Elle

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Elle attend patiemment l’appel de ses victimes. Ces dernières sont en haut d’une tour touchant les nuages, en pleine nuit sous la lune. Les 400 mages au sommet sont envahis par le doute, ayant reçu pour don de leur bourreau une magie par élément, la terre, le feu, le vent et l’eau. Une femme nommer Eldia a reçu le don de la foudre, une cicatrice qui marque son bras gauche le symbolise clairement, la seule qui ne doute pas.

- Alors, qu’attendez-vous pour vous mettre en cercle ?

L’un d’eux appartenant à l’eau exprime son inquiétude.

- Mais, si jamais tout cela nous mène à notre perte ?

Évidemment, une élémentaliste de feu hausse le ton.

- Ce n’est pas le moment de tergiverser. Eldia a tué le roi de la tour et aucun de nous ne l'a arrêté ! On va tous être exécutés si on ne l’invoque pas !

Et un autre magicien appartenant au vent cette fois, souffle sur la flamme.

- Il faut que vous compreniez une chose qui est pourtant simple à appréhender. Nous allons invoquer une entité venant d’une dimension dont on connaît à peine le fonctionnement, c'est indéniablement dangereux. Nous ne sommes pas tous des têtes brûlées.

Il ne leur en fallut pas plus pour en venir aux mains, mais une savante de la terre s’interpose.

- Gardez votre calme, nous avons tous peur et c’est normal, mais souvenez-vous.

Elle montre son bras droit.

- Cette cicatrice sur nos bras dominants, nous sommes tous du même côté. Nous fâcher pour une peur que nous partageons est vain.

Eldia acquiesce, se remémorant la perte.

- Les âmes de nos proches ont fait un choix, restez en otage pour que nous puissions être épargnés. Notre seul moyen de les libérer est de faire ce qu’elle dit. J’ai confiance au jugement de mon père, il ne m’aurait pas incité à le faire s’il avait vu qu’elle mentait.

Une voix troublée essaie de trouver les mots.

- Mais…

Eldia pour réponse soupire avec le visage de la détresse.

- Nous n’avons aucun autre choix. Cette tour de voyage dimensionnel sur laquelle nous reposons lui appartient déjà. Chaque salle de voyage, chaque pierre est sous son emprise. De toute manière, nos monarques et notre Empereur nous ont menti, notre sort ne leur importe absolument pas. Alors il est grand temps d’user de notre ancestrale magie et d’ouvrir un portail. Mes chers partenaires d’infortune, s’il vous plaît, mettons-nous en cercle.

Mains contre mains, les voilà positionner avec Eldia en leur centre qui canalise une énergie mystique. Aucun son et pourtant des informations sont communiqués et de l’énergie envoyée en un seul point.

Elle le sent, elle les entend, elle arrive ; annoncée par le calme qui précède une tempête, traversant les remparts qui séparent les mondes, invoqués par ses victimes. Emprisonnée par sa volonté, c’est par celle des autres qu'elle est libérée, venant tout droit d’une dimension vide de toute vie, mais non sans âme, une vieille ombre errante dans un univers indifférent.

Un cercle noir distord la lumière au centre de la lune, un gouffre sans fond qui impose au monde un silence inhabituel. Tous les êtres sentent sa présence, l’astre de tout son éclat dégage le ciel. Le portail cerclé de douze brillantes étoiles céruléennes, prophétesses de l’arrivée d’une grande inconnue.

Émergente du néant, les cheveux si longs qu’ils semblent appartenir à l’infini. Les douze étincelles valsent autour de ce qui semble être une couronne, claquement de doigts, elles s’évaporent sur des pics, révélant par leur éclat une dansante et obscure silhouette bleutée.

Elle est là, l’immense femme à la symétrie parfaite, ornée de douze cornes d’acier qu’elle arbore avec une grande fierté. Sa tendre peau pure de tous défauts est d’une telle noirceur qu’elle ne peut être que la nuit incarnée, celle qui est froide et sans la moindre lueur, celle où il n’y a que le vent glacé de l’hiver qui met l’esprit et le corps à rude épreuve. Son souffle instille l’effroi dans chaque cœur, elle se dresse fièrement, ouvre sa mâchoire et s’abreuve de ce qu’elle évoque.

Le monde est muet, seule une lugubre respiration perdure. Vient un nouveau son, un tambour qui résonne en son sein. Deux yeux bleus apparaissent, d’une froideur que l’on ne voit qu’un jour sans nuages.

Sur cette nouvelle rythmique, elle initie de fabuleuses enjambées sans commune mesure. Adoratrice de cet art délicat, elle ondule des mains. Ainsi elle répand sa crinière par des mouvements puissants semblables à des vagues tumultueuses.

- Aaaaamen !

Ainsi, elle révèle sa sainte nature, mâchoire d’acier et fuselée qui craque tel le roque, ronger par une faim qui n’aurait jamais dû être réveillée. Dans le creux de sa senestre, elle se voit tenir le monde et briser ce mirage crée pour soumettre.

- Aaaaamen !

D’une taille lunaire apparaît une auréole d’azur. Elle sourit en pensant à son sombre dessein, dévoilant des canines disproportionnées aussi tortueuses que son âme l’est par la rage.

Un moment que des cuivres inaugurent accompagnés d’un vent épique est puissant la glorifiant. Orgueil sans égal que ce soit en taille ou en âge, elle prend une posture royale comme pour être prise en peinture. Tête haute, elle inspire cherchant un refrain ; ainsi tonne l’orage.

-Entendez mon chant ! Imprégnez-vous-en jusqu’au sang ! Glas qui sonne et fouet qui résonne !

