avons su nous défendre face à ce prince pour lequel vous nous avez livrée en pâture !
  • Les gardes sont intervenus pour vous secourir, non ?
  • Sélène est intervenue ! corrigea-t-il. Ils ne sont arrivés qu’après pour l’arrêter.
  • Et de ce que j’en sais, vous n’en étiez pas débarrassée !
  • Pourquoi ne voulez-vous pas reconnaître que nous pouvons gouverner aussi bien qu’un homme ?
  • Là n’est pas votre rôle.
  • Notre rôle est de veiller sur ce royaume et sur ces habitants !
  • Et vous le feriez en vous mariant. Mais vous vous entêtez à vouloir prendre un chemin pour lequel vous n’avez pas la carrure. Mais très bien, désormais je sais à quoi m’en tenir. Je vais en informer le conseil et nous prendrons les dispositions qui s’imposent.
  • Faites ce que vous voulez, nous refuserons. Attachez-nous, trainez-nous devant l’autel comme une vulgaire jument si vous le souhaitez, nous refuserons. Par tous les dieux, nous refuserons !
  • J’aimerais que les choses soient différentes, Majesté. Hélas, vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-même. Je vous conseille de vous y préparer. »

Il quitta la salle, laissant le souverain complètement dévasté. Il se laissa tomber sur la chaise, amorphe, le cœur prit dans un étau. Sous le choc, son esprit s’était entièrement vidé. Il resta là un long moment, espérant parvenir à reprendre le dessus. La seule chose que ces pensées lui commandèrent fut de rejoindre sa chambre. Ce qu’il fit en évitant soigneusement ses domestiques.

                        *

Sélène avait apporté le dîner de Sa Majesté dans son salon. Elle avait attendu, longuement, mais le souverain ne s’était jamais présenté. La salle de réception où il mangeait parfois était vide, elle-aussi. Elle prit le chemin de la chambre royale, le corps tendu. Quelque chose clochait, ce n’était pas habituel.

Lorsqu’elle entra, la vision du souverain assis contre son lit, les jambes relevées contre la poitrine et la tête enfouie contre, lui serra le cœur. Elle se précipita à ses côtés et demanda d’une voix douce ce qui était arrivé. Lorsque le roi releva la tête, ses yeux rouges et gonflés ainsi que son expression désespérée lui indiquèrent que la situation était grave.

« Que s’est-il passé ? Je vous attendais dans le petit salon pour le dîner, s’enquit Sélène en déposant une main amicale sur son épaule. Pourquoi êtes-vous dans un tel état ?

  • Nous… Je… J’ai échoué. Zorian et le conseil veulent que la reine épouse Cassian Porel, et qu’elle le veuille ou non. Ils l’obligeront.
  • Le peuvent-ils ? Votre père ne peut pas accepter à votre place puisqu’il est mort.
  • Zorian le peut. La reine est sa pupille, en quelque sorte.
  • Ne pouvez-vous pas… changer de conseil ?
  • Cela ne servirait qu’à gagner du temps. D’autres prendraient leurs places, mais ils auraient le même avis qu’eux, expliqua Kaldrys en essuyant ses larmes. La reine doit se marier ! Pourquoi ne veulent-ils pas comprendre qu'elle restera un obstacle ? Quant à son époux, il subira le même sort, la mort. Je ne peux nier que le roi Drasyl a su tenir en respect tous ces rivaux… Finalement, il avait sans doute raison. Je vais amener le chaos à Ymirgas… J’ai toujours cru que tout cela était faux parce que c’est ce que ma sœur me disait, mais… »

Sa tête retomba comme celle d’une marionnette. Le cœur lourd, il ne parvenait pas à trouver de solution. Il douta que sa sœur pût l’aider. Le désespoir s’emparait peu à peu de lui.

« Ne dîtes pas cela, Votre Majesté. Nous allons trouver une solution, ensemble, fit-elle en caressant délicatement son épaule du pouce.

  • Je ne vois pas comment… »

Devant sa mine affligé, Sélène s’autorisa à glisser sa main dans son dos pour le réconforter. Plus elle le regardait, plus elle se sentait happée par la détresse du jeune homme. Lorsqu’elle pensait à la vie qu’il avait eu jusqu’à maintenant, elle le plaignit sincèrement. Il lui fallait l’aider, trouver une solution afin qu’il cessât de penser que tout était sa faute.

Soudain, elle se figea. Ne sentant plus les mouvements de sa main dans son dos, Kaldrys releva la tête vers elle. Elle avait une idée ! Il put le lire dans son regard.

« Majesté, vous allez accepter de vous marier.

  • Sélène, c’est ce que je cherche à éviter, lui précisa-t-il, ahuri.
  • Je sais, mais vous allez imposer une condition : vous vous marierez lorsque tout danger sera écarté. A ce moment-là, votre sœur ne courra plus aucun risque, et vous pourrez vous révéler.
  • Zorian insistera… Il dira qu’un mariage et un héritier seront les seules choses qui pourront mettre le royaume à l’abri.
  • Vous lui direz que vous vous refusez à mettre la vie de votre futur époux en danger. Que le prince Dameric n’aura de cesse de s’en prendre à vous avant d’avoir réussi à vous tuer et qu’ajouter un nom de plus sur sa liste ne lui fait probablement pas peur. »

Kaldrys la regarda soudain avec beaucoup d’admiration. Aurait-il pu espérer meilleur allié qu’elle ? Il en douta.

« Sélène, tu es merveilleuse, lâcha-t-il en plongeant ses prunelles azuréennes dans les siennes. J’aurais dû y penser, mais j’étais si accablé par mon incompétence que je n’y suis pas parvenu.

  • Vous n’êtes pas incompétent, Votre Majesté. Il est normal de céder à ses émotions. Être un homme ne fait pas de vous une forteresse impénétrable, froide et dure. Vous ressentez tout aussi bien que moi, il serait stupide de penser le contraire. Vous avez donc autant le droit de crier, de pleurer ou de vous laisser aller à vos émotions. »

A cet instant, Kaldrys prit conscience à quel point il aimait la jeune femme devant ses yeux. Bien sûr, il l’a trouvé très belle – bien que certains l’auraient sans doute trouvé quelconque aux vues de son rang – mais elle était plus que ça. Il trouvait chez elle des qualités plaisantes ; elle était douce lorsqu’il le fallait, mais pouvait se révéler être une vraie lionne, comme à leur rencontre dans la salle du trône. Sa compassion n’avait d’égale que sa bienveillance. Sa générosité était donnée sans arrière-pensée. A ses yeux, cela faisait d’elle une sainte. Et s’il avait poussé son raisonnement plus loin, il aurait pu croire à l’incarnation de la déesse qui avait bercé son enfance.

Le cœur plus léger, il vint caresser la joue de Sélène du dos de sa main. Cette fois, ses pommettes de la trahirent pas, et elle profita de ce contact. Leurs regards s’entremêlèrent, puis leurs mains. A ce moment-là, Sélène se ficha bien de l’avertissement de Khiara. Elle ne souhaitait qu’une chose, que Kaldrys sache ce qu’elle ressentait pour lui.

Elle fit le premier pas, déposant avec douceur ses lèvres sur les siennes et espérant qu’il lui rendrait son baiser. Elle ne pouvait imaginer à quel point il fut ravi de son geste car il avait toujours craint qu’elle ne se sentît obligée de feindre de l’intérêt pour lui s’il l’embrassait en premier.

Et ce fut avec tendresse qu’il l’embrassa, priant secrètement pour que ce moment n’ait jamais de fin.

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