Chapitre 6.6

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Zorian avait paru impatient depuis le petit-déjeuner. Ce n’était pas dans les habitudes de l’homme de montrer un tel empressement. Il avait à peine laissé à Sa Majesté le temps de finir son repas qu’il lui demanda de le suivre.

Il l’emmena jusqu’à sa propre chambre, ignorant les questions du souverain. Et lorsqu’ils furent devant la porte, il lui présenta un bandeau qu’il voulait placer sur ses yeux.

« Vous êtes bien mystérieux, mon ami, lui souligna Kaldrys.

  • Vous ne serez pas déçue, Majesté. »

Il afficha un sourire contenu puis banda les yeux royaux avant de le tirer à l’intérieur. Il jeta un rapide coup d’œil pour s’assurer que son présent avait bien été déposé puis plaça le roi en face.

« Êtes-vous prête ?

  • Allons Zorian, nous voyons votre enthousiasme depuis notre réveil. Bien sûr que nous sommes prête à en connaître la raison ! »

Il retira le bandeau et laissa Kaldrys découvrir l’objet. Interloqué, il resta figé tandis que ses yeux l’examinaient avec attention. Puis il se tourna vers le conseiller sans savoir quoi dire.

Devant lui, une armure de plate complète scintillait de mille éclats. Sa couleur tirait sur le bleu, et l’armoirie de la famille Bénéfiel couleur or, trônait au centre du torse. En la regardant, Kaldrys eut l’étrange impression de revoir l’armure de son père qui trônait dans l’un des salons depuis des années. Il interrogea le conseiller du regard et celui-ci répondit :

« Vous ne pensiez tout de même pas que j’allais vous laisser partir pour la guerre sans une armure à votre taille ? Nos meilleurs forgerons l’ont conçu aussi rapidement que possible. Chacun s’est occupé d’une pièce pour s’assurer qu’elle soit prête à temps. Et l’épée sera finie cet après-midi.

  • Elle ressemble à l’armure de Père.
  • J’ai pensé que cela vous ferait plaisir. J’aurai voulu la faire ajuster pour vous, mais les forgerons ont dit que ce serait plus rapide d’en faire une nouvelle. Alors j’ai tenu à ce qu’elle en soit la fidèle reproduction.
  • Il y a peu, vous ne vouliez pas nous entendre dire que nous voulions faire la guerre, et maintenant…
  • Majesté, pardonnez-moi, mais si j’ai appris une chose de vous, c’est que lorsque vous prenez une décision, il est difficile voire impossible de vous en faire dévier. Aussi ai-je préféré vous soutenir cette fois-ci. Si vous devez partir en guerre, vous serez parfaitement protégée. Mais s’il vous plaît, ne prenez pas de risque inconsidéré, écoutez le général Locastre !
  • Nous vous le promettons.
  • Vous devriez l’essayer, je vous envois Sélène. Si elle ne convient pas, dîtes-le moi, je la ferai ajuster » dit-il avant de s’incliner.

Dès qu’il sortit, Kaldrys observa l’armure en détail. Celle-ci était légèrement plus petite que toutes celles décorant le palais, mais il n’était lui-même pas très grand. Il laissa courir ses doigts à la surface, découvrant les contours et les interstices de la cuirasse. La partie où était situé la poitrine était légèrement proéminente afin de ne pas la compresser et rendre l’armure plus confortable. Les spalières lui parurent un peu plus fines, contrairement aux jambières plus épaisses et robustes. Puis il prit le heaume et constata qu’il était plus lourd qu’il ne l’avait imaginé.

Un sourire éclaira son visage ; Zorian avait toujours été protecteur envers lui, au plutôt envers sa souveraine. Il songea qu’au fond de lui, l’homme devait vouloir voir Khiara prendre pleine possession du trône. Il avait toujours été pleinement loyal envers la famille Bénéfiel. Il avait tout abandonné pour elle : sa patrie, son pays situé bien au-delà des océans, sa famille et n’avait jamais pris épouse. Et Kaldrys le savait, bien qu’il n’eût jamais d’enfant, il aurait souhaité que ce fut le cas. Khiara, la petite-fille et fille de ses deux amis – le roi Danril et le roi Drasyl – fut pendant longtemps et secrètement la fille qu’il n’avait pas eue. A la mort du père de la jeune femme, il n’avait plus eu aucune raison de cacher son attachement pour elle, celui d’un père. Kaldrys regretta un instant que Zorian ne fut pas au courant de sa supercherie. Si le roi Drasyl ne lui avait jamais montré que de la violence, le conseiller lui avait fait découvrir qu’un homme, qu’un père, pouvait être doux, gentil et affectueux.