Le sien, une longue et large queue hérissée d’épines dorsales à la fois tranchantes comme des sabres et pointues comme des lances à lame courbent. Elle continue sa marche dans l’océan infini ; soutenue par un déhanché exagérée et sauvage ; assurément femme.

- Aaaaamen !

Les doigts croisés, sa main droite s’avance vers le monde comme pour le bénir. Un lourd fardeau pèse sur ses solides épaules, elle ramène sa main vers son cœur pour tenir.

- Aaaaamen !

La gauche imitant les cornes se dresse fièrement, une salutation lourde de sens, que nul ne comprend en ce monde. Le fardeau devient volonté, un appel vers son cœur qui lui rappelle qui elle est vraiment.

- Dans ce monde, que de tristesse ! Les gens larmoyants tels des violons ! Me voilà, Altesse ! Nul ne m’arrêtera, pas même tous vos bataillons !

Bras ouverts, son cœur par trois fois émet des pulsations. Insolente Dame aux griffes accrochant le néant telle une prédatrice, depuis toujours insoumise et jamais vaincue.

-J’ai entendu vos larmes ! Nulle crainte, je viens vous libérer homme et femme ! Soyez en certains, ce sera par les armes !

À ces mots, un rayon pourpre l’attaque causant une éblouissante déflagration, et pourtant, l’étoile bleue au cœur nucléaire rayonne encore. Riante à haute voix, elle se laisse partir dans une transe toute en serpentant entre les barrages de tirs à vive allure, chargeant droit sur le palais de marbre et d’or.

- Un amour pour ceux qui sont en peine ! Un amour qui fait naître une haine ! Un amour pour allumer les braises d’une révolte ! Je suis l’amour désinvolte ! Je suis l’Absolue ! Voici votre salut !

Sa chevelure envahit les cieux, harponnant des centaines de milliers d’âmes ; hurlante tel le métal agonisant, elle arrive et verse deux larmes qui prennent la forme d’êtres humains avec tous leurs charmes. En apparence ils tiennent plutôt d'armures fantastiques que des êtres purement biologiques, mais les traits de la race sont parfaitement reconnaissables. Le fils et la fille tombent non loin du palais, ils se préparent à prendre les armes.

L’homme se saisit d’un katana imprégné du pouvoir du vent et de l'eau, un ouragan qui va s’abattre ainsi son corps en est marqué.

La fille choisit une hallebarde stigmatisée par la fureur du Feu et de la terre, c’est l’éruption provenant de l’enfer, la rage qui se grave au fer rouge sur son être.

La sainte mère est arrêtée par celui portant le titre de l’Absolu Empereur qui mobilise la puissance du monde de sa poigne de terreur ; une dernière tentative, la preuve qu’ils n’ont pas pris la mesure de leur erreur.

- Oooh, si seulement vous saviez ce qu’il y a dans les profondeurs. Tellement de gens qui lentement se meurent. Si désespérer en chaque instant, subissant le malheur.

Elle s’abandonne entièrement à l’assaut, laissant l’énergie caresser sa peau avec un calme extrême. Mais ils ne font que souffler sur les braises de la tristesse qui deviennent un éclair dans le ciel, une puissance brute et suprême.

- Si seulement vous pouviez voir mon balafré cœur. Une blessure qui rythme chacune de mes heures. Maintenant, il est grand temps de vous montrer toute ma rancœur !

Impératrice véritable de la terreur et de la douleur irradiant ce monde de sa splendeur. Les fils noirs du destin recouvrent la planète d’un linceul, lui-même parcouru de scintillements évoquant un ciel inconnu sauf pour elle, celui qui l'a vue naître. Son ultime atout, serti sur son front et aussi précieux qu’un saphir annihile le sort, de ses mains puissantes et griffues, elle caresse son corps nu ; ses tendons sont telle la corde d’un arc tendu.

Elle crie avec passion fracassante de sa voix l’atmosphère, nul ne peut l’ignorer même les sourds. Son fouet avec autorité claque tel le tonnerre, tous le craignent. La voilà filante telle une flèche fendant l’air, amenant les ténèbres de son univers.

Au-dessus du palais elle s’arrête net, suivie d’un son brisé ; ses griffes se plantent dans sa musculature saillante, elle la fait toute souriante. L’Empereur la perçoit comme une montagne, grande et imposante ; ainsi elle arrive, lentement, la grâce élancée dans cette sainte croisade contre lui. Il aimerait fuir, mais ce serait aussi futile qu’éviter la nuit.

Une dernière attaque, ses gardes se préparent, mais les enfants interviennent avec une agilité invraisemblable, neutralisant leur adversaire avec une aisance qui l'est tout autant. Leur prestation synchronisée est digne des plus grands théâtres. La perfection des gestes simples et leur posture de combat soutenue de leurs cris guerriers pleins d’assurance dissuadent l’ennemi de se révéler. Leur sang n’est pas réclamé par la créatrice qui est fière de sa progéniture. Son visage plongé dans la folie reste inchangé, comme si tout cela n’était qu’un jeu dont elle connaît toutes les subtilités des règles qui sont les mêmes par tout, ici y compris.

Le souverain invoque un puissant allié sans âme fait de pierre, surgissant de la terre et faisant rempart face à l’entité flottante dans le ciel. Sans le moindre effort, elle use d’un de ses membres inférieurs et le tranche d’un coup sec de serre. Avec la queue, elle le pulvérise puis expire longuement, insufflant dans son haleine tout son fiel. Tellement de temps, tellement de sentiment, elle se contient depuis si longtemps, patiente, elle continue ; ne jamais perdre le contrôle.

Quant à la proie, il résiste au destin, mais pas sa main.

- Enfin, je vous tiens.

