Chapitre 7.7

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Sélène descendit les marches avec précipitation. Elle avait attendu depuis l’après-midi cet instant. Lorsqu’elle ouvrit brusquement la porte, Khiara sursauta mais elle ne lui laissa pas le temps de se remettre de ses émotions et s’écria :

« La guerre est finie ! Nous avons gagné ! Monsieur Zorian a reçu une lettre et il nous a réuni pour nous l’annoncer !

  • Par tous les dieux ! Cela veut-il dire que mon frère va bien ?
  • C’est lui qui a rédigé la lettre. »

Khiara se laissa tomber sur le lit, son cœur battant à tout rompre. Elle ferma les yeux et essaya de faire le vide dans son esprit pour ne pas se laisser submergé par ses émotions.

« Vous allez bien ? s’enquit Sélène qui s’attendait à une réaction plus vive.

  • Oui, je… J’avais si peur de perdre mon frère… Y avait-il d’autres informations dans cette lettre ?
  • Je ne sais pas, Monsieur Zorian ne nous en a rien dit.
  • Zorian, corrigea-t-elle avec un sourire. Kaldrys ne t’a-t-il jamais dit que c’était son prénom ?
  • Les domestiques l’appellent toujours monsieur Zorian.
  • C’est parce qu’il n’est pas d’ici, son nom est long et compliqué à prononcer.
  • D’où vient-il ?
  • D’au-delà de la grande mer, un pays exotique du nom de Haridhyā. Je ne te raconterai pas son parcours, disons simplement qu’il a été l’ami de mon grand-père. »

La joie se lisait sur le visage de Sélène qui ne tenait pas en place. Elle en avait même oublié le repas de la princesse. Khiara connaissait ses sentiments pour Kaldrys. Elle les avait vu dans le regard qu’elle posait sur lui, dans les mots affectueux qu’elle prononçait en parlant du jeune homme et dans les larmes qu’elle avait échappées avant son départ. Cela ne l’enchantait guère, mais Khiara se devait d’intervenir, et Kaldrys absent, elle pourrait plus facilement convaincre Sélène d’abandonner tout espoir de relation avec lui.

« Il faut que nous parlions de Kaldrys, commença-t-elle sur un ton grave. A son retour, les choses vont changer.

  • Il faudra faire comme si nous nous connaissions bien vous et moi, oui.
  • Cela et… tu devras mettre fin à votre relation. Oui, j’ai remarqué, et si je n’ai rien dit jusqu’ici, c’est parce qu’une guerre se préparait et que je ne voulais pas perturber mon frère. Et je t’avais mise en garde à propos de cela, non ? »

Sélène resta muette, les yeux baissés. Elle se sentit comme une petite fille qu’on venait de prendre sur le fait en train de faire une bêtise.

« J’ignore jusqu’où vous êtes allés, mais tu vas y mettre un terme. Et s’il y a des conséquences fâcheuses…

  • Nous n’avons pas… eu de relation physique, si c’est ce qui vous inquiète.
  • Bien. Lorsque mon frère reviendra, tu lui diras que tu as réfléchi et que tu t’es égarée. Que tu as recouvré la raison et que tu ne veux plus être avec lui, sommes-nous d’accord ? »

Sélène ne voulait pas se plier à la demande de la princesse, même si tous la regarderaient de haut en apprenant la relation qu’elle partageait avec Kaldrys. Elle l’aimait et ne voulait pas renoncer à lui.

« Sélène, puis-je compter sur toi ? insista doucement Khiara. Je sais que tu l’aimes, mais c’est pour son bien et le tien. Même si Kaldrys me laisse le trône, il aura un rôle à jouer. Et même s’il n’en avait pas, il reste mon frère. Un prince. Je ne veux pas être grossière, mais vous ne pouvez pas être ensemble. Alors, vas-tu lui dire que tu ne veux plus de lui ? »

Le cœur dans un étau, le visage de Sélène s’assombrit. Elle aurait voulu lui répondre fermement par la négative, mais Khiara serait bientôt en mesure de l’obliger. Cette dernière peina à rester insensible en voyant les larmes dans les yeux de la femme de chambre.

