La Chasseuse d'Etoiles

8 minutes de lecture

Du haut d’un rocher, un cri désespérant résonna. La lune brillait dans le ciel d’hiver, claire et illuminant la scène de son regard maternel, apaisant de son éclat d’argent. Apaisant tout, de la neige immortelle aux âmes qui errent, sans bruit, lors des nuits amères. Sur la forêt, en contrebas, le silence s’écrasa. Les ours y virent une bénédiction, les chouettes une malédiction. Le plus étrange, sans doute, fut que tous deux avaient raison. Le désespoir d’une Louve les mènerait tant à la raison qu’à la pendaison. Car l’une ne peut être dissociée de l’autre, surtout en des temps troublés, lorsque naît l’aube. Pour la prédatrice, nulle fureur plus dominatrice que celle d’une mère éplorée devant la mort de ses enfants adorés, nul malheur plus dévastateur que celui qui est en avance sur son heure. Aucun des animaux divins n’avait vu, et par conséquent prévenu, celle qui changerait leur monde, ni qu’elle vivait en son sein. Cette chasseuse, bien loin d’être une peureuse, avait reçu des cieux une bénédiction dont elle avait gardé le nom. La Chasseuse d’Etoiles, ainsi était gravée dans sa moelle une destinée privilégiée, faite de danger et de la douleur d’une mère éplorée.

Lors de cette fatale nuit, l’animal mugit, trouvant, de sa chasse rentrant, les corps sans vie de son mari et de ses enfants. Elle n’eut pas besoin du sang pour s’assurer qu’ils avaient été vivants, mais que désormais ils reposaient là où leurs aïeux les demandaient. Cependant, la Louve se refusa toute pitié et se jeta, corps et âme, à la recherche du meurtrier. Il n’y avait, sur la neige fraîche, aucune brèche, aucune piste sèche sur laquelle elle pouvait s’appuyer. Seulement la trace d’un corps sanguinolent, traîné lâchement pour couvrir ses déplacements. Pour continuer à faire semblant. Tout va bien, diraient les journalistes au matin. C’est elle qui les a tués. Nous, nous savions que ça allait arriver. Comment, demandez-vous ? Ce n’était qu’une question de temps, bande de voyous ! S’enticher d’une meurtrière, voyons, est-ce donc des manières ? Non, si elle se dit guerrière, croyez-nous, il y a quelque chose derrière ! Sans aucun doute on l’accuserait, mais la Chasseuse d’Etoiles, elle, savait. Et elle le retrouverait. Elle le traquerait, sans jamais, ô grand jamais, lui laisser la moindre chance de s’échapper de ses filets.

Elle se mit en marche, suivit la créature jusqu’à son arche, son long museau balafré frôlant les flocons ensanglantés. Chaque respiration qu’elle prenait, chaque pas qu’elle esquissait lui rappelait d’où elle venait. Oui, elle le tuerait. Et elle le jurait, cette nuit-là, elle hurlait son bonheur, son mantra, sa promesse, aux étoiles sans finesse, sur la toile lilas de la nuit qui s’en va. Sa piste la conduisit jusqu’au milieu des bois, tandis qu’elle était gagnée par le froid. Le sang s’arrêtait là. Mais l’odeur de son tueur ? Mélangée à celle du sang, peut-être restait-il une lueur. La gueule entrouverte, au milieu des bois humait la bête. Des différents parfums qu’elle connaissait, un seul l’intéressait, celui teinté d’un passé d’un défunt. Pourtant, ici, le vent avait tout emporté, laissant la chasseuse des chemins à la croisée. Il lui restait une seule certitude, qu’aucune attitude ne pourrait berner. Pour tuer un loup, il fallait être fort. Et pour être fort, il fallait être loup. Ou ours.