Par trois fois, elle claque des dents, happant toutes ses proies avec elle au seuil du gouffre. Le rideau ensanglanté se lève, une enclume lévite dans le vide spatial devant le portail, c’est là que chaque âme est posée. Sauf l’Empereur placé sur un plateau d’argent un peu plus en retrait, il est retenu par les jumeaux de l’humanité avec la férocité des loups. Un grand marteau d’obsidienne surgit des abysses, imprégné de la foudre divine. L’infinie chevelure imbibée de sang s’embrase de rage. Tous s’agenouillent face à leur juge aux yeux safre, nul ne peut lui échapper et en cela elle est véritablement absolue.

- Aux noms des victimes, de leurs proches et de tous les innocents. Je vous condamne à dix années de pure souffrance !

Elle tient fermement le marteau à deux mains et frappe au rythme de son cœur frénétique ; cela ne suffira jamais pour la satisfaire, violente passion tragique. Le firmament rougeoie du sang des centaines de milliers de coupables tandis que le monde à chaque coup est pris de tremblement sismique. L’écarlate flux de vie ce verse dans un calice d’argent, elle le boit comme un vin rouge et s’enivre de l’arôme à l’excès en prenant le temps d’apprécier sa saveur.

- Alors c’est ça, le goût d’un millénaire de peur qui imprègne la chair ? Âpre, acide, brûlant et amer.

Cependant, leurs âmes sont toujours sur l’enclume et elle frappe avec ferveur. L’Empereur spectateur ne comprend pas pourquoi ils se laissent liquéfier en une liqueur d’une multitude de couleur. Leurs corps astraux sont bus à leur tour, accompagnés de leurs pleurs.

- C’est déjà beaucoup mieux, ils ont le goût de l’absolution et de la résolution. Dix années de pénitence suffiront.

Elle tourne lentement sa tête, son sourire grandit, les crocs acérés, déformant sa gueule masquée de métal. Puis elle se dresse de toute stature, un corps à l’armature thoracique macabre qui ressort. De ses yeux coulent des perles de sang le long de sa triste mâchoire et tombent depuis son proéminent menton.

Une de ses mains se libère, le souverain ressent l’intention qui lui sera fatale. D’un jet d'énergie il la défie, son membre l’ignore. Elle le prend, comme le ferait un enfant avec son jouet, le pose sur l’enclume puis monte d’un ton.

- Avouez tous vos crimes, ainsi ce sera plus rapide.

- Je n’en ai commis aucun.

Les os de la nuque grincent, elle incline de manière saccadée sa tête, ce n’est pas ce qu’elle voulait entendre.

- Vous voulez m’énerver encore plus ? Dois-je énumérer tous vos actes ?

Il bombe son torse, oubliant qui a la vraie force.

-Essayez un peu pour voir.

Elle ne peut que rire de son arrogance, car après tout, elle aussi fait preuve d’insolence.

- Misérable petit empereur aux oreilles pointues.

- Vous avez exactement les mêmes avec de ridicules rubans noirs qui plus est.

Cette insulte est loin de la vexer, bien au contraire elle s’en amuse intérieurement.

- Et alors ? Vous restez misérable. Maintenant, avouez.

- Je refuse !

Cette fois, ce sont ses dents qui grincent.

- Je n’étais pas suffisamment claire apparemment. Vous allez finir dans mon ventre quoiqu’il arrive pour être tourmenté dix années ; mais puis-ce que vous refusez d'obtempérer, dix de plus.

- Pardon ?!

Avec la voix la plus moqueuse, elle lui rétorque.

- Ah, voilà un bon début. Continuez, nous sommes tout ouïe.

- Qui ça nous ?

- Le monde. Dans leurs rêves ce moment reviendra, qu’ils soient vivant ou mort, tout être évoluant sur votre planète est concerné.

- Bon, d’accord… J’avoue avoir foulé votre univers et y avoir chassé une âme.

- Et…

- C’est tout.

- Tout le reste ?

- Rien d’autre.

Sa voix déraille dans les graves, traduisant une écrasante colère.

- Nul ne peut se moquer de moi ! Rien n’échappe à mon regard ! Que ce soit dans les abysses ou les lieux de foi ! Mes yeux éclairent vos méfaits tel un phare ! Je vois l’ombre de vos actes passés ! J’entends à travers les remparts de votre esprit vos pensées !

- Impossible !

- Ce mot n’a aucun sens, tous les criminels de toutes les races se plient à ma volonté. À genou !

- Je suis l’Empereur absolu ! Je ne vais pas laisser faire par un m…

- Taisez-vous ! Ce mot, je ne le connais que trop bien. Un jugement de mes valeurs et de mes actes qui m’ont conduit dans cette prison, le lieu de notre rencontre. Mais moi j’assume les faits et j’ai accepté ce destin, par amour et pour l’amour, j’ai pavé un chemin vers mon enfer, un chemin que j’ai oublié. Mais vous, vous êtes au-delà de ce mot, Empereur. Vous, vous êtes un manipulateur ! C’est bien pire. Vous vous êtes caché derrière des mots, tels que l'honneur. Agre…

Sa gorge est enflammée, elle la masse pour la calmer.

- Une remontée. Pour ma peine, je vous rajoute encore dix années.

- Vous êtes injuste !

- Et toutes les âmes que vous avez brisées pour extraire de l'énergie spirituelle de terreur en toute conscience ! Toutes ces personnes exécutées pour ralentir les progrès de la science ! Vous avez littéralement alimenté votre empire de la peur en soutenant mordicus que c’était pour le bien commun ! Ou plutôt, du plus grand nombre ; foutaise ! Mensonge ! Honte à vous oui honte à vous ! Mais c’est fini, car j’ai révélé vos manigances, Empereur !