« Je ne doute pas que tu te sois attachée à lui, tout comme lui à toi. Mais certaines choses ne changeront pas avant longtemps.

  • Permettez-moi de penser, Votre Altesse, que si une femme peut accéder au trône, alors une simple servante peut aimer un prince, rétorqua durement Sélène.
  • Ce n’est pas encore chose faite. Je ne t’en veux pas de m’en vouloir, mais réfléchis-y ! Tu as quelques semaines devant toi avant le retour de Kaldrys. »

                         *

Le palais se préparait au retour de Sa Majesté ; la salle de réception avait été redécorée, divers mets disposés et un comité d’accueil attendait le cortège d’un instant à l’autre.

Sélène était remontée dans sa chambre. Elle souhaitait plus que tout voir Kaldrys mais sa joie était ternie par la perspective de devoir le quitter. Khiara n’avait eu de cesse de lui dire qu’ils étaient incompatibles et que leur relation ne ferait que compliquer les choses pour celui-ci. Elle s’était donc presque résignée à y mettre un terme. Khiara lui avait promis de la libérer de la domesticité, et Sélène était consciente que dans un cas comme dans l’autre, elle ne la laisserait pas rester auprès de son frère.

Tandis qu’on frappait à sa porte, elle ravala ses sanglots et essuya une larme sur sa joue.

« Il me semblait bien que tu étais ici, fit Thaniel en passant la tête dans sa chambre. Le convoi arrive, Sa Majesté sera bientôt là, tu ne veux pas venir l’accueillir avec tout le monde ? »

Puis il remarqua sa mine affligée et referma la porte derrière lui avant de s’approcher.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? Je pensais que tu serais heureuse de revoir notre reine, fit-il en s’asseyant à ses côtés sur le lit.

  • Oui, je suis heureuse qu’elle revienne enfin, répondit-elle tristement.
  • Oui, ça s’entend ! la railla-t-il ironiquement. La dernière fois que je t’ai vu heureuse, c’est quand monsieur Zorian nous a annoncé que nous avions gagné la guerre. Alors explique-moi, pourquoi sembles-tu porter le poids du monde sur tes épaules ? »

Sélène hésita à se confier sur sa situation et révéler à Thaniel l’existence de Kaldrys. Elle le savait loyal à la reine, mais le serait-il encore en apprenant le secret de celle-ci ? Pouvait-il y croire ? Kaldrys ne méritait-il pas de garder l’amitié du jeune homme ? Et celui-ci également ?

Ce n’est pas à moi à lui dire. Kaldrys pourrait m’en vouloir et… qui sait si Thaniel gardera le secret.

« Si je te disais que j’aime quelqu’un avec qui je n’ai pas le droit d’être ? marmonna-t-elle sans le regarder.

  • Est-ce que tu parles de Sa Majesté ? Tu es amoureuse d’elle ?
  • Qu-Quoi ? Comment tu…
  • Je vois bien comment tu la regardes, rit-il. Et c’est une très belle femme, personne ne peut résister à ses charmes !
  • N-Non, non ! Il ne s’agit pas de Sa Majesté, se rattrapa maladroitement Sélène.
  • Ah oui ? Tu connais quelqu’un d’autre avec un rang supérieur au tien ? dit-il alors que son sourire s’élargissait.
  • C’est compliqué ! Je ne peux pas t’expliquer.
  • Bien, ne me dis rien ! Mais si je peux te donner un conseil, ne sois pas trop idéaliste. Cette personne ne sait sûrement pas que tu existes. Et si jamais c’est le cas, on ne la laissera pas entamer une relation sérieuse avec toi. Davantage si elle doit hériter d’un trône.
  • Ce n’est pas Sa Majesté, insista-t-elle.
  • Bien, bien ! Mais ne rêve pas, le prince charmant n’existe pas, ni la princesse ! Allez, viens avec moi accueillir Sa Majesté ! »

Il la tira gaiment par le bras jusque dans la cour, là où tous les domestiques étaient rassemblés. Zorian attendait sur les marches de l’entrée et guettait l’approche de l’armée.

Lorsque celle-ci arriva dans la cour, l’effervescence gagna tout le monde. En voyant Kaldrys, le cœur de Sélène bondit dans sa poitrine. Elle ignora l’exaltation qui se propageait à chacun de ses pairs et versa quelques larmes de bonheur, attendant qu’il posât enfin les yeux sur elle.

