Chapitre 6.3

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Depuis le début de la matinée, le petit salon privé de Sa Majesté voyait se dérouler des parties d’échec entre Kaldrys et Sélène. Celle-ci étant débutante, il lui avait expliqué les règles sans pour autant la laisser gagner. Après deux parties perdues malgré les conseils du jeune homme, Sélène commençait à trouver le jeu peu amusant. Elle le poursuivit uniquement pour lui faire plaisir.

« Est-ce votre sœur qui vous a appris ? chuchota-t-elle.

  • Nous ne pouvons rien te cacher, sourit-il, mais Khiara est bien plus forte et elle n’a aucune pitié.
  • Parce que vous essayez de me laisser gagner peut-être ?
  • Si nous te laissions gagner, tu le saurais et cela ne t’aiderait pas à t’améliorer. Souhaites-tu que nous te laissions gagner ?
  • Non, j’y arriverai après avoir appris les règles, Votre Majesté. »

Kaldrys se rapprocha légèrement et murmura en la regardant comme si elle était l’une des sept merveilles du monde :

« Peut-être pourrais-tu nous appeler par notre prénom lorsque nous sommes seuls ?

  • Et risquer que l’on nous entende ? Vous voilà bien insouciant.
  • C’est l’effet que tu as sur nous.
  • On me prête bien des défauts, Majesté, mais pas celui d’amoindrir les capacités intellectuelles.
  • Serais-tu en train de nous traiter d’idiot ? s’amusa-t-il.
  • Je n’oserais pas !
  • Nous l’autorisons. Tu es la seule personne à pouvoir nous traiter d’idiot sans en subir les conséquences.
  • Des conséquences parfaitement fâcheuses, assurément !
  • Tu te moques ? Encore ? »

On n’aurait pu dire lequel des deux prenaient le plus de plaisir à la compagnie de l’autre.

Kaldrys avait l’impression que son bonheur n’avait plus aucune limite lorsqu’il se retrouvait seul avec Sélène. Il la faisait se sentir si spéciale que la jeune femme cherchait constamment à passer du temps avec lui. Cela se révélait parfois difficile, si le conseil gérait une partie des affaires du royaume d’Ymirgas, l’autre partie occupait grandement Sa Majesté. Et ses leçons ne lui laissaient que peu de temps pour ses loisirs.

Sélène déplaça hasardement sa tour, et vérifia dans le regard de Kladrys si son mouvement était bon. Le voyant afficher un sourire crispé, elle ne put que constater son erreur. Et sa tour fut capturée par un simple pion.

« Non ! Attendez, laissez-moi revenir en arrière, protesta-t-elle, je savais que je n’aurai pas dû la placer ici.

  • Trop tard, ma chère. Elle est perdue.
  • Laissez-moi une chance ! Je pense savoir pourquoi vous affectionnez particulièrement ce jeu. Si j’ai raison, permettez-moi de rejouer mon coup.
  • Bien, nous t’écoutons.
  • C’est évident, Votre Majesté. Deux choses vous attirent : vous aimez la stratégie et voilà une dame de qui on ne peut pas se passer, la perdre signifie la fin de la partie. Même fictive, cette reine vous inspire.
  • Ne trouves-tu pas étrange que ce jeu est conduit à faire d’une femme la pièce maitresse ?
  • Cela veut-il dire que j’ai raison ? »

En guise de réponse, il lui rendit sa tour, arborant un sourire amusé. Et lorsqu’il la vit réfléchir intensément à son prochain coup comme si sa vie en dépendait, son cœur fondit. Il la trouva terriblement adorable.

« Je vous vois, n’essayez pas de me déconcentrer avec vos sourires ! » grogna Sélène en lui jetant un regard faussement sévère.

Elle allait enfin placer sa tour lorsque quelqu’un frappa à la porte.

Zorian entra, et s’excusa de les avoir interrompus. La mine si grave que l’homme pourtant familier sembla être un étranger à Sa Majesté.

« Qui a-t-il ? » s’enquit Kaldrys.

La cage thoracique du conseiller se gonfla, ses yeux restèrent figés et il baissa un instant les yeux.

« Zorian ? » insista-t-il en se levant, inquiet.

L’homme dévisagea Sélène du regard, puis inspira profondément. Peu lui importait qu’elle fût là, elle finirait par le savoir.

« Un messager est arrivé du village de Sircas, Votre Majesté. Il a été entièrement décimé. »

Sircas était proche de la frontière avec le royaume de Vathia, au nord. C’est pourquoi un nom vint dans tous les esprits : Dameric Jakarter. Médusé, Sa Majesté resta sans voix.