- Vous n’avez aucune preuve !

- Les preuves sont la souffrance de vos citoyens qui au plus profond de leurs esprits murmurent un mot, justice, et me voilà, moi, la vengeance.

Elle frappe brutalement l’enclume sans toucher l’Empereur, tandis que de ses naseaux sort le feu infernal.

- Ployez l’échine devant moi ! Suppliez le pardon de l’être supérieur que je suis !

- Je préfère souffrir !

Sadique en surface, il n’en faut pas plus pour lui faire venir une idée dans son crâne.

- À votre guise, dix années de plus. Et j’ajoute votre petite fille Lina.

- Lina…

- Oui, vous savez, la descendante de votre seule fille, celle qui est morte dans un assassinat fomenté par le peuple qui en avait plus qu’assez de votre tyrannie. Ça ne vous a pas servi de leçon d’ailleurs.

- Mais elle est innocente !

- J’en connais un qui s’est fait clouer sur une croix pour expier les péchés des autres. Je peux lui faire la même chose et elle obéira, ne serait-ce que pour vous éviter une éternité de souffrance.

Là encore il ne peut comprendre la symbolique. Mais l’image de cet être si cher à son cœur qui souffre est bien suffisante pour l'accabler.

- Vous n’oseriez pas ! Ce n’est pas de la justice ça !

Encore plus grand est son sourire, ses gencives sont apparentes jusqu’aux dents de sagesse, c’est la rage qui s’installe dans les racines.

- Ça alors, vous savez ce qu’est la vraie justice, comme c’est amusant. Je vous l’ai dit, je suis vengeance. Je pourrais me contenter de vous rendre malheureux jusqu’à vous en faire mourir de chagrin ou vous rendre fou. Alors, admettez vos crimes à genou et j’ajoute dix années de plus pour m’avoir fait perdre du temps. Je vous déconseille fortement de contester, vous êtes prévenues.

Il obéit, s’agenouille pour la plus grande satisfaction de la juge.

-J’avoue tout, mes crimes contre les télépathes, ma connaissance de solution alternative pour nos énergies, les meurtres contre des scientifiques indépendants et la torture d’innombrable âme, mes tromperies envers mon peuple. Je suis coupable.

Elle frappe du marteau et pointe du doigt l’accusé.

- Enfin ! Crime avoué ! Ma sentence promise qui est…

- Non.

Furieuse, elle rugit.

- Comment ?!

- En vous combattant. Je ne vous laisserai pas prendre mon âme, je vais user de mon dernier atout.

Il murmure des mots imprégnés d’intentions morbides, avant de hurler le tout dernier.

- Nécromancie !

Sa peau se déchire, sa vie devient pure énergie, il ne devient qu’os. Il invoque la puissance de deux autres mots dans un cri féroce.

- Ultime sacrifice !

Le ciel devient pourpre, son âme forte et morte grandit. Face à face, les deux couronnes se tiennent tête, l’Empereur tente de la consumer par ces flammes impies.

-Futile, inutile.

Soudain, comme si tout cela n’était qu’un rêve, tout s’annule, la chair se recompose. C’est là où il voit la vérité, plus grande que l’astre immaculé, l’âme d’une déité qui compose.

Un pâle reflet aux yeux rubis chagriné, jouant d’instruments de ces six bras. Deux sont aux tambours, animant le cœur du vaisseau d’une volonté de continuer. Deux autres grattent les cordes du cosmos électrisant l’ambiance, impulsion rebelle de la belle sainteté. Les deux dernières pianotent une mélodie exaltée, l’espoir dans le désespoir ainsi se raconte son histoire. Et suspendue à la queue, une cloche, l'onde du sacré qui commande au temps. L’heure est aux graves et de toute son âme elle hurle d’un accord jubilatoire.

- Pour ce non, vous aurez un siècle de pure souffrance ! En trois dimensions je vais vous briser ! J’effriterai tendrement le fil qui vous lie à votre chair jusqu’à ce qu’il claque ! Ensuite, je continuerai les sévices sur votre indestructible corps astral, puis enfin je mettrais un voile d’oubli sur votre conscience ! Et ce ne sera toujours pas fini ! Dans une autre vie, vous vous souviendrez ! Vous réaliserez alors que vos nuits de pleurs et de sueur froide sont justifiées ! Que moi, l’ombre dans le placard existe et que je vous observe depuis ! Soumettez-vous ! Suppliez-moi ! Je ne vous laisse que ce choix !

La musicienne passionnée enchaîne les notes, un tourbillon hystérique de son qui entraîne sa proie dans les affres du désespoir, de plus en plus rapide et fort ; martelée, corde frappée, ainsi est lancer cette malédiction sans échappatoire. Ne pouvant accepter cet acte hostile, elle décide cette fois de s’abandonner à sa noirceur, celle qui terrifie le mal et répugne le bien. Le hurlement de la divinité est si fort que l’écho de sa voix se répand dans l’entièreté de l’univers. Son courroux s’abat avec tant d’intensité qu’elle en souffre. Aiguë, suraigüe, bien au-delà du supportable, elle continue jusqu’à ce qu’aucune oreille ne puisse percevoir cette vocale débrider, mais l’esprit lui le ressent pleinement. Tel est son pouvoir, toucher l’être profond inéluctablement par tous les moyens.

- Inacceptable, impardonnable ; tout cela doit cesser, comment a-t-il pu oser ? Je vais le briser ! Je vais le briser même si je dois m’oublier !

Telles sont ses pensées.

