Chapitre 7 : Pour Ymirgas

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  Une semaine déjà que l’armée de Sa Majesté se dirigeait vers le nord. Chevaux et hommes formaient une longue bande qui s’étiraient sur plusieurs kilomètres, ressemblant à une étrange créature avec des milliers de pattes. L’étrange scolopendre cuirassé avançait dans un brouhaha de tintements métalliques et de pas lourds. Parfois il entamait des chants guerriers d’Ymirgas pour combattre la peur et se donner du courage.

A l’avant, Kaldrys montait un cheval alezan ; il l’avait choisi parce qu’il lui rappelait les petits gâteaux à la cannelle qu’il aimait manger. Et un cheval noir lui aurait évoqué son brave Onyx. Celui-ci aurait assurément été jaloux de le voir sur l’un de ses congères mais… il n’était pas fait pour la guerre. Les hurlements et les bruits des épées s’entrechoquant l’auraient sans doute apeuré.

Suivi par le capitaine Roch Tellir et la garde royale, Kaldrys découvrit des régions de son royaume qu’il n’avait jamais visité. Depuis ces quatre dernières années, il s’était contenté de rester au palais ; les tentatives d’assassinat y étaient plus difficiles là-bas et il avait toujours eu peur de se trahir en ignorant des choses qu’il aurait dû savoir. Khiara avait beaucoup voyagé à travers Ymirgas avec le roi Drasyl. Elle connaissait parfaitement blasons et histoires des familles dirigeantes et les anecdotes qui les composaient dont elle avait parfois fait partie.

Roch Tellir fit avancer son cheval pour être à sa hauteur. Il trouvait sa souveraine pensive et voulait être certain que la guerre ne la perturbait pas trop.

« N’avez-vous pas trop froid, Votre Majesté ? lui lança-t-il amicalement.

  • Non, le soleil d’avril nous réchauffe suffisamment. Mais dès qu’il sera couché, nous grelotterons et soyez assuré que nos dents donneront une magnifique représentation de percussion.
  • Ne vous en faites pas, nous aurons installé le camp d’ici là. Et comment gérez-vous… votre humeur ?
  • Reposez-nous la question lorsque nous serons bientôt arrivés, peut-être la réponse vous plaira-t-elle, fit Kaldrys en fronçant les sourcils.
  • Veuillez m’excuser, Majesté, je ne songeai pas à critiquer votre présence, encore moins le fait que vous soyez une femme, j’y suis plutôt habitué, rit-il avec un large sourire. Je n’étais pas encore soldat lorsque la dernière guerre a pris fin. Bien sûr j’ai connu quelques bagarres, j’ai tué quelques mécréants qui l’avaient bien cherché, mais je ne sais rien du champ de bataille.
  • Venez-en au fait, capitaine.
  • Homme ou femme, lorsque nous n’avons pas connu la guerre, il est normal d’avoir peur. Et ceux qui l’ont connue ont une raison de plus de la redouter.
  • Vous dîtes vrai. Hélas, celle-ci semble inévitable. Et elle emportera les plus vieux comme les plus jeunes sans distinction de rang ou de sexe. Et pour les autres, des souvenirs les hanteront jusqu’à la fin de leur vie.
  • Oter la vie n’est jamais chose aisée, sauf pour les dégénérés et les fous.
  • Merci, capitaine, de ne pas considérer que notre présence est une hérésie.
  • Votre absence l’aurait été, Majesté. J’ai connu bien des femmes, de toutes sortes et de tous horizons. Dès lors qu’on leur accordait un peu de liberté, on découvrait qu’elles n’étaient guère différentes des hommes. L’une peignait, et son mari vendait ses peintures sous son propre nom. Une autre était servante et écrivait des chefs d’œuvres, réservé à un marquis qui les a présentés un jour comme les siens. Et que dire de la dernière… Marie, elle avait appris la médecine en secret et voulait consacrer son temps à trouver comment soigner les autres.
  • Marie semble avoir particulièrement retenue votre attention, le taquina Kaldrys.
  • Elle a été brûlée sur le bûcher pour hérésie, dévoila le capitaine. Elle était de haute naissance, fille de baron, mais refusait farouchement de se marier.
  • Marie Deroche, nous nous souvenons en avoir entendu parler. Une femme refusant de se marier… les rumeurs ont fait le reste, conclut-il tristement.
  • Comme pour tant d’autres. Alors Majesté, je vous laisse imaginer combien je suis heureux de vous voir aller contre vents et marées. Vous avoir ici avec nous est un véritable symbole, et un pied de nez à tous ces étroits d’esprit qui préférerait vous voir au palais.
  • Nous connaissons à présent la raison du sourire que vous affichiez à chaque fois que nous nous disputions avec Zorian. »

Ils échangèrent un sourire amusé, puis le capitaine l’informa que plus d’un homme dans la garde royale pensait la même chose. Cela mit du baume au cœur à Kaldrys, il n’imaginait pas qu’on soutenait déjà son souhait de faire monter définitivement une femme sur le trône.