« Ils ont laissé un homme en vie pour qu’il porte ce message » dit-il en lui tendant une missive donc le sceau de cire avait été brisé.

Kaldrys l’attrapa et lut tout haut :

« A la garce orpheline, je vais te faire regretter d’être née. Tu supplieras pour que je te laisse la vie. Tu ramperas devant moi comme la chienne que tu es. Tu regretteras de ne pas m’avoir tué. Viens donc me chercher, le porteur de ce message saura te dire où je suis. Sache que j’accepterai ta reddition si tu viens à genoux la demander. Dameric Jakarter. »

Zorian et la souveraine échangèrent un regard entendu. Ils savaient ce que cela signifiait. Mais ce fut Sélène qui prononça le terme :

« Est-ce… une déclaration de guerre ?

  • Exactement, répondit le roi. Zorian, a-t-on raison de penser que Christan Jakarter ne fera rien contre son fils ?
  • Je vois que nous pensons la même chose, conclut le conseiller. Si le prince parvenait à se saisir du royaume, cela serait un ajout considérable à Vathia. Et s’il échoue, alors il n’aura qu’à répudier son fils en jurant avoir ignorer son acte pour maintenir la paix. Ainsi il ne sera jamais perdant.
  • Le prince veut nous attirer loin de la capitale, là où il aura eu le temps de préparer son attaque. Nous devons nous préparer à l’affronter.
  • Votre Majesté… vous ne comptez tout de même pas vous rendre là-bas ? s’alarma Zorian dont le corps s’était figé.
  • Nous serions bien piètre souveraine si nous restions cachée au palais tandis que nos hommes partaient nous défendre. Nous avons juré de servir le peuple et de le protéger. Sircas a payé le prix de notre indulgence, c’est à nous de répondre de nos erreurs.
  • Sauf votre respect, Majesté, vous êtes une femme. Une femme ne fait pas la guerre !
  • Ridicule ! Lorsque les hommes partent sur le front, ce sont les femmes qui assurent la défense des villes et villages. Vous rappelez-vous la bataille des couturières ? Elles se sont vaillamment battues et en sont ressorties victorieuses. Elles n’avaient pas reçu d’entrainement à l’épée ou de leçon de stratégie.
  • Vous ne pouvez y aller, persista le conseiller.
  • Et comment comptez-vous nous en empêcher ? Allez-vous nous attacher ? Nous enfermer dans notre chambre ? Dans les geôles ? Il faudra bien plus que cela pour nous garder ici !
  • Permettez-moi, Majesté : vous êtes une jeune femme entêtée ! soupira le vieil homme en remontant ses mains sur ses hanches. Vous avez tout pris de votre père, hélas. »

Sélène scruta la réaction de Kaldrys ; le regard du souverain brûlait d’un feu ardent. Mais il n’avait pas l’intention de montrer au conseiller à quel point ses mots le mettaient hors de lui.

« Rassemblez le conseil, nous devons agir, et vite. » ordonna-t-il.

Le conseiller s’inclina et repartit aussitôt. Sélène peina à masquer sa peur, elle n’imaginait pas Kaldrys partir pour la guerre. Pouvait-elle parvenir jusqu’à la capitale ? Quelle était la taille de l’armée du prince ? Avait-on une chance ?
Les dernières guerres dataient du début du règne du roi Drasyl, et celui-ci, profondément marqué, avait tout fait pour établir la paix. L’armée de Sa Majesté se rappelait-elle comment se battre ?

Elle sentit la main de Kaldrys glisser contre sa joue et tomba immédiatement sur ses yeux bleus.

« Ne t’en fais pas, nous disposons de la meilleure armée du monde, la rassura-t-il.

  • Vous n’avez pas peur ?
  • Si, bien sûr. Nous sommes terrifié.
  • Vous n’avez pas l’air terrifié.
  • Tant mieux ! Nous ne voudrions pas que nos ennemis le sachent, dit-il en lui adressant un sourire. Nous devons rejoindre le conseil, pour une fois, ils vont devoir souffrir la présence d’une femme ! »

Sélène esquissa un sourire triste, elle voulait l’encourager mais sa crainte transparaissait de tout son être. Kaldrys hésita, jeta un œil autour pour s’assurer de leur solitude et déposa un baiser sur ses lèvres.

Puis il se dirigea dans l’aile est du palais où le conseil se réunissait habituellement.

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