L’espace lui-même vibre, la gravité pèse sur le coupable, le poids de ces fautes, déformant jusqu’à la lumière même. Toutes les personnes voyant le ciel se fracturer sont prises d’une profonde angoisse. Jamais elles n’auraient peu imaginé pareil cataclysme, tous pensent alors une seule chose.

Nous sommes perdues.

Fragment par fragment, l’âme s’effrite, la raison vole en éclat, les illusions deviennent réalité ; l’outre-monde tonitrue les noms des victimes, une cacophonie épouvantable qui tourmente à l’extrême, particulièrement la juge empathique qui ressent pleinement toute leur détresse et leur haine. Elle commence à perdre le contrôle.

Les paradis et les enfers qui l’ont entendu supplient la soumission de l’empereur, car ils savent qu’elle ne lâchera jamais. Les entités de ces mondes connaissent que trop bien son chant, nul ne veut voir son vrai potentiel libérer, car tout serait remis en cause. Pourtant, nul ne veut l’arrêter, qui voudrait se mettre à dos l’apocalypse incarnée.

Et finalement, vidé de toute sa volonté, l’empereur se soumet aux grands soulagements de tous.

Mais ce n’est toujours pas terminé. La déité heureuse du résultat déploie sa longue langue vicieuse, lèche ses lèvres et l’enroule autour du déchu réfractaire. Le rythme est intense, voguant toujours vers la profonde tristesse, mais cette fois accompagnée du cri de l’Empereur face aux dents de fer. Elle est sans pitié, broyant son âme de ses puissantes molaires et l’aval dans l’insondable obscurité de son être.

Elle expire des cendres funéraires qui se mélangent aux outils du jugement en fusion, une matière pour créer une porte ronde sur laquelle elle ondule sensuellement, lécher par des flammes infernales. Pour autant elle n’est pas calmée, toujours prise dans sa démence, elle recommence à caresser son corps avec une intensité et une vigueur qui serait insoutenable pour nos frêles carcasses mortelles.

Elle tire sa langue au monde toute en secouant sa tête, assumant d’être une véritable engeance fanatique. Mains gauches levées, signe des cornes soutenant l’hystérie ; gesticuler son bras la rend d’autant plus enthousiaste. Malfaisante créature blasphématrice qui se réjouit d’un simple geste, une nouvelle preuve de sa folie. Le message est clair. Regardez et craignez-moi.

C’est aussi un défi lancé au brave, désireuse que quelqu’un lui donne tort, qu’on l’arrête. Cependant personne ne la conteste. Soudain elle ressent les âmes dans sa cage, leur douleur lui fait pousser un cri perverti de jouissance.

- Aaaaaaaaammmeeeeeeeen !!!

Apaiser, elle renvoie ces deux larmes sur le monde avec regret.

- Je vous laisse mes deux enfants, les gardiens de mon héritage, une paix éternelle.

Elle écoute le monde et tous éprouvent à son égard du rejet. Une partie d’elle est attristée, mais absolument rien dans son attitude ne laisserait entrevoir cette peine. En bonne actrice, elle doit jouer son personnage jusqu’au bout avec toujours cette expression malicieuse qui cache toutes ses faiblesses. Alors elle décide de rentrer à nouveau dans sa prison, claquant de la mâchoire par trois fois.

Avant de refermer la porte, son troisième œil brille une dernière fois.

- N’oubliez pas, j’ai un œil sur vous. Ah ah ah…

Et sur ce sinistre rire, elle scelle son passage. Un rayon de lumière lunaire accompagne la porte qui se pose dans les jardins du palais. Des flammes émergent les terribles roses noires, les doux lys blancs, les flamboyants coquelicots et enfin, les inoubliables petits myosotis. Comme pour avertir du danger les prophétesses sont serties tels des saphirs tout autour du portail avec en son centre, le visage de l’Absolue souriante.

Un millénaire s’est écoulé au fil duquel petit à petit, chacune des âmes punies retrouve un corps familier. Le monde dans lequel elles renaissent est en paix, il n’y a plus qu’une chose qui compte, le bonheur.

Le dernier est l’Empereur qui a tout oublié. Sa conscience s’est reconstruite lentement à chaque réincarnation, mais un problème demeure, des angoisses inexpliquées. C’est alors que dans l’espoir de soigner ses phobies, il va à la grande porte de l’apôtre de l’apocalypse. La tradition dit que le lieu apaise les maux de l’âme.

Au milieu des jardins fleuris du vieux palais ouverts au public, le monument écrase de son impressionnante gravure tous les visiteurs. Ceux qui n’ont pas connu cette époque ne peuvent qu’imaginer l’horreur, c'est la seule et unique représentation d'elle, tous ont tu le souvenir. Le visage à lui seul est bien trop synonyme de souffrance malgré ces bénéfices. Le couple d’armures humaines erre paisiblement dans le jardin, surveillant la porte et menant une existence paisible.

À vrais dires, ils ont plus communément désigné comme les jardiniers du seuil, plutôt qu’enfant de la terrible déesse.

Notre cher Empereur n'a pas encore vu le monument, il s’approche lentement sans crainte, puis il pose son regard sur le visage qui le surplombe. Et c’est alors que la prophétie se réalise, il se souvient, la présence dans les placards qui l’épie, qui se glisse dans la nuit. Elle existe, elle est là, juste derrière lui, l’ombre qui lui sourit.

- Ça faisait bien longtemps, petit Empereur.

Il se retourne et voit la femme du destin, il n’a jamais échappé à ses mains. Aussitôt vue, aussitôt il s’enfuit en hurlant d’effroi à travers toute la capitale et personne, non personne ne peut le comprendre.

