Chapitre 7.5

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Le petit peloton équestre avançait au trot en direction d’un second, Sa Majesté en tête. La pluie battait les armures et un léger son de clapotis métallique faisait écho aux pas des chevaux.

L’armée d’Ymirgas attendait en rang serré à l'arrière, comme les mercenaires à l’opposé. Il n’y avait nulle trace de la présence de l’armée des Jakarter, mais tous la savaient proche. A mi-chemin, Sa Majesté et le prince Dameric arrivèrent face à face.

« Bien le bonjour, Votre Majesté ! Vous avez semble-t-il reçu ma lettre ? rit Dameric en s’esclaffant avec sa garde. Je craignais que vous ne veniez pas en personne, mais vous êtes téméraire. Cependant, je ne m’attendais pas à vous voir en armure. Allez-vous vous battre ou est-ce pour compenser tout ce qui vous manque ?

  • Voilà qui est petit, même pour vous, Altesse. Craignez-vous tant que nous puissions prendre le dessus ? Votre ego ne s’en remettrait pas. Mais si nous vous ôtons la vie, cela n’aura guère d’importance.
  • Vous n’êtes donc pas venue vous rendre ?
  • Avec une armée ? Vous n’êtes guère très fûté, nous avons manifestement présumé de votre intelligence.
  • Je vous ferai regretter ces mots, répondit-il, le regard méprisant. Vous auriez dû accepter le mariage, j’aurais été un bon époux pour vous. A la place, je vais prendre votre royaume comme mes hommes prennent leurs catins.
  • Peut-être est-ce vous que l’on prendra comme une catin, fit Kaldrys avec un large sourire provocateur.
  • Souvenez-vous de ces mots, Majesté. Parce que je vous ferai cela et bien pire » menaça-t-il avant de faire signe à ses hommes de faire demi-tour.

Le cœur du souverain battait si fort qu’il aurait presque pu l’entendre. A ses côtés, le capitaine Tellir l’observait soucieusement. La jeune reine avait peur, il ne s’attendait pas à une autre réaction de sa part. Mais comme il le savait, elle ne se laissa pas longtemps envahir par ce sentiment. Lorsqu’elle dirigea son regard sur lui, il y lut une détermination sans faille.

A l’approche de la souveraine, le visage du général Locastre se ferma, comme ceux des hommes derrière lui. Un silence religieux se fit dans les rangs. Chacun percevait le souffle court de l’homme à côté de lui. Dans leurs regards, l’inquiétude et la détermination se mélangeaient. Leurs pensées étaient tournées vers leurs familles. Et vers leur reine. Cette dernière n’avait que vingt ans, et tous savaient combien elle avait lutté pour être présente. Si une jeune femme tenait à être sur le champ de bataille, au péril de sa vie, comment pouvaient-ils imaginer écouter leur peur et rentrer la queue entre les jambes ? Sa présence galvanisait l’armée d’Ymirgas. Chaque homme voulait rendre fière la jeune souveraine, se montrait digne d’être l’un de ses sujets.

« Nos hommes nous indiquent du mouvement à l’ouest, l’informa le général. Ils vont tenter de nous prendre à revers. Êtes-vous certaine de ne pas vouloir changer d’avis ?

  • Si nous coupons la tête du serpent…
  • Attention à ce que ce ne soit pas une hydre, Votre Majesté, fit-il soucieusement.
  • Nous vous laissons le commandement ici.
  • Nous aurions sans doute dû demander de l’aide à nos alliés, regretta le vieux général. Ils auraient pu ne pas vouloir prendre position ou ils auraient pu gonfler nos rangs.
  • Ce qui est fait est fait, général. Soyons tous à la hauteur de notre réputation et sortons vainqueur une fois encore, l’encouragea Kaldrys en enfilant son casque.
  • Vous avez raison, Majesté ! »

Ils échangèrent un signe de tête, puis Kaldrys rejoignit avec sa garde les mille cinq cents hommes de leur escouade. Puis celle-ci se plaça au-devant du reste de l’armée. Au loin, Dameric Jakarter faisait de même. Il sembla ensuite attendre que son adversaire se décidât à agir.

