Chapitre 7.8
Kaldrys était épuisé, il aurait voulu dormir. Pour une fois, le balcon n’hantait pas ses pensées et le sommeil voulait l’attirer dans ses douces ténèbres. Mais il devait encore aller voir sa sœur qui l’attendait impatiemment.
Plus il descendit les marches, plus il fut gagné par l’appréhension. Il n’était pas tout à fait certain de ce qu’il craignait. Sélène sentait sa nervosité mais ne sut quoi lui dire pour l’apaiser.
Lorsqu’il ouvrit la porte, Khiara se jeta sur lui sans aucune retenu pour le prendre dans ses bras. Elle le serra si fort qu’il crut étouffer. Mais il en apprécia chaque seconde, il ne la stoppa que parce que son épaule le faisait souffrir.
« Tu es blessé ? Que s’est-il passé ? demanda-t-elle en l’examinant malgré la faible lueur des bougies.
- La guerre, ma chère sœur, mais je vais bien ! C’est encore un peu douloureux, cela passera.
- Si tu avais été tué, j’en serais morte, Kaldrys, sanglota-t-elle brusquement.
- Ne pleure pas, je suis là et je vais bien.
- Je sais, je suis si heureuse de te revoir ! J’ai bien cru que cela n’arriverait plus jamais ! »
Elle le lâcha finalement et se précipita sur le plateau que Sélène venait de déposer pour picorer quelques fruits. Voyant que son frère la regardait avec amusement, elle expliqua qu’elle n’avait pas avaler quoi que ce soit depuis l’annonce de son retour imminent.
« Qu’as-tu prévu pour la suite ? Quand vais-je sortir d’ici ?
- Très bientôt, je l’espère. Quand tu ne seras plus reine régente, mais reine. Ceci fait, on ne devrait pas me solliciter pour gouverner.
- Que tu dis ! Tu restes un homme, Kal, ils te supplieront à genoux s’il le faut de me ravir le trône.
- Tu sais que je n’en veux pas, donc cela n’arrivera pas.
- Tu ne les connais pas, ils vont insister jusqu’à ce que tu cèdes.
- Bien sûr que je les connais, j’ai à faire à eux depuis quatre ans pour chacune de mes décisions. Davantage encore ces derniers mois.
- C’est vrai » admit-elle en posant ses yeux sur Sélène.
La femme de chambre évitait soigneusement de les regarder. Elle se faisait toute petite, espérant que le sujet de sa relation avec Kaldrys ne reviendrait pas au menu. C’était mal connaître Khiara.
« Laisse-nous, je dois parler à mon frère seul à seul, dit-elle en reportant un regard sévère sur celui-ci.
- Je sais de quoi tu veux parler et cela la concerne aussi ! répondit immédiatement Kaldrys en attrapant le bras de sa bien-aimée pour l’empêcher de sortir. J’aime Sélène et je ne me séparerai pas d’elle.
- Tu es un prince, Kaldrys. Je sais que tu n’es toujours pas habitué aux convenances, mais…
- Je me fiche des convenances, elles ne régissent pas ma vie. Et je les trouve stupides !
- Tu ne peux pas changer le monde !
- Si je peux le faire pour te permettre d’accéder au trône, je peux le faire pour être avec Sélène.
- C’est impossible, tu ne peux rien faire contre son absence de rang.
- Je l’anoblirai, si ce n’est que cela, ce doit être faisable !
- Soit raisonnable, tu ne peux pas le faire sans créer le chaos à Ymirgas ! Je suis navrée, mais vous ne pouvez pas avoir de relation ici !
- Bien ! Dans ce cas, il y a un pays au-delà de la grande mer que j’aimerais visiter. Peut-être irons-nous ensemble sans jamais revenir !
- Tu partirais ? se radoucit brusquement Khiara, les larmes aux yeux.
- Je n’en ai pas envie, soupira-t-il, mais je refuse de laisser la personne que j’aime sous prétexte qu’elle n’a pas le bon rang. »
Il vint prendre ses mains et plongea son regard azur dans celui de sa sœur.
« Je ne serai que l’étrange petit frère qui n’a jamais mis le nez dehors, cela fera jaser les premiers temps mais… tout le monde s’y fera ! Surtout si tu ne t’y opposes pas. Vas-tu t’y opposer ?
- Si tu es heureux, je n’ai pas de raison de le faire. Mais je ne voudrai pas que l’on se moque de toi. Sans vouloir t’offenser, Sélène.