Il se rappela son angoisse lorsqu’il était monté sur le trône, perdu et peu familier des protocoles. Zorian avait trouvé les mots pour le rassurer, l’encourager, l’aider à prendre confiance en lui.

Un souvenir jaillit dans son esprit ; si tout d’abord celui-ci réveilla une profonde douleur, l’image du conseiller vint le réconforter. Il se revit, des larmes silencieuses sur le visage, caché dans le salon, s’apitoyant sur un passé immuable. Zorian l’avait trouvé par hasard, et pensant que la souveraine pleurait son père, il n’avait pas prononcé un mot et l’avait pris dans ses bras. Si le contact avait grandement surpris Kaldrys et que sa première pensée fut de le repousser, il avait éprouvé un tel apaisement que son corps était resté immobile.

Jamais son père n’aurait été capable d’une telle chose. Et Kaldrys s’en voulut d’avoir privé sa sœur d’une telle présence réconfortante.

« Un jour. » pensa-t-il.

Finalement peut-être Zorian croyait-il enfin aux capacités de sa reine. Restait à savoir s’il la soutiendrait lorsqu’elle insisterait pour hériter du trône. Et il y avait encore une guerre entre ce désir et sa réalisation.

Sélène arriva peu après et l’aida à enfiler l'armure dans une succession de cliquetis et de tintements de métal. Tous deux avaient penser que la chose serait compliquée, mais l’ingéniosité des Hommes avait rendu l’affaire bien plus simple qu’il n’y paraissait.

« Y arriverez-vous seul ? l’interrogea Sélène.

  • Il faudra bien, sinon nous devrons rester bloqué à l’intérieur jusqu’à notre retour de la guerre. Alors, de quoi avons-nous l’air ? »

Il remonta fièrement le menton et prit la pose sous le regard amusé de la jeune femme.

« Vous êtes parfaite, Majesté. Et cette armure est de fort bel ouvrage. Elle saura vous protéger, j’en suis certaine. »

Bien qu’il lui sourît, elle le vit déglutir péniblement.

« Êtes-vous inquiète ?

  • Nous espérons ne pas être un poids sur le champ de bataille. Et…
  • Vous avez peur ? »

Le regard de Kaldrys glissa vers elle, un peu honteux.

« Oui, admit-il.

  • Vous n’êtes pas la seule. Tous les soldats ressentent la même chose, j’en suis certaine.
  • Tu as sans doute raison. Mais étant la reine, nous nous devons d’être inébranlable. Davantage parce que nous sommes une femme. Sans quoi ils trouvaient là une raison de nous garder au palais.
  • Quand partez-vous ? fit Sélène en peinant à masquer le trémolo dans sa voix.
  • Dans quelques jours. Nous attendons des informations qui devraient arriver sous peu. »

Elle retint un sanglot, l’imaginant déjà partir avec l’armée. Elle essaya de maintenir ses craintes loin de ses pensées avec des paroles rassurantes et positives – Kaldrys allait forcément revenir ! – mais le doute persista. Voyant son trouble, celui-ci lui prit la main et la tira contre lui.

« N’aie pas peur, tu ne te débarrasseras pas de nous aussi facilement, dit-il avec un sourire.

  • J’espère bien ! Mais il vous faudra vous habituez à dire « je » pour parler de vous.
  • Cela sera plus aisé pour moi que pour Khiara. Dire « nous » va la contrarier, elle a toujours trouvé cela ridicule. Elle n’a pas tort, mais c’est la tradition. »

Il déposa un baiser sur son front et caressa doucement sa joue, contemplant ce visage qu’il allait devoir quitter plusieurs mois.

« Allez, essayez de l’enlever seul, ensuite vous l’enfilerai de nouveau. Il est hors-de-question qu’on découvre qui vous êtes ! » l’encouragea Sélène pour évacuer définitivement ses pensées.

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