Chapitre 8.6

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Zorian attendait le prince dans le hall d’entrée du palais. Ses habits n’étaient guère différents de d’habitude, hormis la broche représentant le blason d’Ymirgas accrochée à sa poitrine. Il ne la portait que pour les grandes occasions, comme quatre ans plus tôt pour le premier couronnement de Khiara.

Dès qu’il vit Kaldrys, il le détailla du regard, voulant s’assurer que tout chez lui était parfaitement convenable. Puis ne trouvant rien à redire, il se mit à sourire.

« Bonjour Votre Altesse ! Si vous le permettez, nous allons faire le chemin jusqu’à la cathédrale ensemble.

  • Bien sûr ! Khiara est-elle déjà partie ?
  • J’en ai peur, rit-il, le duc Porel et son fils l’ont accompagnée. Elle semblait impatiente. Ne la faisons pas attendre plus longtemps et rejoignons notre carrosse. »

Ils montèrent tous deux dans l’attelage qui se mit immédiatement en route. A peine sortis de la cour du palais, une immense foule les accueillit, bordant la route jusqu’à la cathédrale. Tous espéraient voir le prince et s’enthousiasmaient pour l’événement à venir.

Kaldrys regardait pensivement à l’extérieur, triturant nerveusement ses doigts. Zorian l’observait silencieusement quand un détail lui sauta aux yeux. Si dans un premier temps, il se sentit trahi, un sourire apparut rapidement sur ses lèvres.

« Quand avez-vous pris la place de votre sœur ? »

Le corps de Kaldrys se tendit aussitôt. Il tourna vers lui un regard inquiet qui fit rire le conseiller.

« Je me rappelle très bien ces cicatrices sur vos mains pour les avoir vu de près. C’est Annabelle qui vous les a faites. »

Le prince ne sut comment réagir, la panique l’avait envahi. Il chercha quoi répondre, mais les pensées se bousculaient dans son esprit. Il commença à s'imaginer des scénarios impossible sur ce qui allait se passer.

« Ne craignez rien, je garderai votre secret. Je dois avouer cependant que je ne pourrais dire avec exactitude quand vous l’avez remplacée. Sûrement après le décès du roi Drasyl. »

Kaldrys se contenta d’un signe de tête affirmatif, évitant le regard du vieil homme. Il ne voulait trop en dire par crainte que Zorian comprenne ce qu’il s’était passé.

« Cela a dû terriblement vous effrayer, pourtant je n’ai jamais douté de l’identité de la Khiara que j’avais devant moi.

  • Je suis navré de vous avoir ainsi dupé, Zorian.
  • Ne vous excusez pas, Votre Altesse, vous avez protégé votre sœur et le royaume.
  • A dire vrai, vous m’avez grandement aidé. J’aurai été bien perdu sans vous à mes côtés.
  • Vous me voyez ravi d’entendre cela. J’aurais cependant aimé faire davantage, votre Altesse. Je veux dire… j’aurais aimé pouvoir raisonner votre père.
  • Vous ne saviez pas, il ne sert à rien de regretter ces choses. Et s’il en est une qui m’a rendu heureux, c’est de vous avoir à mes côtés. J’étais sincère lorsque nous étions dans la bibliothèque.
  • Vous m’honorez, répondit le conseiller avec un sourire contenu. Ces dernières années ne vous ont donc pas convaincu de gouverner ?
  • Je crains que non. J’étais également sincère lorsque j’ai dit que Khiara ferait cela bien mieux que moi. Et… je me dois d’être égoïste et de me concentrer sur moi.
  • Un souhait légitime, Votre Altesse, fit Zorian dont la voix avait pris le ton de la sagesse. Sachez que je reste à votre disposition si vous avez besoin de quoi que ce soit.
  • Merci. »

Les yeux de Kaldrys pétillaient d’admiration tandis qu’il regardait l’homme. Il songea quelle chance il avait de le compter dans sa vie. Mais il s’interrogea : comment Zorian réagirait-il s’il savait qu’il avait tué son père ? Le prince n’osa pas chercher de réponse à cette question. Jamais il ne le lui dirait. Pour tous, cela resterait l’œuvre d’un assassin dont le nom serait inconnu à tout jamais.

« Nous arrivons, annonça Zorian en regardant à l’extérieur, veillez à ce que vos paumes ne soient pas trop visibles. Nous trouverons comment régler cela plus tard. Il ne faudrait pas qu’un garde du palais les reconnaissent, n’est-ce pas ?

  • Je ferai attention » promit Kaldrys.

Devant la cathédrale, la foule était encore plus dense. Des soldats maintenaient l’ordre et d’autres la retenaient pour laisser un passage aux conviés.