Immédiatement, elle comprit qu’elle s’était lancée dans une course effrénée jusqu’à la tanière du seul être dont elle craignait les manières. Loin d’être des siens, de chanter à la Lune comme tout un chacun, il se prélassait dans la luxure et les déchets, leur étant supérieur, en bonheur pas en honneur. Si elle ne devait jamais rater sa proie, il était dit que des meurtriers il était le roi. Et par conséquent, s’était vu attribuer le titre de Roi du Châtiment. Là, assis sur son trône, négligemment, il condamnait la faune d’un geste du doigt, comme un enfant. Un enfant dont le jugement arrivait à toute allure, sous les pattes d’azur d’une louve déterminé à lui faire goûter les plaisirs qu’il offrait selon ses désirs. Aussi, lorsque la porte de son repaire ne s’ouvrit, joua-t-elle la comédie du journaliste qui avait du flair.

« Vous n’entrerez pas, une voix lui répondit.

- Et pourquoi pas ? d’une douce voix elle sourit.

- Parce que je vous reconnais.

- Ah oui ?

- Grâce à votre haleine de poney.

- Eh bien, je vous remercie, c’est une chose à dire à une lady. »

Offusquée, elle recula et revint sur ses pas, sa vengeance ravalée. En rentrant chez elle, elle fut assaillie par une nuée de tourterelles, qui voulaient tout savoir de leur ennemi. Il leur fallut beaucoup de patience, car jamais la Louve ne dance comme le veut la chance. Journalistes et paparazzis durent rester à la porte un jour et une nuit avant de pouvoir interroger la louve sur son désespoir. Elle, qui déjà vivait l’enfer, répondit aux questions, amère. Peu lui importait si on l’accusait, mais s’il y avait bien une chose qu’elle refusait, c’était qu’on salisse la mémoire de sa famille, qu’on la ternisse. Parce qu’elle leur était liée, il fallait à tout prix qu’ils incarnent la méchanceté, la vilenie. Même si elle n’était pas comme ça, si elle s’était battue toute sa vie, si elle avait tout fait pour protéger ces gens-là, elle comprenait leur hypocrisie. Eux ne voyaient que ce qu’ils voulaient. Eux ne luttaient que lorsque ça leur convenait. Eux ne comprenaient que ce qu’ils croyaient vrai. Même si c’était faux, peu leur importait.

Voilà la réalité qu’elle avait passé sa vie à sauver. Des gens qui jamais ne la remerciaient, qui s’en détournaient, qui lui préféraient des jouets, ceux du grand marionnettiste. Celui qui depuis toujours, comme un artiste, tire les fils dans l’ombre, tendant ses doigts sombres avides de lumière vers leur univers, pour faire voler en éclats le verre délicat qui les protégeait, de quoi ? De ça. De la douleur, de la froideur. Eux, ils nageaient dans le bonheur. C’était la base de leur société, la règle de l’unité. Soit heureux, tu es protégé, sans offrir la moindre pensée à ceux qui luttaient. Et désormais, elle la détestait. Elle haïssait vraiment tout ce qu’elle protégeait.

Ainsi, dès que les questions perdaient leur intérêt, elle les congédiait, jusqu’à ce qu’enfin il ne reste plus personne sur son perron. À cet instant, elle pouvait lancer la chanson. Elle s’empara de son uniforme et épingla dessus la broche Licorne. Elle se tourna vers le miroir en bois d’orme, vérifiant sa couronne, puis s’en alla. Si de ses yeux rougis coulaient toujours des perles d’Arabie, nul n’aurait pu douter que cet aujourd’hui se teinterait de rubis. À la vérité, à peine fut elle arrivée devant les grandes portes fermées qui la veille s’étaient révélées infranchissables qu’elles cédèrent avec la fragilité d’un château de sable. Gardes et mercenaires se firent insaisissables pour éviter la guerrière, laissant derrière eux un monde désert seulement pavé de misère. La Chasseuse ne se préoccupa de rien, dangereuse, désireuse d’arriver à ses fins, de se dresser face au destin. Elle les vengerait de ces bons à rien, soi-disant nés une lame à la main. Elle leur montrerait, on ne s’en prenait pas aux siens. Pas si on n’avait aucun soutient, du moins. Et avec elle dans les parages, tous étoufferaient leur rage, tous ravaleraient leurs présages pour éviter les outrages. Car un manque de respect jetterait un froid définitif et signifiait un destin expéditif.