« Que diriez-vous de vous entrainer avec moi, Majesté ? Vous savez magner une épée, mais vous n’avez jamais combattu. Vous devriez savoir comment tuer un homme en armure et comment vous défendre.

  • Avec plaisir. Nos chances de survie en seront accrues et… nous ne voudrions pas décevoir nos soutiens, répondit-il avec un sourire en coin.
  • Bien, nous ferons cela après le repas. Nous trouverons un endroit discret.
  • Craigniez-vous que nous soyons la risée du royaume ?
  • Non, bien sûr, mais vous êtes inexpérimentée. Vous ferez des erreurs, et je refuse qu’une assemblée mine votre confiance en riant bêtement. Ils ne le feraient pas pour vous blesser, bien sûr, mais les Hommes aiment se moquer des autres, cela gonfle leur ego.
  • Vous avez raison. Nous ferons comme vous voudrez, capitaine. »

                       *

La nuit était tombée et un vent glacial courait entre les tentes. La chaleur du diner semblait bien loin à Kaldrys dans son gambison bleu marine. L’épaisseur du tissu lui paraissait bien accessoire face au froid mordant d’avril. Habituellement, le temps s’arrangeait à cette période de l’année. La température commençait à monter et le soleil apparaissait de plus en plus souvent. Mais cette année, ces deux-là se laissaient désirer.

Le capitaine Tellir se tenait devant Kaldrys, arme à la main : s’il ressentait le froid, il n’en montrait rien. Il l’avait emmené à l’écart des tentes et leur terrain d’entrainement ne fut éclairé que par leurs deux torches.

« Bien, il y a deux choses à savoir, premièrement : il va vous falloir fatiguer votre adversaire et le déséquilibrer. Jamais vous ne parviendrez à le toucher autrement. Deuxièmement : une fois à terre, votre geste devra être rapide et précis. Votre épée peut faire l’affaire, mais préférez utiliser ceci. »

Il lui tendit sa dague à rouelle ; sa lame d’une trentaine de centimètre parfaitement pointue était faite pour s’infiltrer dans les ouvertures de l’armure et perforer. Une arme létale la plupart du temps.

Kaldrys en prit conscience dès qu’il la tint dans sa main et un frisson parcourut sa colonne vertébrale. D’un coup, les choses lui parurent terriblement concrètes.

« J’en ai une autre, je vous donne celle-ci. Vous n’aurez peut-être pas à vous en servir, nous vous protégerons quoi qu’il en coûte. Mais si ce devait être le cas, vous ne devrez pas hésiter. Bien, essayez de me faire tomber. »

Déterminé à réussir du premier coup, le jeune souverain se remémora ses leçons d’escrime. A la différence qu’ici, il ne devait pas simplement se défendre ou attaquer, mais bien prendre le dessus, contrôler pleinement le capitaine Tellir.

Il s’apprêtait à se mettre en position de combat lorsqu’il remarqua qu’une silhouette les observait silencieusement un peu plus loin. Les bras croisés, Cassian Porel les regardait, attentif.

« Ne le laissez pas vous déconcentrer, Votre Majesté » fit Roch Tellir en tournant des yeux sévères vers le fils du duc.

Kaldrys reporta son attention sur lui, plaça son épée à mi-hauteur. Lorsqu’il se sentit prêt, il tenta de porter un coup sur l’épaule du capitaine qui le para immédiatement. Puis il enchaina en attrapant son poignet pour tirer brusquement Sa Majesté vers lui, tandis qu’il le percutait violemment avec tout le poids de son corps. L’épée de Kaldrys fut projetée à quelques mètres et le souverain finit étalé sur le sol humide.