« Je vais sortir en premier, fit Zorian en voyant que Kaldrys était tendu, rejoignez-moi lorsque vous vous sentirez prêt. Mais Votre Altesse, ne les craignez pas. Ils sont tout aussi curieux de vous voir qu’excités à l’idée de ce couronnement. De ce que j’ai entendu dire, les deux nouvelles les ont surprises, bien sûr, mais aussi enchantés.

  • Mais… et si… ils me trouvent… quelconque ? S’ils ne m’aiment pas ?
  • Vous êtes Kaldrys de Bénéfiel, vous ne pouvez être quelconque, répondit Zorian avec un sourire amusé. Ils vous aimaient lorsque vous aviez pris la place de votre sœur, n’étiez-vous jamais vous-même ? Jouiez-vous tout le temps un rôle ?
  • Non, cela aurait été difficile.
  • Alors ils vous aimeront. J’ai ouï dire que le peuple a grandement approuvé votre décision de laisser le trône à votre sœur, davantage après ses exploits. Pensez-vous encore qu’ils puissent vous détester ? »

Zorian lui adressa un sourire encourageant puis sortit attendre devant le carrosse. Kaldrys regretta l’absence de Sélène, elle aurait dissipé ses doutes et apaisé en quelques mots. Et pourquoi fallait-il que Khiara soit partie avant lui ? N’auraient-ils pu arriver ensemble ? Il revit sa douce Sélène lui répétait qu’il allait être en retard et se maudit pour son entêtement à prendre les choses avec légèreté.

Allez, Zorian t’attend ! Et tous ces gens aussi ! Tu veux qu’ils se disent que le prince est une chiffe molle ?

Il inspira profondément. Une fois. Puis deux. Il se promit de mettre un pied dehors à la troisième. Le plus dur était de se lancer ! Trois.

A peine sorti, la foule l’acclama. Il se força à sourire et à répondre à quelques signes de la main, mais tout son être était pétrifié. Les souvenirs de son couronnement lui revinrent en mémoire. Cet événement-là avait été beaucoup plus effrayant. Il n’avait pas su à quoi s’attendre, un stress incommensurable s’était alors emparé de lui. Il ne savait comment il y avait survécu.

Heureusement, tout de suite, il pouvait encore compter sur Zorian pour le tirer de sa torpeur. L’homme glissa une main dans son dos et le poussa doucement vers l’entrée de la cathédrale. Kaldrys le suivit, essayant de lutter contre la pensée que tous devaient le dévisager. Et s’il pensa qu’une fois à l’intérieur, il en serait débarrassé, les regards qui se tournèrent automatiquement vers lui donnèrent matière à approuver sa réflexion.

Zorian le guida rapidement au premier rang ; sur la gauche, il vit les membres du conseil déjà installés et qui le saluèrent brièvement. Sur la droite, il retrouva avec joie Beau de Lavalière et son compagnon Jesami Raeven. Les deux hommes affichaient le même sourire amical tandis qu’ils le détaillaient.

« Votre Altesse, Messire, fit Zorian, laissez-moi vous présenter Kaldrys de Bénéfiel. Votre Altesse, voici Son Altesse Beau de Lavalière et Messire Jesami Raeven. »

Kaldrys craignit que ces deux-là le reconnaissent, mais comme les autres, ils ne virent en lui que le petit frère de la reine. Il fut néanmoins ravi de les avoir à ses côtés pour la cérémonie – au moins ne le regarderaient-ils pas avec la curiosité mal placée de certains nobles.

« Votre sœur craignait que vous soyez en retard, le taquina Jesami en tournant un regard complice vers son bien-aimé.

  • Elle a dit que nous serions sûrement tous déjà revenu au palais lorsque vous seriez prêt, ajouta Beau.
  • Mais vous l’avez faite mentir, renchérit le brun. Faire mentir votre reine… tenez-vous donc si peu à votre tête ?
  • Par chance, elle est magnanime » rétorqua Kaldrys qui enviait secrètement l’entente des deux amants.

L’instant d’après, un chœur entonna un chant religieux, signifiant à tous le début de la cérémonie. Tous les invités se levèrent et attendirent l’apparition de la future reine. L’archevêque se tenait avec quatre évêques devant l’assemblée – chacun d’eux portant l’un des insignes royaux. Dès que le chant prit fin, l’homme entama un long discours à propos de Dieu et des précédents souverains. Leurs rôles, leur impact sur Ymirgas et ses habitants. Puis un nouveau chant résonna dans la nef et Khiara apparut. Tandis qu’elle avançait vers l’archevêque, elle chercha son frère du regard. Un sourire se glissa sur ses lèvres lorsqu’elle le remarqua. Et à voir qui l’entourait, il devait se sentir à l’aise. Il leva un sourcil dans sa direction qui semblait dire « Tu vois, je ne suis pas en retard ! » auquel elle répondit par un léger plissant d’yeux, « Je te l’accorde, tu es pile à l’heure, pour cette fois ». Ils partagèrent brièvement le même sourire, puis Khiara afficha un sérieux sans pareil. Elle s’apprêtait à vivre l’un des plus grands moments de sa vie et sentit son corps se tendre d’un coup. Son corset lui paru soudainement l’étouffer tandis qu’elle se tournait vers l’homme à la mitre.

