Chapitre 7.3

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Kaldrys finissait de rattacher ses longs cheveux desquels il avait vaguement retiré la boue. S’il parvenait de mieux en mieux à déséquilibrer le capitaine, il commettait encore des erreurs et ce dernier n’en loupait pas une pour le renverser. Son dos le faisait souffrir, ses membres aussi. Ses muscles ne se rappelaient plus à quoi ressemblait le repos.

Il sortit de sa tente et rabattit immédiatement sa cape autour de lui avant de se précipiter vers un feu que le vent agitait. Un peu plus loin, un groupe de soldat discutait et mangeait un bol de soupe.

Kaldrys resta un moment à les regarder ; il enviait leur aisance et la légèreté de leur conversation. Il aurait aimé les rejoindre, mais il craignit de faire retomber leur humeur. L’un d’eux le remarqua et le souverain tourna immédiatement les yeux.

« Majesté ! appela-t-il. Vous joindriez-vous à nous ? »

L’homme avait une trentaine d’année, il était grand, et sa barbe de quelques jours lui donnait un air de gros ours tendre. Voyant Kaldrys approcher, il se présenta :

« Martial Saule, à votre service ma reine ! J’espère que mon invitation ne vous a pas semblée trop impertinente.

  • Nullement. Mais nous ne voudrions pas que notre présence vous condamne à la retenue. De quoi parliez-vous à l’instant ?
  • Des femmes ! lança un autre en buvant une gorgée de bière, manifestement déjà saoul.
  • Mais nous pouvons parler d’un sujet plus convenable, si vous le désirez, rectifia le premier soldat.
  • Une femme ne peut-elle donc pas savoir ce que les hommes pensent de son genre ? l’interrogea Kaldrys avec un sourire moqueur.
  • Nous ne voudrions pas vous choquer, Majesté, fit précautionneusement Martial.
  • Allons, que croyez-vous ? Les femmes ont tout autant à dire sur les hommes ! Ne pensez pas que nous soyons si différentes.
  • Vous m’intriguez, Majesté ! poursuivit le soldat enivré en lui tendant un gobelet en guise d’invitation. Vous laisserez vous tenter ? Je l’ai faite moi-même. »

Kaldrys le prit et en but une gorgée. Il se retint de grimacer face à l’âpreté du breuvage, il en avait goûté des biens meilleurs. Les soldats pensaient inévitablement qu’une telle boisson ne pouvait être supportée par une femme, et il ne voulait pas leur donner satisfaction.

« J’aimerais bien entendre votre avis sur le sujet, notre ami Gaspard ici présent était en train de gribouiller sa dulcinée, reprit le soldat en arrachant un carnet des mains d’un autre, voyez donc ! »

Le croquis détaillé d’une jeune femme à la longue chevelure bouclée y avait été dessiné d’une façon très réaliste. Un chemisier entrouvert laissait apparaître entièrement sa poitrine généreuse.

« Une jolie rose, n’est-ce pas ? Et pourtant, ce grand nigaud a refusé de l’épouser. Elle a pourtant deux bons arguments, non ? Enfin, vous êtes une femme, vous ne devez pas comprendre…

  • Nous comprenons, le coupa Kaldrys en rendant le carnet à Gaspard avec une gêne certaine qu’il ne parvint pas à cacher. Mais nous imaginons aisément qu’elle a de nombreuses qualités, autre que son physique. Pourquoi ne pas l’avoir épousée ?
  • Je le voulais, répondit celui-ci, sincèrement. Elle est fille de paysan, mais tout un harem tourne autour d’elle. Elle est la plus belle femme que j’ai jamais connue, alors que… regardez-moi ! Je suis un gringalet haut comme un cheval, je ne suis guère intelligent et je ne serai jamais riche ! J’ai bientôt vingt-quatre ans, et je vis encore chez mes parents. S’il n'y avait pas cette guerre, je chercherais encore du travail. Je ne peux rien lui apporter de bien.
  • Oh, crois-moi, tu as une chose qu’elles veulent toutes ! rit l’autre avant de finir sa boisson cul-sec. Suffit de savoir s’en servir ! Tu devrais me la présenter, je suis certain qu’elle tomberait follement amoureuse de moi. D’ailleurs, Majesté, si vous avez froid cette nuit, je peux…
  • Anthony ! gronda brusquement Martial. Excusez-le, Votre Majesté, sa bière lui ai monté à la tête.
  • Ce n’est rien, ce ne sont que des mots. Il n’envisage pas une seule seconde de s’infiltrer dans notre tente. Il sait qu’une rencontre avec l’épée du capitaine Tellir risque fort de mal finir pour lui.
  • Tout le monde vous appelle la rose noire, insista le soldat, vous ne me laisseriez pas voir vos épines ?
  • Tu parles à le reine, bougre d’imbécile, grogna Martial en lui donnant un coup sur le crâne. Va cuver plus loin avant de perdre plus que ta dignité ! »

L’homme prit un air de défi, puis haussa finalement les épaules avant de s’en aller, emportant sa bière avec lui. Le soldat Saule se retourna vers la reine, confus, c’est pourquoi Kaldrys le rassura avec un sourire.