Ainsi son entrée dans cette zone sécurisée, griffes, crocs et lame aiguisée effraya-t-elle jusqu’aux plus hauts placés. Lorsque son nom fut annoncé à la bête qu’elle haïssait, tous deux frissonnaient. Leur rencontre, beaucoup le savaient, la fin de l’un ou de l’autre signerait. Et choisir les mettait dans l’embarras. Une fois le silence revenu, le Roi permit que l’on entrât. La nouvelle venue ne s’embarrassa de paroles superflues et cracha immédiatement le mot qu’elle ravalait sans cesse :

« Rat ! Je te cherchais, tu me le paieras !

- Tiens donc, vous voilà ! Je vous attendais, chère…

- Ce n’est pas comme ça que tu m’auras, vipère. Lequel des tiens a cherché l’enfer ? Dis-moi !

- Ou quoi ? Je ne crains ni ta lame ni tes mots, loupiot. Tu cherches un âne costaud ? Tu l’as devant toi, ô mon bel oiseau.

- Un oiseau ? Où donc vois-tu un de tes nigauds ? À moins qu’enfin tu ne te sois résigné à faire éclater la vérité ? Qu’en penses-tu donc, saleté ? Vas-tu dégainer contre une mère qui pleure un amour brisé, ou avoueras-tu enfin tout tes péchés et te jeter à la mer ? Si c’est toi qui les a tués, soit ! Je ne ferais que les venger. Que tous ici soient témoins, nous verrons ce que vaux ce babouin !

- Que ne suis-je donc ton ennemi pour répondre à tes provocations, mais pour une fois je réponds à ta question. Ce qui a été fait n’a qu’un tort.

- Un seul ?

- Oui, il manque un corps.

- Ah, voilà donc ce qui sort de ta gueule. Une nouvelle menace.

- Pas pour un cœur de glace, voyons !

- À quoi bon, de toute façon. Il faut que je le fasse. »

À ces mots, la mère de son arme fit siffler l’air. Le Roi, descendant de son trône, toute aide refusa. Il se débarrassa de ses manières, fixa son adversaire et inspira. Enfin, il allait s’en débarrasser. Sa certitude se brisa avec le bruit du verre. Il se retourna, encore fier, nimbé de lumière, déclenchant les hourras. Ce fut la dernière. Une arme le transperça par derrière. L’atmosphère s’embrasa, retenant la colère des partenaires, avant la Chasseuse ne les reprenne, amère.

« J’ai conscience que mon acte est un manquement à l’honneur. Je comprends qu’il suscite votre rancœur. C’est pourquoi je vous demande de songer à ce que j’ai dû traverser. Un instant, fermez vos yeux, éloignez vos pensées, laissez votre cœur vous guider. Vous rentrez chez vous, après une longue journée. D’avance, vous vous réjouissez. Qu’est-ce donc que votre mari vous a préparé ? De quoi allez-vous donc discuter ? Vous toquez, toquez, toquez, rêvant. Rêvant inutilement. Car la porte est juste repoussée. Derrière, tout ce que vous trouverez, c’est votre famille massacrée, vos souvenirs brisés. Et vous le savez, vous en serez le premier accusé. Cela vaut-il le déshonneur ? Oui, plutôt qu’une vie de malheur. Et si cela peut rassurer ceux qui ont peur, ma vie va s’achever. Car je ne supporterai pas la perte de ce qu’il y a de plus cher à mon cœur. Alors ouvrez grand les yeux, je vous fais mes adieux. »

Sur ses mots et sans remords, la Chasseuse se passa sa lame à travers le corps.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Renouveau ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0