Bien, tu pensais pouvoir réussir dès la première fois et tu as été trop confiant. Alors tu vas te relever dignement et lui montrer de quoi tu es capable, s’encouragea-t-il.

« Êtes-vous malade ? hurla Cassian à l’attention du capitaine tandis qu’il accourait vers Kaldrys. Votre Majesté, allez-vous bien ? Il ne vous a pas fait mal ?

  • Il nous a surprise, mais cela n’arrivera plus, répondit celui-ci en ignorant la main qu’il lui tendait pour l’aider à se relever. Nous n’attendons pas du capitaine qu’il nous ménage. Nous devons apprendre, à la dure s’il le faut ! »

Les deux hommes regardèrent la jeune souveraine se remettre sur ses pieds et attraper son épée, un sourire satisfait sur le visage pour le capitaine. Une fois encore, elle prouvait être une femme peu commune. Roch Tellir s’était souvent demandé où elle avait trouvé la force de lutter contre les conventions sociales, contre l’image de la femme qu’on lui avait pourtant insufflée dès l’enfance. Il l’admirait depuis toujours, et davantage depuis leur départ. Leur proximité encourageait la conversation, et sous l’habituel masque impénétrable, il avait découvert une jeune femme mûre, réfléchie et parfaitement soucieuse de l’avenir du royaume. Vouloir gouverner n’était chez elle, pas un caprice ni simplement un héritage qu’elle voulait s’accaparer à n’importe quel prix. Elle avait à cœur de protéger Ymirgas, même si elle devait y laisser la vie car à ses yeux, elle ne valait pas plus que celles de ses sujets.

« Réessayons, capitaine » fit Kaldrys en se replaçant.

La détermination dans les yeux de la souveraine lui plaisait. Il obéit, ravi de ne pas la voir abandonner au premier échec.

Cassian Porel alla se replacer un peu plus loin ; bien qu’il craignît que la reine ne se blessât, il regarda la frêle jeune femme, plus petite d’une tête que le capitaine, essayer de le déséquilibrer. Elle finit plusieurs fois sur les fesses, mais cela n’entama pas sa volonté à réussir.

« Ma pauvre Khiara, que vous infligez-vous ? » se lamentait le fils du duc.

Après une autre chute, Kaldrys eut plus de difficulté à se relever. La fatigue pesait lourd sur son corps, et il dut s’aider de son épée comme d’une canne. Le capitaine Tellir abaissa sa lame et fit un pas dans sa direction, voulant l’aider, quand son adversaire le plaqua brusquement à la taille. Ils tombèrent tous deux lourdement dans la gadoue qu’avaient remué leurs pieds, puis après quelques secondes, le rire du capitaine s’éleva.

« Allons Messire, vous avez baisser votre garde pour une pauvre jeune femme que vous pensiez affaiblie ? Vous avez le cœur trop tendre ! se moqua gentiment Kaldrys.

  • Et vous en avez profité, je vous félicite ! Vous avez compris qu’il fallait attendre que votre adversaire fasse une erreur pour agir. Je vous ai cru fatiguée et en difficulté, je ne me sentais pas menacé et j’ai eu tort.
  • Félicitations, Votre Majesté, le flatta Cassian qui ne voulait pas manquer de montrer qu’il soutenait celle-ci.
  • Méfiez-vous Messire, nous pourrions vous surprendre davantage sur le champ de bataille. Peut-être la place de la femme n’est-elle pas seulement au palais ? lui lança Kaldrys avec un large sourire insolent.
  • Je vois que vous vous souvenez de notre discussion lors du bal, répondit-il, crispé. Eh bien, Majesté, vous n’êtes pas une femme comme les autres. Dans vos veines coulent le sang d’un puissant guerrier, j’ai ouï dire que votre père était très habile et que chacun de ses coups étaient destructeurs. »

Le souverain se contenta d’un sourire faussement ravi en guise de réponse. Le compliment était une insulte à ses oreilles, mais ce brave Cassian n’en avait aucune idée. Aussi ne lui en tint-il pas rigueur, comme à chaque fois qu’on osait lui souligner ses soi-disant ressemblances avec le roi Drasyl.

« Bien, ce sera tout pour ce soir, Votre Majesté, fit le capitaine Tellir. Reposez-vous et nous recommencerons dès que nous le pourrons. Vous bougez bien malgré tout, vous serez prête lorsque nous serons à Sircas.

  • Si vous le pensez sincèrement, nous voilà confiante ! »

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