« Nous vous protégerons, Majesté, par nos vies et par nos lames, l’encouragea le capitaine Tellir dont le courage semblait infaillible.

  • Allons-y ! » lança Kaldrys en dégainant son épée.

Son cheval s’élança ; derrière lui un bourdonnement s’éleva. Les pas des cheveux faisaient vrombir le sol d’une mélodie menaçante. A l’opposé, le prince Dameric fit avancer sa troupe en direction de Kaldrys. Il n’y avait nulle trace de l’armée ennemie, mais tous s’attendaient à la voir apparaître d’un instant à l’autre.

Lorsqu’elle apparut enfin, ce fut sur le flanc de l’armée d’Ymirgas. Immédiatement, Kaldrys et son escouade bifurquèrent à l’opposé entrainant à sa suite Dameric et ses mercenaires. Celui-ci ne craignit pas d’être submergé, il savait ses troupes bien plus nombreuses.

En comprenant que l’armée ennemie ne serait nullement gênée par la boue, Sa Majesté pesta intérieurement et commença à craindre que le général eût raison. Celui-ci songea à la même chose, mais il ne laissa rien paraître de son doute lorsqu’il cria :

« Pour la reine, pour Ymirgas ! »

Quand ils furent assez loin des deux armées principales dont les cris s’élevaient aussi haut que les premières flèches, Kaldrys et son escouade firent volte-face. Sur son cheval bai, son opposant dans son armure argenté hurlait des ordres dont il pouvait deviner la contenance : il voulait affronter lui-même la femme qui s’était refusée à lui, brisant ses espoirs d’être un jour roi.

La rencontre entre les deux escouades fut violente : des chevaux se percutèrent dans des hennissements douloureux, des cavaliers furent projetés à terre où aussitôt une lame vint se glisser à travers leurs casques. Dameric fondit sur Kaldrys, ignorant dans sa folie ses gardes, et sauta de son cheval pour le faire tomber du sien. Avec succès. Sa Majesté heurta lourdement le sol. La douleur du choc s’étendit d’un point dans son dos à tout son corps.

« Majesté ! » hurla le capitaine Tellir luttant comme un beau diable avec deux assaillants.

Kaldrys se jeta sur son épée perdue dans sa chute et se releva en regardant son agresseur faire de même. Le prince l’attaqua, mettant toutes ses forces dans chaque coup. Il fut rapidement frustré de voir que tous étaient parés et tenta de pousser son adversaire qui recula vivement. Kaldrys n’avait jamais été aussi concentré de sa vie ; ses yeux analysaient la position du corps de son adversaire et le sien se mouvait en conséquence avec une précision déconcertante. Cela ne fit qu’enrager Dameric. Il avait pensé qu’un duel avec la souveraine serait aisé et rapide, et qu’il écourterait cette guerre en la tuant en premier, mais la diablesse se battait bien. Aussi bien qu’un homme, il dût se l’avouer, même si cette pensée l’exécrait terriblement.

Pendant que les deux escouades se confrontaient avec hargne, l’armée d’Ymirgas tentait de ne pas se faire écraser par celle de Vathia. Chaque homme savait devoir redoubler d’effort pour la vaincre, étant moins nombreux. Les pas des chevaux et des hommes sous une pluie torrentielle avaient changé la terre en boue et rendaient les mouvements maladroits et incertains.

« Ne vous laissez pas surprendre ! Nous allons renvoyer ces bâtards chez eux et ils maudiront leurs mères d'être nés » tonna le général Locastre en voyant que l’armée ennemie faisait une percée dans ses troupes.

La boue fit glisser son cheval qui se rattrapa in extremis et le fit par chance éviter une lame. Il se laissa glisser le long de son flanc, poussa le soldat ennemi qui s’écrasa au sol et glissa sa dague à travers l’ouverture de l’épaule son armure.

