Chapitre 7.4

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Sircas se profilait à l’horizon ; la tension était palpable chez chaque soldat. Le camp tout entier était baigné par le silence.

Dans la tente royale, on écoutait les dernières informations énoncées par l’un des espions. Il avait repéré une armée non loin du village, attendant des ordres. La couleur argentée de leurs armures et la bannière d’ours à la gueule ouverte ne laissaient place à aucun doute : il s’agissait de l’armée des Jakarter.

L’information jeta un froid dans l’assemblée. Le vieux général Locastre baissait soucieusement la tête, cogitant à toute vitesse. Les regards se tournèrent naturellement vers lui ; nobles et gradés attendaient qu’il énonçât sa stratégie.

Kaldrys observa tous ces hommes dont les yeux laissaient paraitre la peur. Il constata cependant qu’aucun ne semblait envisager de partir, même si l’avenir semblait sombre.

Le pan de l’entrée de la tente se soulevait sous les rafales de vent, laissant voir l’épaisse pluie printanière à l’extérieur. C’est en la voyant qu’il vint à Kaldrys une réflexion :

« Il pleut depuis des jours, n’est-ce pas ? Le champ de bataille risque fort d’être détrempé. Et ils ont de nombreux chevaux, ils avanceront difficilement dès lors que le sol se transformera en boue après le passage de quelques-uns. Et ils finiront par descendre de leurs montures. Cela devrait nous aider.

  • Vous avez raison, Majesté. Cela ralentira leur progression. Ils ne sont pas habitués aux terres capricieuse d’Ymirgas. Cependant, ne nous réjouissons pas trop vite, attendons d’être certains qu’ils se retrouvent embourbés, fit le général sur un ton sage. Il n’y a que des champs à perte de vue autour de Sircas, cela ne nous aidera pas à les surprendre. Je n’aime guère cela, mais nous devrions les prendre de front.
  • Nous sommes moins nombreux, n’est-ce pas risqué ? l’interrogea le souverain.
  • Bien sûr, mais nous n’avons guère le choix.
  • Et ces mercenaires alors ? Sont-ils loyaux ? N’y a-t-il pas moyen de les faire changer de camps ? proposa Cassian.
  • Le roi Drasyl les a chassés, je doute qu’une somme d’argent même conséquente les fasse renoncer à leur vengeance. Et jamais je ne me fierai à ces gens-là ! Ils ne sont loyaux qu’envers les leurs. Et ils n’ont pas d’honneur ! Je mourrais de honte de me battre à leur côté ! »

Alors que chacun était plongé dans ses pensées, la dernière phrase du général résonnait dans l’esprit de Kaldrys. Ses yeux restèrent fixés dans le vide tandis que se formait l’idée d’une stratégie.

« Pouvons-nous imaginer qu’il en va de même pour les soldats de Vathia ? fit le souverain.

  • Bien qu’ils soient nos ennemis, nul ne doute qu’ils restent des hommes d’honneur. Cela ne doit guère les enchanter de se battre aux côtés de ces mécréants. A quoi pensez-vous, Majesté ?
  • Le prince Dameric bafoue leur honneur sans même s’en soucier. Mais insultez un homme et sa loyauté en pâtira. Nouvelle Aube est la garde rapprochée du prince Dameric, en les attirant à l’écart, nous pourrions les décimer. Et si nous parvenons à nous saisir de lui, alors qu’est-ce qui poussera l’armé du roi Christan à poursuivre la guerre ?
  • Comment pensez-vous réussir à l’isoler, Votre Majesté ? demanda Cassian.
  • Le prince est un homme orgueilleux. Il voudra lui-même nous mettre à bas.
  • Vous voulez… être un leurre ?
  • Qui d’autre le pourrait ?
  • C’est hors-de-question, Majesté ! rugit le général.
  • Pardon ?
  • C’est une idée grotesque et suicidaire.
  • Si nous l’attirons et que nos hommes parviennent à s’immiscer entre lui et son armée…
  • Votre Majesté, laissez-moi donc m’occuper de la stratégie. Vous m’avez désigné pour mon expérience dans ce domaine, non ?
  • Oui, mais…
  • Nous les attaquerons de front, poursuivit-il sans même lui laisser l’espoir de rétorquer, étant moins nombreux, séparer nos hommes en plusieurs groupes me semble risqué. Nous pourrions être submergés, en agissant d’un bloc, nous assurerons également notre défense. »

Conscient de son manque d’expérience, Kaldrys se tut ; bien qu’il pensa son idée meilleure, il craignit de mettre en défaut son armée et de ternir l’image de Khiara. Il suffisait d’une mauvaise décision pour perdre son autorité et ses soutiens. Et pourtant… il était persuadé que laisser s’affronter deux forces brutes dont l’une était supérieur ne pouvait que conduire à la défaite.

« Général Locastre, nous comprenons votre raisonnement, toutefois nous connaissons fort bien le prince Dameric. Il ne résistera pas à l’envie de nous affronter. Si nous pouvons éviter des morts inutiles, il n’y a pas à….