- Je comprends, Votre Altesse » la rassura celle-ci.
Enchanté par la façon dont avait tourné la conversation, Kaldrys colla un baiser sur la joue de sa sœur et la serra dans ses bras. Il adressa un clin d’œil discret à Sélène qui lui répondit par un sourire. Elle se sentit profondément heureuse de savoir qu’elle comptait autant pour lui.
« Ce point étant réglé, tu dois me dire ce que tu comptes faire, fit Khiara avec sérieux.
- J’irai voir le conseil dès demain et je leur demanderai de faire de toi la reine. Plus question de régence ! Plus question que quelqu’un te vole ton héritage !
- C’est le tien aussi.
- Je n’en veux pas.
- Tu ne veux rien qui te rattache à Père.
- Oui, je ne veux rien de cet homme, répondit-il durement. Il m’a bien assez donné. »
Khiara songea qu’elle aurait aimé que son frère connût les bons côtés de leur père. Elle se rappela l’homme aimant et protecteur qu’il était et regretta ce qu’il lui avait fait subir. Jamais Kaldrys ne saurait qu’il n’avait pas été qu’un monstre.
« Tu sais, Kal, je suis certaine qu’une partie de lui le regrettait, fit-elle avec douceur.
- Ne projette pas tes désirs sur la réalité. Il me détestait.
- Tu restais son fils. Il ne le savait pas, mais il t’aimait.
- Non Khiara, il me haïssait au plus haut point. C’est pour cela qu’il s’est permis de faire tout ce qu’il m’a fait. Je ne lui pardonnerai jamais parce que tout cela est ancré en moi, pour toujours. La peur, l’angoisse, la tristesse, le doute… j’y serai davantage soumis toute ma vie, par sa faute.
- J’aimerais que tu ais tort, mais… peut-être que tu as raison. »
Voyant la tristesse passer dans les yeux de sa sœur, Kaldrys caressa sa joue et lui demanda de se préparer à reprendre sa place.
« Tu vas devoir dire « nous », se moqua-t-il gentiment.
- Et tu vas devoir faire comme si tu ne connaissais personne, lui rappela-t-elle en usant du même sourire.
- Me confronter sans cesse à Zorian ne vas pas me manquer. Et il est la seule personne exceptée Sélène à qui je parle régulièrement.
- Et Thaniel ? fit Sélène en sachant qu’il comptait beaucoup pour le valet.
- Thaniel ? Qui est-ce ? » s’enquit Khiara, surprise de savoir que son frère avait noué une autre amitié.
Kaldrys expliqua qui il était et ce qu’il avait fait pour le jeune homme. Sélène ajouta que le valet éprouvait une grande loyauté envers la reine et qu’il lui faudrait continuer de lui témoigner le même intérêt habituel pour ne pas éveiller de soupçon.
« A dire vrai, je m’inquiète plutôt de Zorian, confia Khiara. Lorsque Père était en vie, je le voyais, mais pas autant que toi depuis que tu es sur le trône. Ne va-t-il pas comprendre en nous voyant ?
- Nous balayerons ses doutes, mais… il te voue une confiance aveugle. Il sera peut-être déçu que tu ne lui ais jamais parlé de moi.
- Père ne l’a pas fait non plus. Nous lui dirons que c’était pour assurer l’avenir du royaume. Il ne faudra pas que nous nous ressemblions trop, tu devras couper tes cheveux.
- Pardon ? Pourquoi moi ? Toi, coupe tes cheveux ! se renfrogna-t-il.
- Tout le monde est habitué à voir la reine avec de longs cheveux, ce serait étrange de me voir apparaitre avec une autre coiffure tandis que tu me ressemblerais comme deux gouttes d’eau ! Il n’y aurait pas plus évident ! »
Le souverain soupira, dépité ; il aimait ses longs cheveux noirs et davantage depuis que Sélène en prenait soin. C’était un moment intime qu’il ne voulait écourter pour rien au monde.
« Je vous aiderai à les couper, Majesté, l’encouragea celle-ci. Vous verrez, ils ne seront pas aussi court que vous l’imaginez.
- Ne fais pas cette tête, se moqua Khiara en voyant l’expression désespérée que prenait son frère, ce n’est pas la fin du monde ! Dis-toi que tu prends un nouveau départ ! »
Ils discutèrent encore une partie de la nuit afin de préparer Khiara, et si Kaldrys le masqua parfaitement, la situation l’avait rendu terriblement anxieux.
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