« Descendez des chevaux ! fit-il en donnant une claque sur la croupe de sa fidèle monture pour la faire fuir. Le terrain n’est plus praticable pour eux ! »

Autour, ses hommes laissaient derrière eux presque autant de cadavres que l’armée ennemie. A ce rythme, Ymirgas allait perdre.

Il s’autorisa un regard vers l’est et ne vit que d’autres soldats bataillant pour leur royaume et leur vie.

« Majesté, êtes-vous encore en vie ? » s’inquiéta-t-il avant de subir un nouvel assaut.

Kaldrys tenait à pleine main la lame de Dameric dont la pointe pénétrait déjà la chair de son épaule. Ce dernier avait réussi à le faire tomber en le chargeant après une parade. Le souverain avait à peine eu le temps de saisir l’épée et luttait fermement contre la pression exercée par le prince.

« Regrettez-vous maintenant de m’avoir rejeté ? » se délecta celui-ci en riant.

Le capitaine Tellir vit la souveraine en difficulté, mais trois soldats lui barraient le chemin pour la rejoindre. D’autres la remarquèrent mais s’opposèrent au même dilemme.

« Pas le moins du monde, Altesse » répondit Kaldrys en lui assénant un coup dans le genou.

Dameric grimaça de douleur mais tint bon. Derrière son casque, le souverain pouvait percevoir son sourire malfaisant. Mais contrairement à ce que pensait son assaillant, il n’allait pas capituler. Tandis que Dameric mettait tout le poids de son corps sur sa lame, Kaldrys extirpa tant bien que mal sa dague de son étui. L’instant d’après, il la plantait dans l’ouverture de la cuisse de son armure. Dameric lâcha un gémissement en reculant vivant. La douleur lancinante dans sa chair le rendit hagard. Il lâcha brusquement son épée et tomba à terre, posant ses mains sur sa blessure. Il semblait essayé de retenir son sang filant impassiblement à travers ses doigts.

« Espèce de garce ! cracha-t-il tandis que la panique s’emparait de lui. A moi ! Venez à mon aide, bande de crétins !

  • Allons mon ami, fit Kaldrys en se relevant, vous perdez votre calme.
  • La ferme ! Je n’en ai pas fini avec vous !
  • Rendez-vous ! Sauvez votre vie et celles de vos hommes.
  • Jamais ! Je peux encore vous tuer !
  • Vous vous videz de votre sang, Altesse.
  • Auriez-vous peur d’aller jusqu’au bout ? Vous ne parvenez pas à me tuer de vos mains ?
  • Pensez-vous survivre à cette blessure ? Dans ce cas, vous êtes plus sot que nous ne l’imaginions. Regardez vos hommes, aucun n’accourt pour vous aider. Vous auriez dû les payer davantage. »

En vérité, il était impossible pour les mercenaires d’accéder au prince. La garde royale faisait barrage autour de la souveraine.

« Pour la dernière fois, rendez-vous Dameric !

  • Non, vous allez devoir me tuer ! » fit-il avec un sourire, pensant que la jeune femme ne pouvait se rendre à cette extrémité.

Kaldrys savait qu’il valait mieux le laisser en vie, sans quoi Christan Jakarter pourrait garder rancune contre Ymirgas. Mais cette guerre avait été provoquée par son fils, et il aurait du mal à expliquer le soutien de son armée. Cela conférait à Kaldrys le pouvoir de vie et de mort sur le prince.

Autour de lui, son escouade était parvenue à décimer plus de la moitié des hommes de Dameric et les autres prenaient déjà la fuite devant les yeux médusés de leur chef.

« Qu’est-ce que… mais que font-ils ? fit Dameric en retirant son casque. Revenez ! Revenez ! »

Kaldrys l’imita, un sourire satisfait sur le visage. Il posa un regard glacial sur le prince et venait de décider de son sort.

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