Chapitre 6.5

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Khiara faisait les cent pas depuis que Sélène lui avait annoncé la guerre et l’intention de Kaldrys d’y participer. Elle avait demandé à la femme de chambre de lui ordonner de lui rendre visite, mais…

« Il a refusé, Votre Altesse.

  • Pardon ? Mon frère refuse de me parler ? s’irrita-t-elle, tu vas remonter et lui dire que s’il tient à ce que je reste sagement ici, il va s’empresser de descendre jusqu’à moi ! »

Sélène ne l’avait jamais vu ainsi, mais elle partageait son inquiétude. Elle inclina brièvement la tête et remonta pour rejoindre Kaldrys. Dès qu’il la vit, le jeune homme soupira, devinant que sa sœur avait maints choses à lui dire.

« Nous descendons. »

Elle lui adressa un sourire désolé puis lui emboita le pas.

Dès qu’il entra dans la petite pièce sombre, la voix de Khiara s’éleva :

« Je ne suis pas un de tes sujets que tu peux ignorer à ta guise ! Quand je souhaite te parler, tu accours ici et tu m’écoutes !

  • Tu n’es pas en colère pour cela, répondit doucement Kaldrys.
  • Tu veux partir faire la guerre ! Tu pourrais être tué, en as-tu conscience ? le gronda-t-elle.
  • Comme chacun de nos soldats. Notre vie vaux-t-elle plus que la leur ?
  • Non ! Oui ! Tu es mon frère ! fit-elle alors que sa colère se muait en larmes. Kaldrys, ta vie importe peu à tes yeux, mais aux miens, elle vaut absolument tout. Je veux que nous puissions vivre un jour ensemble, au grand jour. Je veux que nous partagions tous les moments que père nous a pris. Et si tu meurs sur le champ de bataille, ce sera comme si tu n’avais jamais existé. »

Ses yeux se remplirent de larmes et son cœur se serra. Kaldrys se retrouva brusquement soumis aux mêmes émotions et vint la prendre dans ses bras.

« Ce sera possible lorsque tu gouverneras ! Personne n’a jamais vu une femme se battre sur le champ de bataille, encore moins une reine. Et lorsque ce sera le cas, ils comprendront qu’elle peut faire les choses tout aussi bien qu’un homme. Si le conseil te refuse toujours le trône après cela, nous voulons croire que le peuple te soutiendra.

  • Mais tu n’es pas une femme ! sanglota-t-elle, espérant qu’il reviendrait sur sa décision.
  • Je suis bien plus femme que n’importe quel homme. Et le seul à porter un corset ! N’aie crainte, ma sœur, si je mourais, je leur donnerais raison. Il est hors-de-question que cela arrive. »

Il déposa ses lèvres sur son front pour la réconforter et raffermit son étreinte autour d’elle.

Silencieuse, Sélène retint ses larmes, sa gorge nouée de douleur. Elle aussi souffrait de la décision de Kaldrys, bien qu’elle la pensât nécessaire. Elle ne pouvait cependant se laisser aller à ses émotions devant la princesse.

« Tu sortiras bientôt d’ici, promit-il, et nous ferons tout ce que tu voudras. Tu n’auras plus un instant de répit.

  • Tu le promets ?
  • Oui, Votre future Majesté, je vous le promets, fit-il en s’inclinant légèrement.
  • Alors d’accord, je te laisse y aller. Mais si tu ne reviens pas, Kaldrys, je ne te le pardonnerai jamais ! »

Il l’étreignit de nouveau, fermement, puis déposa un baiser sur sa joue avant de lui souhaiter une bonne nuit.

« Reviens me voir avant de partir » ordonna-t-elle, émue.

Il acquiesça et la laissa avec Sélène.

Lorsque Khiara la regarda, elle ne vit pas simplement la tristesse de la jeune femme de chambre, mais aussi l’amour qu’elle portait à son frère. Elle aurait voulu lui dire qu’elle l’avait prévenue à ce sujet, que rien n’était possible entre eux, toutefois aucun son ne sortit de sa bouche. Elle se contenta de la réconforter en la prenant dans ses bras, consciente qu’elles partageaient la même peine.

                         *

Avant d’aller se recoucher, Sélène décida de repasser par la chambre royale. Elle voulait revoir le visage de Kaldrys avant de s’endormir, pensant que cela apaiserait son chagrin. Elle s’attendait à le trouver au pays des rêves, mais le jeune homme scrutait immuablement le balcon et tourna simplement la tête pour voir qui entrait.

« Vous devriez dormir, Votre Majesté, le gronda-t-elle gentiment.

  • Que fais-tu là ? Il est tard.
  • Je venais m’assurer que le feu n’était pas mort, mentit-elle. Vous ne dormez pas beaucoup, n’est-ce pas ? »

Elle tisonna le feu et ajouta une bûche dans l’âtre pour prouver son mensonge, puis s’approcha de la porte-fenêtre du balcon. Elle aurait aimé jeter par-dessus le garde-corps chacune des fleurs qui semblaient tant le préoccuper. Rares ou pas.

« Non, nous n’avons jamais été un grand dormeur » avoua-t-il.

Les yeux de Kaldrys avaient trouvé un nouveau centre d’intérêt : elle. La lueur de la lune donnait à ses traits un halo angélique, divin. Sa peau semblait immaculée et si on le lui avait demandé, il aurait volontiers admis que cette vision ressemblait à celle qu’il se faisait de la déesse sélénite qui avait veillé sur lui étant petit.

« Majesté, nous n’en avons pas parlé, mais dois-je venir avec vous à la guerre ? Il vous faudra bien quelqu’un pour vous aider, s’enquit Sélène en se tournant vers lui.