« Il a l’alcool mauvais, je vous jure que c’est un brave homme quand il est sobre, Votre Majesté, expliqua-t-il, embarrassé. Je m’assurerai qu’il ne boive plus jusqu’à ce que la guerre soit finie.

  • Revenons-en à vous. Gaspard, c’est cela ? Vous avez un talent certain pour le dessin. Manifestement vous êtes un artiste. Si cela vous plait…
  • Oh oui, l’interrompit-il, j’ai toujours aimé cela.
  • Alors accordez-y du temps et peut-être y trouverait vous votre avenir. Quoiqu’il en soit, cette jeune femme n’attendra pas éternellement et si elle vous aime déjà, pourquoi diable pensez-vous n’être pas assez bien pour elle ? Ce choix lui revient, non ? »

Les yeux du jeune homme s’éclairèrent en même temps que l’expression de son visage. Il n’avait pas songé une seule seconde que sa bien-aimée l’avait déjà accepté comme il était, ni à la perspective qu’il pourrait s’améliorer quand même. Sa joie retomba rapidement lorsqu’il comprit son erreur.

« Je suis un idiot. Si je meurs alors le dernier souvenir qu’elle aura de moi sera mon refus de l’épouser.

  • Tu ne mourras pas ! Nous allons vaincre ces fils de chiens et tu retrouveras ta belle, l’encouragea Martial avec une tape dans le dos. Pardonnez mon langage, Votre Majesté.
  • Ce n’est rien, votre ardeur est toute à votre honneur, répondit Kaldrys avec un sourire amusé. J’espère que tous la partage.
  • Oh oui, Votre Majesté ! Nous ne doutons pas une seconde de notre victoire. Ymirgas a toujours pu être fière de ses soldats. Et elle pourra encore l’être très bientôt.
  • C’est une certitude » renchérit le souverain absolument ravi de voir une telle confiance.

Il s’apprêtait à prendre congé des soldats lorsqu’il remarqua de nouveau une silhouette l'observant, une habitude qui devenait récurrente chez celle-ci. Il s’approcha de l’individu dont le sourire grandit progressivement à chaque pas dans sa direction.

« Nous espionnez-vous ? l’interrogea Kaldrys en se plaçant à ses côtés. Cela pourrait être considéré comme de la trahison, Cassian.

  • Faites-moi arrêter dans ce cas, le défia-t-il faussement. Pouvons-nous marcher ? J’aimerais vous parler.
  • Raccompagnez-nous à notre tente. »

Le fils du duc se fit une joie de lui tendre le bras. Il se considérait toujours comme un soupirant et n’avait pas renoncé à l’espoir d’un mariage. La souveraine lui plaisait depuis leur première rencontre, pendant l’enfance. Elle avait toujours été charmante avec lui, et il avait regretté de la voir s’éloigner après le décès de son père. Il avait détesté la froideur avec laquelle elle l’avait accueillie au bal.

« De quoi vouliez-vous nous entretenir ? fit Kaldrys dès qu’ils furent assez loin des soldats.

  • Ces dernières semaines, j’ai pu vous découvrir sous un autre jour, Majesté. Ne vous moquez pas, il y a peu, je pensais inimaginable de voir une femme se battre. Et pourtant vous êtes ici. Et je vous ai vu de mes yeux faire tomber votre capitaine dans la boue. Vous y parvenez fort bien désormais.
  • Ne sommes-nous plus une délicate fleur à vos yeux ?
  • Si je puis me permettre, vous êtes comme l’eau. Parfois douce et délicate, érodant la pierre avec patience, et parfois sauvage et indomptable, brisant le roc avec violence. Mais dans les deux cas, nul ne doute que vous brillez de mille feux et attirez à vous tous les regards. »

Kaldrys sourit mais il perçut dans son discours qu’une objection se profilait. Tous ces compliments devaient bien mener à quelque chose ! Était-ce une tentative pour l’amadouer ?