Derrière elle, son frère remarqua rapidement que quelque chose n’allait pas. Il allait se précipiter vers elle, mais Zorian le retint discrètement :

« Cela va lui passer rapidement, ne vous en faites pas, lui chuchota-t-il, un peu d’appréhension avant le grand saut. Cela doit vous rappeler quelque chose. »

Kaldrys se revit tout tremblant et maladroit quatre ans plus tôt. Si le conseiller n’avait pas été là pour lui dire quoi faire, son couronnement aurait rapidement tourné au fiasco. A contrario, Khiara avait eu le temps de se préparer et on lui avait dévoilé comment la cérémonie allait se dérouler.

Lorsqu’il la vit inspirer profondément puis se reprendre, il sut que Zorian avait bien fait de le retenir. Sa grande sœur n’avait plus besoin de son aide.

En la voyant revêtir les différents insignes – le manteau royal, signe de pouvoir, l’anneau, symbole de l’union entre le souverain et son peuple, puis le sceptre, signifiant puissance et royauté – Kaldrys se sentit à la fois soulagé et triste. Khiara allait-elle encore avoir besoin de lui désormais ? Il se sentit comme un peintre ayant achevé son œuvre après des heures d’effort. Allait-il un jour retrouver l’inspiration ou allait-elle ne jamais reparaitre devant lui et le laisser vider de toute ambition ?

Kaldrys regarda l’archevêque déposer la couronne royale sur la tête de sa sœur encore agenouillée. Lorsqu’elle se relèverait, elle serait enfin reine. Tout ce pourquoi il avait lutté allait finalement se concrétiser.

Khiara se redressa lentement, comme si elle craignait que la couronne ne tombât de sa tête. Puis elle se tourna vers l’assemblée, un large sourire sur les lèvres, parée des emblèmes royaux.

« Vive la reine ! conclut l’archevêque.

  • Vive la reine ! » reprit la foule.

Un nouveau chant s’éleva et la souveraine entreprit de descendre la nef. Lorsqu’elle fut à hauteur de son frère, elle lui adressa un sourire reconnaissant auquel il répondit à son tour en s’inclinant légèrement. Zorian ne perdit rien de ce langage secret qu’il était bien le seul à pouvoir interpréter. Son regard fier se posa sur Kaldrys puis suivi Khiara. Du haut de leurs vingt ans, ils étaient déjà de grands souverains. Il ne douta pas que Kaldrys voudrait poursuivre ses projets, comme celui d’éduquer les domestiques et d’imposer les femmes comme l’égal des hommes. A bien y réfléchir, le jeune homme était parfait pour la mission qu’il s’était donné : éduquer comme une femme, il avait vécu ce qu’occasionnait cette condition. Et on allait désormais vouloir lui apprendre à se comporter comme un homme. Zorian sourit : il donnerait cher pour voir celui qui oserait s’atteler à la tâche.

A l’extérieur, les acclamations de la foule redoublèrent à la vue de Khiara. Cette dernière avança vers le carrosse qui l’attendait, faisant quelques signes à ses sujets. Une joie immense émanait d’elle ; une aura douce et chaleureuse gagnant quiconque la regardait.

Le capitaine Tellir lui ouvrit la porte de l’habitacle et lui réserva son sourire le plus chaleureux. Khiara n’était pas la seule à avoir le cœur en fête. Dès qu’il l’eut refermé, le carrosse prit le chemin du palais.

Les festivités durèrent plusieurs jours dans tout Ymirgas. La jeune reine avait gagné le soutient et l’affection de tout son royaume.

Après la défaite du royaume de Vathia, le roi Christan Jakarter avait déjà fait parvenir une lettre où il s’excusait des actes de son fils, jurant qu’il en ignorait tout. En guise de réparation, il avait promis divers présents ainsi qu’une somme d’or conséquente.

Victor Haubois, après avoir appris la nouvelle, avait renouvelé son amitié à Ymirgas, comme l’avait fait les Lavalière, voulant ainsi couper court aux envies de vengeance du royaume de Vathia. Christan Jakarter ne se lancerait pas dans une nouvelle guerre, encore moins en se sachant perdant.

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