Sa Majesté descendit de cheval et se dirigea vers Zorian qui le regardait avec une immense fierté. Le sourire du conseiller n’avait jamais été si grand et sa joie l’était tout autant.

« Votre Majesté, vous êtes enfin de retour ! Bienvenue chez vous ! Si vous saviez combien nous sommes tous heureux de vous revoir, lança-t-il en posant ses mains sur ses épaules.

  • Nous sommes également ravie ! répondit Kaldrys dont les yeux cherchaient déjà sa bien-aimée dans l’assemblée des domestiques.
  • Nous vous avons préparé une surprise dans la salle de réception, si vous voulez bien me suivre.
  • Peut-être pourrions-nous nous changer avant ? avisa-t-il avec l’espoir de se retrouver seul avec Sélène.
  • Oh, bien sûr Votre Majesté ! Sélène ? »

Celle-ci s’extirpa d’entre les rangs des domestiques, baissant les yeux pour ne pas croiser ceux de Kaldrys.

Ne me regardez pas comme ça ! grogna-t-elle intérieurement de peur que quelqu’un ne remarquât la tendresse de son regard.

« Ne nous attendez pas, veuillez guider nos hôtes à la salle de réception » ordonna le souverain à Zorian.

Celui-ci s’inclina et s’exécuta tandis que Sa Majesté et Sélène se rendaient à la chambre royale.

Ils n’échangèrent pas un mot. Les couloirs leur parurent plus longs qu’à l’habitude. Kaldrys souriait, ne cessant de se retourner vers Sélène qui rayonnait de bonheur en le suivant. Leurs regards se cherchèrent et se mélangèrent à plusieurs reprises. L’impatience se lisait sur leurs visages.

Lorsqu’enfin Kaldrys referma la porte de la chambre derrière eux, il sentit son corps trembler. Il ne perdit pas une seconde et fondit sur Sélène pour l’embrasser. Le contact de ses lèvres le fit fondre intérieurement. Il en voulait plus, sentir sa peau contre la sienne, profitait de sa chaleur, de son parfum. Et lire dans son regard tout l’amour qu’elle éprouvait pour lui. Toutefois il se permit seulement de l’embrasser encore et encore sans jamais s’autoriser à dépasser cette limite.

« Pardonne-moi, rit-il finalement en s’interrompant, tu m’as beaucoup manquée !

  • Vous m’avez aussi manqué, Majesté !
  • Kaldrys, corrigea-t-il, tu avais promis de m’appeler par mon prénom, tu te souviens ?
  • Oui, mais…
  • Mais ? la pressa-t-il en suspectant que quelque chose n’allait pas.
  • Il est peu probable qu’on nous laisse être ensemble, Majesté.
  • Qui donc va nous en empêcher ? Ma sœur ? Il n’y a qu’elle qui a pu te dissuader. Elle n’a pas le pouvoir de commander à mon cœur, ni au tien. C’est à nous de décider.
  • Notre relation est interdite.
  • Je ne laisserai personne nous l’interdire, fit Kaldrys en déposant un baiser sur sa joue. Je t’aime, petite lune.
  • Je vous aime aussi, Kaldrys. »

Il laissa échapper un petit gloussement satisfait et pressa de nouveau ses lèvres contre les siennes avant de la tirer contre lui. Là, il ferma les yeux et savoura ce contact. Sélène fit de même, bien qu’inquiète pour leur avenir, elle voulait elle-aussi profiter de ce moment dont elle avait rêvé depuis des semaines.

« Kaldrys, chuchota-t-elle après un moment, on vous attend à la salle de réception.

  • Oh, j’avais oublié. Peut-être pourrai-je prétexter une soudaine fatigue pour rester ici avec toi ? lança-t-il avec amusement.
  • Non, vous ne pouvez pas, mais je suis ravie que vous le proposiez. »

Il afficha une mine boudeuse qu’elle trouva terriblement charmante, mais elle insista : elle devait l’aider à se changer et le laisser redescendre.

Et pendant ce temps, il lui arracha quelques baisers, le cœur léger.

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