Toujours dans son ombre, sans pour autant être vue, elle le poursuit tel un spectre du passé et tout comme ce dernier il ne peut lui échapper.

D’espérer et hanter, il cherche toujours cette échappatoire qu'il n'a jamais pu trouver. Devenu un petit peintre faisant des portraits, c’est dans son art qu’il atteint la sérénité. Il souffre secrètement, souvent en silence avec cette malfaisante présence. À chaque fois qu’il pose son regard sur elle, il l’oublie, mais pas la douleur.

Et un jour comme tant d’autres il reçoit une lettre. l’Impératrice Eldia, surnommée la bienveillante, invite tous les artistes peintres pour créer une œuvre dans son palais.

Timide dans cette vie, il n’oserait pas en temps normal participer, cependant, son âme veut s’exprimer. Matériel fourni gratuitement écrit en bas de la lettre, il est d’autant plus motivé.

Le grand palais de marbre et d’or. Il ne le reconnait pas, familier cependant, pensant que c’est à cause des illustrations qu’il aurait vu dans un livre. Les piliers intérieurs l’impressionnent de par leur imposante stature, en baissant ses yeux, il peut voir son reflet sur le sol. Mais une lumière attire son attention, l’impératrice Eldia qui rayonne de par son sourire, une femme aux yeux violets, une coupe courte et châtain, vêtue d’une robe impériale pourpre.

Simplement la voir lui met du baume au cœur, respirant la gentillesse même, elle fait ce qu’aucun monarque n’a fait dans le passé. Serrer la main de son peuple et l’étreindre comme s’ils faisaient partie d’une seule grande famille. C’est ainsi que l’amour accueille ces invitées, Liam est compris dedans.

Sa douceur et ces mots réveillent une confiance en lui qu’il a depuis longtemps perdue.

Les règles de l'événement sont simples. Peindre ce qu’ils veulent dans les dix jours, pas de limite de taille, de support et de thème même tabou.

Ainsi, tous se mirent à peindre le premier jour. Sauf le petit artiste, il cherche la toile, celle qui l’inspirera. Il la trouve le deuxième jour conservée sous une couverture en lin, si imposante qu’il faut une échelle pour aller jusqu’en haut et si large qu’il faut reculer ou tourner la tête pour la contempler. Même les plus éminents artistes n’ont osé la prendre, mais pas lui. Il a toujours eu un goût prononcé pour les grandes œuvres détaillées.

Sans réfléchir, il peint.

Au troisième jour, tous le prirent pour un fou, l’impératrice pour un homme un peu trop sûr de lui. Ils finirent par l’ignorer le lendemain, une distraction qui n’a plus d’intérêt. Il faut dire qu’il n’était pas le premier à s’essayer à ce format. Tous ont échoué.

Jour et nuit, il s'attèle à cette tâche éprouvante en ignorant la fatigue. Personne ne le regarde et pourtant ils devraient, les subtilités des teintes sont toutes simplement sublimes, les jeux de lumière d’une maîtrise tel que l’on pourrait croire que le cadre n’est qu’une fenêtre sur un autre plan.

Quand il finit son travail au neuvième jour, n’osant pas regarder son œuvre, il la cache avec l’épais tissu de lin.

Le onzième jour, il reste à côté de son travail pour le montrer au grand public qui vient, enfants et adultes. Le premier cortège est accompagné par l’impératrice elle-même. Il y a de nombreuses œuvres sanglantes et abjectes qui sont côte à côte de celles faites de beauté et de merveille. Cette race ayant un mental solide dès l’enfance due à l'éducation, cela ne leur fait ni chaud ni froid.

Arrivée face à l’œuvre cachée, l’impératrice soupire. Elle veut lui épargner l’humiliation, pensant qu’il n’a pu terminer.

-Tout va bien ?

Il acquiesce.

-Oui, tout va bien, mais je ne sais plus ce que j’ai peint.

Elle eut tout juste le temps de penser à une question, que la réponse s’impose. Un enfant tire sur la couverture et révèle ce qu'il y 'avait de caché.

Souvenir, la revoilà, en peinture cette fois, dans toute sa terrible magnificence, marteau à la main frappant l’enclume, le sang qui éclabousse le monde, langue pendue, épine dorsale pointue et la lueur blafarde de la lune sur son dos. Tout cela vu de profil, l’impératrice, elle qui l’a vue de près est prise d’une violente douleur au bras qu’elle ne montre pas.

Tous les autres sont partagés entre la stupéfaction, la curiosité et la peur. Le tableau est maudit, simplement sa présence refroidit la pièce. On pourrait presque entendre la complainte des âmes de l’époque et du marteau, l’écho lointain qui revient par résonance.

Alors Eldia emmène l’artiste par le bras, elle ne sait pas exactement ce qui se passe, mais a un mauvais pressentiment. Suivie de ses gardes, elle l’isole et pose cette question.

- Qui es-tu ?

- Liam Legris .

- Je vois, tu ne te souviens pas.

L’un des gardes l’interpelle.

- Dame de l’orage, que dois-je dire au public ?

- La vérité. Je suspecte cet homme d’être une âme châtiée par l’apocalypse.

- Et que fait-on de l'œuvre?

- Il faut…

Elle la ressent, cette essence obscure qui lui murmure.

- N’oublie pas tes principes.

Un rappelle d’une promesse. Ne rien cacher au peuple, elle n’en a nullement besoin, devenue une femme aux fortes convictions.

- Il faut continuer la présentation, même de ce tableau, il mérite de par sa grandeur d’être regardée.