  • Votre Majesté a-t-elle déjà fait la guerre ? grogna-t-il sévèrement. Cela ne se passe guère comme dans vos livres !
  • Nous le savons ! Mais se confronter directement à…
  • Nous ne pouvons les surprendre et nous ne pouvons diviser nos hommes, la seule chose à faire est de les attaquer de front, insista-t-il en lui jetant un regard rigide. Nous les avons déjà battus dans de telles conditions avec votre père, et nous allons recommencer ! »

Kaldrys se retint de ne pas exploser. Il ne supportait plus qu’on parle de cet homme comme d’un saint à qui tout réussissait. Cet homme… l’avait battu. Cet homme avait été son bourreau pendant seize ans. Et cet homme dont tout le monde faisait les louanges, avait perdu contre son propre fils.

« La stratégie de Sa Majesté me semble tout à fait viable, intervint le capitaine Tellir. Vous devriez y accorder de l’intérêt, général. Ou peut-être que l’idée qu’elle vienne d’une femme vous dérange ?

  • Comment osez-vous insinuer…
  • Alors ne la rejetez pas d’un revers de main sans même avoir considérer les chances que cela pourrait nous offrir. Et cessez de nous rappeler le temps où vous vous battiez avec le roi Drasyl, c’était il y a longtemps et il n’est plus ici. »

Le capitaine adressa un signe de tête à Sa Majesté qui eut toutes les peines du monde à ne pas le remercier d’un sourire. Kaldrys ne voulait pas vexer le vieux général. Celui-ci afficha une mine renfrognée ; ses yeux passèrent sur chaque visage pour tenter de deviner l’avis général, puis se posèrent sur sa souveraine.

« Votre Majesté, si vous ne voulez pas écouter mes conseils, pourquoi suis-je ici ? Me faire rabrouer par votre capitaine ?

  • Non, bien sûr. Mais comme vous le savez, il faut parfois prendre des risques, répondit calmement Kaldrys.
  • Vous semblez ne pas en prendre la mesure. Si nous ne parvenons pas à isoler le prince et ses mercenaires, ils fonderont sur vous avec leur armée, et vous n’aurez aucune chance.
  • Mais nous faisons confiance à votre instinct, général. Vous conduirez l’attaque tandis que nous jouerons les appâts.
  • Je vois que vous ne voulez pas de mon avis, fit-il, vexé. Très bien, j’obéirai, Majesté. Mais je ne veux pas être tenu responsable en cas d’échec. Sachez que je désapprouve complétement.
  • C’est entendu. Un messager a apporté une missive plus tôt, le prince Dameric tient à nous rencontrer avant le début des hostilités. Capitaine, avec votre permission, nous prendrons votre cheval, il est blanc donc plus visible. Et tous ceux qui nous accompagnerons prendront des chevaux marrons. Ainsi il pourra parfaitement nous repérer. Ce sera essentiel pour la suite.
  • Il vous remarquera de loin, approuva le capitaine Tellir.
  • Nous le provoquerons, il ne résisterait pas à l’envie de nous occire lui-même. Et lorsqu’il se précipitera, lui et ses deux milles chevaux, il ne restera que de la boue derrière eux. L’armée du roi Christan avancera beaucoup moins rapidement.
  • Et si ce n’est pas suffisant ? bougonna le général.
  • Alors vos chevaux devront courir plus vite ! répondit sèchement Sa Majesté.
  • Je vous ai promis de vous protéger, ma reine, mais vous ne me facilitez guère la tâche ! lui reprocha-t-il en soupirant.
  • Personne ne vous en tiendra rigueur s’il nous arrive quelque chose. Vous avez assez de témoin pour prouver notre entêtement. »

Une grimace contrariée tordit le visage du général. Il secoua la tête mais finirait inévitablement par se plier à la volonté de sa souveraine. Ici, c’était elle qui avait le dernier mot.

Ils passèrent encore quelques heures à échafauder des stratégies au cas où la première échouerait.

Après que la tente royale se fût vidée, Kaldrys rattrapa son capitaine pour le remercier. Sans lui, le doute l’aurait emporté et la conversation serait resté à l’avantage du général.

« Je crois en vous, Majesté. Et vous devriez en faire autant, répondit Roch Tellir avec une bienveillance solennelle. Allez vous coucher maintenant. Je doute que vous dormiez, mais essayez. »

Kaldrys passa le reste de la nuit à songer à sa sœur, et à Sélène. Ses pensées le plongèrent dans la peur. Il craignit de ne jamais leur revenir et tout autant de rentrer sain et sauf. Les choses changeraient, inévitablement. Quelle serait sa place lorsqu’il sortirait de l’ombre de Khiara ? Bien sûr, on voudrait l’asseoir sur le trône, ce qu’il s’empresserait de refuser. Il douta également qu’on le laisserait fréquenter Sélène, et celle-ci n’aurait assurément plus le droit d’être sa femme de chambre. Tous trouveraient étrange de les voir proches, aussi devraient-ils s’éloigner, du moins au début.

Un long soupir s’échappa de ses lèvres. Puis soudainement, son cœur s’emballa dans sa poitrine et avec lui, une question s’imposa dans son esprit : allait-il mourir ? Un frisson parcourut son corps, faisant trembler chacun de ses muscles.

Le capitaine avait raison, le sommeil ne viendrait jamais à lui.

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