Chapitre 7.2
Sélène comptait les jours depuis le départ de Kaldrys, priant tous les dieux qui voudraient bien l’entendre de ramener le jeune homme vivant. Et victorieux !
En l’absence de Sa Majesté, elle se retrouva à aider au ménage du palais. Un juste retour des choses ! pour certaines.
Elle avait à cœur de poursuivre le projet d’éducation des domestiques, bien que plusieurs ne voulurent pas d’elle comme professeur. Les autres tenaient à progresser pour rendre fière Sa Majesté.
Lors d’une leçon, elle avait remarqué Thaniel profondément abattu, le visage fermé, les yeux dans le vide. Il l’avait à peine écoutée. Et lorsque la séance fut finie, il resta assis sans même voir qu’on rangeait déjà les chaises.
Sélène comprenait ses sentiments, éprouvant elle-même un attachement certain au roi. Elle alla donc vers lui, s’accroupit et plongea son regard dans celui du valet. Elle y lut une détresse poignante qui serra son cœur et fit apparaitre quelques larmes aux bords de ses yeux.
Elle attendit que la dernière femme de chambre sortît, puis lui dit doucement :
« Il ne faut pas t’inquiéter, Sa Majesté reviendra.
- Je voulais aller avec elle, je voulais la protéger. Mais elle a refusé lorsque je lui en ai parlé. Je n’ai pas reçu de formation militaire, alors j’aurais été bien inutile. C’est ce qu’elle devait penser. Mais j’aurais donné ma vie pour elle.
- Et elle le sait sûrement. C’est pourquoi elle a refusé.
- Et si elle ne revenait pas ? »
A l’évocation de cette possibilité, la gorge de Sélène se noua. Mais elle chassa bien vite cette idée, craignant de fondre en larmes. Cela ne serait d’aucun réconfort pour Thaniel, et il leur fallait garder le moral.
« Il ne faut pas penser ainsi. Nous croyons tous deux en elle, non ? » fit-elle en lui adressant un sourire.
Le valet hocha la tête en signe d’approbation, mais des larmes coulaient le long de ses joues. Sélène regretta qu’il ne sût pas la vérité ; lorsque Kaldrys reviendrait, Khiara sortirait enfin de l’ombre et jamais le valet ne saurait que son affection n’était pas dirigée sur la bonne personne.
Son bien-aimé n’allait-il pas se retrouver terriblement seul ? Agir comme s’il ne connaissait personne pour ne pas trahir son secret allait le contraindre à s’éloigner de tous ceux qu’il avait côtoyé ces quatre dernières années. Et qu’allait-il advenir de leur propre relation ? Elle craignit de devoir prendre ses distances avec lui ; après tout, il n’était pas convenable qu’une jeune femme soit en charge d’un homme.
Ces pensées lui firent davantage redouter ce jour. Leur faudrait-il se cacher pour se voir ? La première femme de chambre n’avait rien à faire avec le frère de la souveraine. Et elle ne crut pas un instant que Khiara changerait d’avis sur leur relation. Serait-elle punie pour avoir tentée Kaldrys ? Ce dernier finirait-il par se ranger à l’avis de sa sœur ?
Elle se sentit subitement submergée par la tristesse et se laissa emporter par un flot de larmes incessant. Elle imaginait déjà perdre Kaldrys.
« S-Sélène ? hésita Thaniel en ne sachant pas s’il pouvait se permettre de la prendre dans ses bras. Elle… Elle va revenir, c’est une certitude ! Nous la connaissons bien tous les deux. Tu as raison, il ne faut pas douter ! »
Il tapota doucement son épaule, puis après un rapide coup d’œil confirmant qu’ils étaient seuls, il s’agenouilla et la prit dans ses bras.
« Allez, ne pleurons pas, chuchota-t-il, profondément ému. Il faut que l’on reste fort ! Elle ne voudrait pas savoir que nous nous sommes laissés aller. »
Sélène acquiesça d’un signe de tête et essuya ses joues avant de s’excuser pour le spectacle qu’elle donnait.
« J’étais moi aussi en train de pleurer à l’instant, alors… fit Thaniel avec un sourire compréhensif. Préparons son retour, d’accord ? Le palais devra étinceler de mille feux, les fleurs seront plus belles que jamais et nous l’accueillerons en héroïne ! »
Après une profonde inspiration la libérant de l’emprise de ses émotions, elle se releva, suivie du valet et lui dit avec un enthousiasme nouveau :
« Sa Majesté nous reviendra victorieuse, ça ne fait aucun doute ! Il ne peut en être autrement. »
*
Nombreuses, les étoiles semblaient danser autour de la lune comme autour d’un feu de camp, ignorant la solitude de l’astre. Petites et insouciantes, elles brillaient insolemment à l’attention de leurs sœurs.