Alors il va pour donner une instruction simple, faire comme si rien ne s’était passé et répondre par la seule information certaine, le tableau est peint par Liam Legris. Ainsi, pendant un mois, il le présente, surveillée par les gardes et surtout par la grande souveraine affichant un sourire inquiet. Car dans cette œuvre, elle sent l’œil de celle qui observe en silence. Elles savent mutuellement que l’une a parfaitement conscience que l’autre sait.

Quand le festival se termine, les tableaux sont vendus, l’impératrice achète celui de Liam l’installant dans la grande salle du trône pour éviter tout problème à un acquéreur imprudent . Le peintre est convoqué dans cette dernière le surlendemain, les colonnes de marbre incrusté de sillon d’or ne lui font ressurgir aucun souvenir, pour l’instant. Le trône sur lequel Sa Majesté est assise non plus. Sans attendre et sans témoin, elle lui repose la question d’il y a un mois.

- Qui es-tu ?

- Liam Legris.

Elle est fatiguée de tout ceci.

- Ah… Qu’importe, peux-tu me dire pourquoi tu es avec l’autre pot de colle derrière toi ?

- Derrière moi ?

Il se retourne et il voit l’ombre. À nouveau en détournant les yeux, sa mémoire lui fait défaut.

- Il n’y a rien.

Eldia, agacé par ce mauvais tour, frappe le dossier de son trône et hausse le ton.

- Vieille déesse fourbe, arrête tes manigances et romps ton enchantement sur lui.

Elle rit et cette fois pour de bon, il se rappelle de l’ombre. Il court larmoyant vers l’impératrice qui le rejoint pour faire barrage face à l’horreur bien que d’une taille humaine cette fois. Un fantôme à peine incarnée plus proche d’une brume dans la consistance. Le vrai corps se trouve dans son domaine à l’abri de toute attaque.

- Bonjour, Eldia, comment ça va depuis le temps ?

- Tu le sais très bien.

- Allons, allons, pourquoi tu réponds sur un ton si hostile ?

- Même réponse. D’ailleurs qu’est-ce que tu nous prépares ? Ça fait près de 300 ans qu’il n’y a plus de coupable du jugement dernier qui se réincarne.

- Tu ne poses pas la bonne question, demande-moi plutôt qui il est.

- Ça ne m’intéresse pas et ça, tu le sais parfaitement.

- Tu devrais pourtant.

- Qui que ce soit, il ne sera jamais aussi dangereux que toi.

- Que de doux compliments.

- Avoue-le, tu t’acharnes sur lui pour te défouler. Mon fils m'avait informé que tu étais tombé sur un monde où les pires tortionnaires et tyrans sévices ; je sais ce que tu es, une pauvre âme errante qui ne peut s’empêcher d’exploser à la moindre occasion.

- Je suis d’accord pour la deuxième affirmation, mais pas la première. C’est ton défunt père qui me voit comme ça ?

- Cesse de parler de la précédente vie de mon fils ! Là aussi, qu’est-ce que tu as à perpétuellement me rappeler ce genre de chose !?

- Pour que tu n'oublies pas.

- Mais comment puis-je oublier ce que tu nous as fait !? Monstre ! Tous ces morts qui auraient pu être évités ! Le ciel qui a failli se déchirer littéralement ! Et se crie ! Maudite soit tu pour l’avoir émis ! Tout ceci n’était pas nécessaire ! Tu aurais peu les épargnes ; évitée que le sang coule ! Non, tu as préféré faire un carnage, torturer et traumatiser des âmes, car tu es incapable de faire autrement ! Tu ne peux résister à tes pulsions de mort et ton égo surdimensionné !

- C’est faux.

- C’est vrai !

Et un long silence s’impose, avec juste les claquements de dents de Liam, il est rompu par la déesse qui le pointe du doigt.

- C’est à cause de l’empereur qui se disait absolu.

- Cet empereur-là est mort.

- Non, plus maintenant, il suffit de suivre mon index.

Insiste-t-elle, Eldia se tourne vers lui, puis le tableau et elle comprit.

- C’est vrai qu’il savait peindre de grands tableaux…

Il gémit de douleur, l’impératrice ne peut le supporter.

- Arrête ! Mais quand va-tu cesser de nous hanter ? Nous avons compris !

Furieuse, la déité répond.

- Non ! Vous n’avez toujours pas compris ! Et surtout toi, Eldia ! Tu as utilisé l’enchantement du palais pour te cacher de mes yeux ! Ça suffit les petites cachoteries ! Il m’a fallu des siècles à échafauder un plan pour que le peintre mette une toile ici dans le but que je puisse exercer pleinement ma surveillance dans votre monde ! J’ai toléré au début tes petits écarts, mais maintenant c’est terminé !

Folle de rage, l’impératrice fait gronder le tonnerre puis se précipite sur l’ombre et lui inflige une gifle, la plus puissante de toutes, au point qu’elle la ressent physiquement dans sa chair.

- Va-t'en !

Elle la saisit puis la secoue, la barrière ténue entre les mondes ne suffit plus à la protéger de ce désespoir. Son corps ressent et subit pleinement.

- Va-t'en ! Sors de ma vie ! J’en peux plus de toi ! Pourquoi a-t-il fallu que tu romps mes trois siècles de bonheur ! J’avais enfin réussi à t’oublier !

Une autre gifle, accabler elle reste digne, sa limite est presque atteinte.

- On en a marre de toi ! On en a marre ! Unanimement, nous avons voulu que tes représentations disparaissent ! Mais voilà, Madame voulait qu’on la peigne sur une immense toile !

Elle applaudit et montre le résultat.

- Voilà ! Tu es contente !? Tu l’as ton foutu portrait ! Félicitations ! Maintenant je vais cauchemarder pendant au moins une décennie ! Et je ne suis pas la seule ! Merci, vieille folle ! Merci ! Sincèrement !

