Chapitre 5
L'institution Hoswald
À son réveil, Cally paniqua plus qu’elle ne sauta de joie. Se retrouver auprès de trois inconnus ne lui avait pas fait plaisir. Du tout. Nous lui racontâmes tout ce qu’elle devait savoir sur l’institution, souvent coupés par les jurons qu’elle nous adressait (je ne préfère pas les retranscrire, Dieu Lui-même me le ferait payer). D’abord réticente, je pus la convaincre de se joindre à moi et de se faire son propre avis. Elle me passa un énorme savon sur le fait que je n’avais donné aucune nouvelle et que j’avais mis ma vie en danger. Je n’avais pas agi de façon très intelligente, mais je savais qu’elle était heureuse de me retrouver. De mon côté, je la blâmais de m’avoir dissimulé ses capacités. Après tout, je lui avais bien parlé de mes hallucinations. Elle m’expliqua qu’elle avait découvert cela chez l’une de ses familles d’accueil et que cela arrivait rarement. Elle craignait qu’on la prenne pour un monstre.
Après avoir récupéré ses affaires dans son foyer, nous pûmes prendre la route. Elle dura plusieurs heures durant lesquelles Cally et moi dormîmes. Nous arrivâmes tard dans la nuit à l’institution.
L’édifice était un véritable château haut de cinq bons étages et large d’environ une centaine de mètres. Un château en pierres datant de plusieurs siècles probablement. Quelques lumières montraient des signes de vie dans le château, mais les autres étaient éteintes vu l’heure tardive. Les doubles portes s’ouvrirent lourdement sur une personne. C’était une femme d’un âge indéterminé. Une petite brune en tailleur qui fit claquer ses talons dans notre direction. Ses cheveux étaient encore impeccables même à cette heure tardive. Ses yeux noirs en amandes et son teint chaud me confirma ses traits asiatiques bien que je ne pus deviner de quelle origine elle était.
« Bonsoir, prononça-t-elle. Vous devez être Cally et June. Jane McAlister, se présenta-t-elle. Je vais vous conduire jusqu’à votre chambre. Vous avez fait un long voyage. »
Après avoir jeté un regard à Tyson, je la suivis, Cally sur mes talons. Bagages en main, nous passâmes dans un hall gigantesque. Le carrelage en damier se mariait aux murs bordeaux. Deux escaliers sur les côtés menaient aux étages supérieurs. Jane emprunta celui de droite. Elle nous conduisit jusqu’au troisième étage avant de bifurquer dans un couloir sur la gauche. En traversant le couloir, je surpris deux paires d’yeux nous regarder passer depuis une porte en bois. La porte se referma précipitamment.
Notre chambre se dissimulait derrière une porte semblable aux autres. Elle se composait de deux lits simples, deux armoires et deux bureaux accordés au reste du mobilier en bois blanc. En posant nos affaires au sol, Jane poussa une porte au fond, donnant sur une salle de bain.
« Si vous avez besoin de vous rafraîchir, expliqua-t-elle avant de refermer la porte. La cuisine commune se situe à l’étage du dessous si cela vous intéresse. Vous avez des questions ? »
Nous secouâmes la tête en chœur.
« Bien. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez ce numéro. »
Elle nous offrit un morceau de papier avec un numéro dessus. Jane nous quitta sur des salutations, nous laissant seules. Cally s’empressa ensuite de fermer la porte avec l’une des clés qu’elle nous avait donné. Ceci fait, je me laissai tomber sur l’un des lits en soupirant.
« Je suis fatiguée sur tellement de points, soufflai-je en fixant le plafond.
- À ta place, je garderai encore une petite trace d’optimisme en moi. »
Je me redressai vivement, surprise.
« Depuis quand es-tu devenue optimiste ?
- Depuis que tu es devenue pessimiste, répondit-elle du tac o tac en s’asseyant sur le lit d’en face. »
Mes lèvres se pincèrent entre elles.
« Excuse-moi, marmonnai-je.
- Je comprends. Mais je pense que tu devrais élargir ton champ de vision. Les mauvaises expériences provoquent deux résultats : dans un cas, tu te laisses bouffer par le pessimisme et tu finis très mal et Dieu sait qu’il y a une myriade de finalités. Dans l’autre cas, tu vas de l’avant et tu fais de tes faiblesses des qualités. On a dix-sept et seize ans, June. Je ne veux pas mourir avant d’avoir au moins trente-cinq ans. »
Le sérieux sur son visage me décontenançait. Cally venait de prendre plusieurs années en quelques jours. De nous deux, j’avais toujours été l’optimiste, mais les rôles s’étaient inversés. Ma meilleure amie avait raison, je devais progresser et ce passage à l’institution était probablement ma seule échappatoire saine.
« Attendons de voir, répondis-je.
- La nuit porte conseil… Ou malheur.
- Ha ! M’exclamai-je. Tu redeviens pessimiste !
- Oh ferme-la. »
La nuit se passa sans encombre malgré sa courte durée. Je fus réveillée par les bruits de l’eau dans la salle de bain. Cally s’en extirpa, visiblement reposée. De mon côté, je devais ressembler à un véritable panda avec mes cernes.