« Vous avez été très courageuse depuis la mort de votre père…

  • Cassian, venez-en au fait.
  • Bien, fit-il avec un sourire. Vous savez que je tiens à vous, Khiara. Nous nous connaissons depuis l’enfance. Nous jouions ensemble et je crois me souvenir que nous avons échangé un premier baiser lorsque j'avais six ans. Aussi ne parlé-je pas à ma souveraine, mais à mon amie. Les années nous ont éloignés, mais mon attachement est resté le même.
  • Vous tournez encore autour du pot, lui fit remarquer Kaldrys.
  • Je suis venu vous demander de ne pas prendre part vous-même à la guerre. Votre présence est suffisante.
  • Devrions-nous monter sur une colline et agiter nos bannières dans tous les sens pour montrer notre soutien à nos soldats ? s’indigna le souverain. Cela est purement grotesque, vous en conviendrez. Si nous étions un homme, vous n’auriez pas un tel discours !
  • Très certainement, je l’avoue. Et si vous me permettez d’être encore franc pendant quelques secondes, vous ne devriez pas même être ici. Je ne veux pas vous offenser, mais croyez-vous pouvoir battre un homme ? Le capitaine Tellir est un excellent adversaire d’entrainement, cependant il ne cherche pas à vous tuer.
  • Rien de ce que nous pourrions dire ne saurait vous convaincre. Alors nous allons vous montrer. Faisons un duel, si vous parvenez à nous battre, nous consentirons à rester en arrière. Mais si nous gagnons, vous devrez nous soutenir en tant que souveraine d’Ymirgas. Sommes-nous d’accord ?
  • Très bien, mais je ne retiendrai pas mes coups, vous êtes prévenue. »

Ils se rendirent tous deux un peu plus loin, entre deux tentes, où l’espace était suffisant pour se battre. Dégainant son épée, Kaldrys regretta aussitôt d’avoir céder à une pulsion. Toutefois, celle-ci pouvait se révéler être un avantage en cas de victoire. Mais pouvait-il réellement le battre alors que le jeune homme s’entrainait à l’épée depuis son plus jeune âge ?

Si je doute maintenant, autant ne pas prendre part à la guerre. Et quelle vision donnerai-je de Khiara ? Je dois le vaincre, il sera obligé de la soutenir.

Cassian tira sa lame ; le visage tendu, il craignait plus que tout de blesser Sa Majesté, et davantage son ego. Il l’avait vu se confronter à la force brute de son capitaine sans jamais ciller, sans que le doute ne s’installât. Et il s’apprêtait à lui faire comprendre son erreur : elle allait perdre face à lui car une femme ne pouvait dominer un homme sans que celui-ci le veuille. La leçon serait dure à apprendre, mais pour son bien, il le fallait !

Les deux épéistes se firent face, armes levées, attendant que l’autre se décide à attaquer. Le premier coup fut porté par Cassian, que Kaldrys para avec aisance ; ce dernier avait parfaitement lu son intention à travers la position de son adversaire. Cassian enchaina immédiatement et dirigea sa lame à l’opposé de sa première attaque. Et une seconde fois, Kaldrys l’intercepta et riposta aussitôt. Le bruit de leurs lames s’entrechoquant attira quelques curieux qui se firent discret pour regarder le duel. Parmi eux, le capitaine Tellir affichait un sourire satisfait, et croisant les bras, il attendit avec impatience l’issue du combat.
La force des coups de Cassian redoubla, convaincu que la souveraine n’allait pouvoir y résister. Il attendait qu’elle commette une faute pour la punir. Cependant Kaldrys avait parfaitement appris de ses mentors, et ce fut lui qui remarqua le premier l’ouverture que laissait son opposant. Il le frappa un grand coup avec le plat de sa lame sur le tibia surprenant Cassian, avant de le pousser brusquement. Le jeune homme percuta lourdement le sol et la pointe de l’épée de Sa Majesté se glissa sous sa gorge.

« Alors Cassian, êtes-vous convaincu à présent ? lui lança Kaldrys, victorieux.

  • Me laisserez-vous me relever ou dois-je vous répondre sous le joug de votre épée ? »

Le souverain recula et quelques acclamations se firent entendre. Roch Tellir n’était pas peu fier de son élève, son sourire emplissait tout son visage.

Kaldrys tendit une main que Cassian saisit pour se relever. Il rengaina son épée, embarrassé et chercha ses mots encore quelques secondes.

« Bien. Je ne vais pas me couvrir davantage de honte. J’admets volontiers que vous êtes prête pour cette guerre.

  • Est-ce tout ? »

Le jeune homme se confronta aux yeux azurs imprégnés de fierté de la souveraine et laissa échapper un rire :

« Vous avez tout mon soutien, Majesté.

  • Vous devrez le prouver le moment venu.
  • Et je le ferai ! »

Kaldrys rejoignit sa tente, savourant sa victoire, un sourire sur les lèvres qui l’accompagna jusqu’à ce qu’il s’endormît.

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