Elle se met à pleurer à chaudes larmes.

- Je n’en peux plus. Je n’en peux vraiment plus. Je voulais juste plus d’intimité, que ton œil cesse d’épier le moindre détail de ma vie.

- Les autres …

- Les autres ?! Ils sont 88 % de chanceux à n'avoir jamais vécu le jour du jugement, le 22 % auquel j’appartiens souffre ! Et ne me dis pas que je me trompe cette fois ! J’ai initié la plus grande des études jamais faites avec plus de dix mille personnes en charge de cette dernière, et tout le monde y a répondu ! Même les enfants de 5 ans d’âge !

Elle a envie de lui dire que c’est plutôt 87.89 %, mais l’effort fourni et surtout la précision mérite le respect par son abstinence.

- Après tout le bien que j’ai fait pour vous, c’est comme ça que je suis traité. Gifler et insulter.

- Tu l'as méritée et le pire c’est que tu le sais.

Elle la regarde, les yeux grands ouverts. Aucun être depuis des lustres n’a pu dire avec autant d’exactitude ce qu’elle sait, les derniers en date étaient ses proches.

- Ne feinte pas la surprise, je commence à te connaître. Je n’ai aucune connaissance de ton passé, mais je sais en revanche que tu es loin d’être suffisamment stupide pour ignorer ce fait. Par contre, ce que je ne saisis vraiment pas, c’est pourquoi tu insistes !?

- Parce que c’est un combat qui ne cessera jamais, parce que le dernier coupable n’avait toujours pas retrouvé le souvenir. Maintenant, tout ce que je demande, c’est que tu veilles à ce qu’il ne sombre plus dans cette voie, puisque j’ai la confirmation totale que tu m'as bien comprise.

- Enfin ! Tu vas nous laisser tranquille.

- Que nenni. Je vous surveillerai pour longtemps encore.

- Pourquoi ?!

- Pour être certaine que tout se passera bien, que Liam a bien appris sa leçon.

À cela il répond en grelottant d’effroi.

- J’ai compris ! Je me souviens ! Je recommencerai plus, promis ! Je suis un autre homme, bon, humble, qui ne veut plus que peindre !

- Aujourd’hui, mais demain il se pourrait que tu tombes encore dans tes travers.

- Il suffit !

Des éclairs surgissent des mains d’Eldia, la volonté manifestée de résister.

- Maintenant, tu dégages de notre monde !

- Oh oh. Après la gifle tu oses clairement défier une déesse en combat singulier.

- Tu n’es pas une vraie déesse ! Juste une créature extraordinairement puissante et oui, pour lui, pour nous tous, je serai prête à te défier même si je dois en mourir ! Tu as dépassé les limites !

Elle sourit, grandit jusqu’à toucher le plafond.

- Impressionnante, rebelle majesté, impressionnante.

Tout en caressant son menton pointu, elle révèle ses véritables intentions.

- J’ai définitivement choisi la bonne personne. Je suis si fière de toi, vraiment. Tu as dépassé toutes mes espérances de loin. Oh, comme je suis heureuse. Tout ce temps à me demander si tu en serais capable, mais voilà, tu as prouvé ton amour pour celui qui autrefois vous a fait tant souffrir. C’est si beau, si magnifique. Tu ne le vois pas, mais je suis émue. En soi, tu me surpasses sur certains points.

- Mais qu’est-ce que tu me chantes ?

- Un test, tout n’était qu’une vaste stratégie mise en place pour arriver à ce moment précis. Tout ce temps, tous mes actes, mes mots étaient calculés pour la plupart ; même les conversations avec ton fils. Oh, bienveillante et courageuse Eldia, j’accepte ta requête et désormais je vais vous laissez en paix.

- Vraiment ?

- Vraiment. Oh bien sûr, de temps en temps j’observerai brièvement comment vous vous portez, mais, sans intrusion, discrètement, sans agressivité et surtout avec beaucoup de bienveillance.

- Promets-le.

- Je le promets.

Enfin, elle peut souffler ; rassurer, la main contre le cœur.

- Je vais pouvoir connaître la vraie tranquillité.

L’ombre se dissipe lentement.

- Ce que j’aimerai pouvoir en dire autant.

Tristesse, chagrin, c’est ce que l’impératrice crut déceler.

- Que veux-tu…

Trop tard, l’interlocutrice a disparu.

- Dire ?

C’est ainsi qu’elle retrouve un semblant de paix. Car maintenant, non plus de cauchemars, ce sont des questions qui lui taraudent l’esprit. Elle cherche à comprendre les mots que la déesse a prononcés depuis tous ce temps, les visions, les sons, la peinture, les cris. Pourquoi a-t-elle l’impression qu’elle ne dit pas tout ? Il y a un double sens dans tout cela.

Quand elle pense ne jamais pouvoir trouver, la peinture sous son regard change juste pour elle. Ce qu’elle perçoit l'afflige. Un être solitaire qui a les bras contre son corps encerclé de chaîne.

Elle a pour seule compagnie son blafard esprit aux yeux écarlates qui l’étreint avec tendresse, aidant le corps à rester debout et fier. C’est avec une détermination admirable qu’elle affronte son supplice. Malgré sa musculature, la faiblesse est pourtant bien là. Sa gueule dressée vers le ciel n'a presque aucune marge pour s'ouvrir, enserrer presque au sang par l'acier. L’expression de son visage déteint une peine emplie de regret.

C’est à ce moment qu’Eldia réalise que depuis tout ce temps, la déité garde un secret, celui que nul puissant ne peut se permettre de montrer même dans la plus difficile des épreuves.

Elle pleure de tout son cœur en silence.

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