Une fois lavée et habillée, Cally et moi sortîmes de la chambre dans le couloir désert. Le plancher ne craquait pas sous nos pas, le bruit était aspiré par la moquette rouge. Nous ne croisâmes personne avant de gagner la cuisine à l’étage du dessous. C’était une grande pièce aux murs beige et brun. Sur le côté, une cuisine aux meubles rouge et à l’îlot central plutôt large. L’autre partie se composait de plusieurs tables en bois, entourées de plusieurs chaises. Derrière les fourneaux, je reconnus Chuck et Tyson occupés à cuisiner. Ils nous saluèrent avant que Jason ne s’approche de nous.
« Tu n’as plus besoin de ça, fit-il en retirant doucement le bonnet sur mon crâne. »
Je le récupérai en me pinçant les lèvres pour réprimer un sourire contrit. Il nous invita ensuite à nous asseoir autour d’une table sous les regards de plusieurs personnes. Autour de notre table, les visages se tournèrent tous dans notre direction. Il y avait deux jumeaux blond foncé aux yeux verts, un garçon aux cheveux rouges et à l’air ennuyé, une rouquine qui avait les doigts reliés à l’aide d’un drôle de tube à rayures ainsi qu’un autre rouquin qui souriait de toutes ses dents.
« Salut, lança Cally tandis que je restais muette.
- June, Cally, commença Jason avant de désigner chaque membre, je vous présente Evan, Ethan, Will, Joy et Mason. Les gars, je vous présente June et Cally.
- Salut, lança Mason.
- Bonjour, renchérit Joy avant de reporter son attention sur ses doigts reliés.
- Ce sont les nouvelles ? Demanda l’un des jumeaux.
- Laquelle est la fille des Madsen déjà ? Demanda le jumeau avec le chapeau sur la tête.
- Moi, répondit Cally.
- Elle sert à quoi, l’autre ? Questionna le dénomma le dénommé Will en me pointant du doigt. Ne me dit pas que c’était un forfait une gonzesse amenée, une gonzesse gratos.
- Will, avertit Jason, soit gentil pour une fois.
- Si je dois être gentil, je vais devoir la fermer complètement.
- C’est exactement ce qu’on te demande, lançai-je en sentant un sourire moqueur monter à mes lèvres. »
Je perçus les sourires complices de Cally, Mason et Jason pendant que les jumeaux et Joy pouffaient. D’un regard, Will calma la pauvre rouquine qui se pinça les lèvres. Chuck et Tyson arrivèrent à cet instant pour déposer des plateaux sur la table. Ils déposèrent des tasses devant chacun ainsi que des toasts, des croissants, des récipients remplis de cafés et de lait ainsi que quelques sachets de chocolat en poudre. Tyson voulut s’asseoir, mais Chuck l’en empêcha en le retenant par l’épaule. De l’index, il poussa l’une des chaises. Elle bascula sur sa voisine, chaise encore vacante, avant que les deux meubles ne s’effondrent au sol, en plusieurs morceaux comme si aucune vis ne les gardait entières.
Chuck riva un regard noir sur les deux jumeaux.
« Je me disais bien que vous étiez étrangement calmes. »
Les deux jumeaux sortirent alors les vis et boulons qui auraient dû garder les chaises en place afin de les poser sur la table. Ils applaudirent ensuite en chœur, l’un impressionné, l’autre feintant des larmes de joie.
« Impressionnant, Chucky, lança celui au chapeau.
- Tu fais la fierté de notre famille, renchérit celui qui faisait semblant de pleurer.
- Vous faites partis de la même famille ? Demanda Cally, abasourdie.
- Ce sont ses grands frères, soupira Tyson en apportant d’autres chaises.
- Tu plaisantes ? Demandai-je, aussi surprise que Cally.
- Comme j’aimerais que ce soit une plaisanterie, murmura Chuck en s’asseyant. »
Ils commencèrent alors à manger. Ils échangèrent quelques commodités en nous passant de quoi remplir nos estomacs. Un petit groupe d’amis plutôt soudés et sympathiques. Mason ne cessait de nous insérer dans leur discussion, mais nous étions légèrement intimidées et mal à l’aise. Joy, près de moi, semblait avoir du mal avec le tube en papier qui lui coinçaient les doigts. Dans un élan de gentillesse, je tendis les mains afin de saisir le tube. Je tirai alors dessus, mais il ne semblait pas vouloir se décrocher. Je décidai donc de le déchirer pour délivrer ses mains. Ses yeux noisette me dévisagèrent avant de considérer ses index.
« Merci, me lança-t-elle.
- Ouais, merci, ironisa Will non loin. À cause de toi, je n’ai plus aucune source de plaisir.
- Essaye l’onanisme, proposai-je. »
Il arqua un sourcil, visiblement dans l’ignorance. Jason, Tyson, Cally, Mason et Chuck m’adressèrent des rires complices. Nous étions en majorité intelligents, visiblement.
« C’est quoi, l’onomolinisme Chucky ? Demanda Evan.
- La masturbation, répliqua Chuck sans ciller.
- Oh ! Lancèrent les jumeaux en chœur. »
Le quotidien de ce groupe d’amis m’intriguait de plus en plus.
Annotations