Sélène se rappela l’histoire que Kaldrys lui avait compté à propos de la lune et la voyait à présent comme une femme esseulée ayant perdu son enfant. Pourtant, de là où elle était, sa lumière blafarde devait l’avoir retrouvé, où qu’il fût.
« Protégez-le ! Protégez-le ! » pria-t-elle secrètement.
Elle ignorait bien sûr si cette Sélène existait, mais Kaldrys avait survécu à son père. Peut-être était-ce grâce à elle. Elle conclut qu’il valait mieux prier dans le vide plutôt qu’ignorer une aide précieuse. Et si seulement, pour une fois, une déesse veillait bien sur le jeune homme, alors elle souhaitait plus que tout lui montrer l’affection qu’elle avait pour lui.
Elle s’éloigna de la fenêtre à regret et emprunta le passage secret. Le cœur serrait, la mine sombre, elle suivit machinalement le chemin qu’elle empruntait toutes les nuits.
Khiara était nerveuse depuis le départ de son frère. Dès que Sélène entrait, elle l’assaillait de questions auxquelles elle n’avait aucune réponse. Aujourd’hui encore, elle demanda si on avait des nouvelles de Kaldrys et de l’armée.
« Aucunes. Monsieur Zorian dit qu’ils sont bientôt à mi-chemin. On ne sait pas encore si l’armée du roi Jakarter sera présente ou non. Mais si c’est bien le cas…
- Mon frère aura besoin d’aide ou son armée risque fort de se laisser déborder par leur nombre. Il aurait dû en demander…
- Monsieur Zorian a dit que personne n’oserait prendre parti, mais votre frère le voulait.
- Qui comptait-il solliciter ?
- Beau de Lavalière. Il m’a dit que le prince se sentait redevable envers lui. Et que le roi Victor resterait neutre car il avait toujours évité la guerre.
- Pourquoi lui serait-il redevable ? Qu’a-t-il fait ?
- Le prince craignait d’être choisi comme futur époux. Il a dévoilé à votre frère qu’il aimait quelqu’un, un homme. Sa Majesté a gardé son secret et ne l’a pas choisi.
- Evidemment ! Kaldrys n’a choisi personne, sinon c’est moi qu’il aurait marié.
- Mais ça, le prince ne le sait pas et il pense devoir quelque chose à votre frère. Enfin, à vous. »
Khiara attrapa pensivement quelques raisins sur son plateau et fit quelques pas pour aider sa réflexion.
« Ce prince, tu l’as vu ? A-t-il l’air faux ? Mesquin ? l’interrogea-t-elle subitement.
- Je l’ai aperçu, mais je ne peux pas me fier à son physique pour vous décrire son caractère.
- Que t’en a dit mon frère ?
- Pas grand-chose si ce n’est qu’il avait l’air de quelqu’un de bien. Mais comme il l’a dit, tout le monde a l’air de quelqu’un de bien jusqu’à ce que le masque tombe.
- Père décrivait les Lavalière comme une famille respectable. Il appréciait leurs valeurs, des gens simples pour des têtes couronnées, disait-il. Et il qualifiait les Jakarter d’opportuniste.
- Et le roi Victor ?
- Il l’appelait le « mou du genou ». Cela ne se voulait guère méchant, c’est seulement tout ce qu’il lui inspirait.
- Beau de Lavalière… réfléchit tout haut Sélène, je crois me souvenir qu’il n’était pas hostile à votre démarche concernant le trône. Au contraire, il vous a assuré son soutien. »
Khiara s’arrêta net et tourna brusquement la tête vers elle. Un homme encourageait son accession définitive au trône, de surcroit désintéressé par celui-ci ? Et il se sentait redevable ? Elle y vit là sa solution. Restait à savoir s’il accepterait de rejoindre la guerre.
« Sélène, il me faut du papier et de l’encre. Tout de suite ! »
Dès qu’elle eut l’un et l’autre, elle s’efforça de rédiger une missive officielle pour demander de l’aide. Sélène avait bien tenté de la dissuader, expliquant le point de vue de Zorian, mais Khiara n’en démordit pas. Elle était persuadée que les Lavalière seraient bientôt à leurs côtés pour donner une leçon aux Jakarter.
Elle confia sa lettre à Sélène et lui ordonna de l’envoyer. Zorian était un homme trop prudent pour oser quérir des alliés, mais Khiara se fiait à l’avis de son père et au ressenti de son frère. A son sens, ils ne pouvaient se tromper tous les deux !
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