  • Nous y avons songé, mais nous ne saurions te demander une telle chose. Nous apprendrons à mettre et retirer notre armure seul.
  • Êtes-vous sûr ?
  • Et qui s’occuperait de Khiara ? Nous ne pouvons compter que sur toi. Ton aide est précieuse et sera récompensée à sa juste valeur.
  • Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle en s’asseyant près de lui avec un sourire. N’y suis-je pas obligée ? Sans quoi vous avez juré que vous vous en prendriez à la vie de mon père. »

Kaldrys détourna maladroitement le regard, sentant le rouge lui monter aux joues.

« Il ne faut pas toujours prêter attention à ce que nous disons, davantage lorsque nous le faisons sous le coup de l’émotion. Hélas, avoir une couronne sur la tête donne un caractère absolu et grave à tout ce que nous pourrions dire.

  • Vous n’étiez donc pas sérieux ? persista Sélène dont les lèvres ne cessaient de s’étirer.
  • Cesse de nous tourmenter, ou notre embarras deviendra le tien en quelques mots.
  • Vous m’intriguez ! Que pouvez-vous dire pour retourner la situation ? »

Le jeune homme fit mine de réfléchir puis s’approcha un peu plus près. Un air malicieux s’empara de son visage lorsqu’il chuchota :

« Je t’aime. »

L’amusement de Sélène retomba subitement. Son cœur fit un bond dans sa poitrine et son visage se figea dans une expression de surprise et de gêne. Kaldrys en fut entièrement satisfait comme en témoigna son rire.

« Bien, vous avez gagné, concéda-t-elle, mais…

  • Non, l’interrompit-il, je sais ce que tu vas dire. Si tu ressens la même chose pour moi, je ne laisserai personne nous séparer.
  • Votre Majesté…
  • Kaldrys, corrigea-t-il, pour une fois, appelle-moi par mon prénom. Nous sommes seuls, profitons-en !
  • Je vous appellerai par votre prénom lorsque vous rentrerez saint et sauf de la guerre, promit-elle. Pas avant. Cela vous fera une raison supplémentaire de revenir.
  • Et si je ne revenais pas ? Tu me laisserais y aller sans même avoir entendu mon prénom murmuré au son de ta jolie voix ? »

La perspective qu’il puisse ne pas revenir fit peser une ombre sur l’esprit de Sélène. Qu’arriverait-il ? Il serait assurément découvert et Khiara devrait reprendre son identité avec les conséquences que cela aurait. Peut-être perdrait-elle la confiance de son peuple ? Et de ses proches ? Zorian ne se sentirait-il pas trahi ? Quelqu’un n’allait-il pas profiter de la situation pour tenter de lui voler le trône ?

Khiara pourrait-elle supporter la mort de son frère ? Personnellement, Sélène savait qu’elle ne pourrait y faire face. Le jeune homme avait pris une place trop importante dans sa vie. Elle redouta d’ailleurs d’avoir pris une trop grande place dans la sienne. Malgré sa motivation à faire changer les choses, Kaldrys ne pourrait aller éternellement contre les convenances. Et lorsqu’elle lui fit part de sa crainte, il répondit avec détermination :

« Si je peux permettre à ma sœur d’être reconnue souveraine d’Ymirgas, crois-tu que je laisserai à d’autres le loisir de me dicter qui je peux aimer ? Peut-être ne suis-je pas aussi bien éduqué que ces gens, et bien tant mieux ! Je ne veux pas être comme eux. J’en ai assez qu’on puisse croire que le sexe, l’origine ou le milieu dans lequel nous sommes nés nous condamne pour le reste de notre existence à obéir à des dogmes stupides. Je ne prétends pas connaître ce monde mieux qu’eux, mais ce n’est pas celui dans lequel je souhaite vivre. »

Il attrapa sa main et y déposa un délicat baiser avant de plonger son regard azur dans celui de Sélène.

« Je n’aurai pu rêver mieux que de te rencontrer. Surtout après ce que j’ai vécu. J’ai longtemps cru que je resterai seul et incompris mais tu… m’as prouvé que quelqu’un était capable de se soucier de moi. Que je n’étais peut-être pas si étrange que je le croyais. Peut-être pas aussi inutile et sans intérêt. Peut-être pas aussi détestable.

  • Comment pouviez-vous croire de telles choses ? Vous n’êtes pas un monstre.
  • J’ai longtemps été entouré de mauvaises personnes. Des personnes qui m’ont fait sentir comme si je n’étais rien, comme si je n’avais pas le droit d’exister, et que ce simple fait devait obligatoirement se payer au prix fort. Cela m’a rendu plus froid, plus insensible, plus méfiant. Et puis tu es apparue !
  • Vous voulez me faire rougir ? fit-elle en détournant le regard.
  • Je suis on ne peut plus sérieux, Sélène, répondit-il en l'ovligeant à tourner la tête vers lui. Tu as ramené à la surface le vrai moi, tu lui as donné une place et permit d’exister même s’il est absolument imparfait. Et pour cela, je t’en serais éternellement reconnaissant. »

Sélène rougit de plus belle, et tandis qu’il pressa ses lèvres contre les siennes, elle sentit une douce chaleur se répandre dans son corps. Et comme s’il voulait la voir fondre un peu plus, Kaldrys murmura :

« Tu es ma Sélène, je n’ai plus besoin de la déesse de la lune puisque je t’ai toi. Je ne serais pas ingrat avec elle, elle m’a beaucoup aidé lorsque j’étais enfant. Mais aujourd’hui, je ne veux qu’une Sélène. Toi. »

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