10 - Les Pégases (2/2)
En traversant le jardin à la française sous un ciel gris menaçant, Édouard s'emmitoufla sous sa cape se protégeant ainsi contre le vent violent. Il essaya de se rappeler quelques formules basiques qu'Enola et Armand lui avait apprises pendant la convalescence de Charles et tenait fermement sa baguette dans son pantalon.
Ses trois camarades devaient déjà se trouver dans les tribunes du stade d'entrainement ainsi que Beaufort, Daril, Rose et Laura prêts à éclater de rire devant sa prestation ridicule.
Il entra dans les vestiaires et trouva les autres candidats au poste de poursuiveurs qui attendaient en silence que l'on vienne les chercher. Certains marchaient autour de la pièce en se concentrant, d'autre restaient assis en contemplant le plafond. Mais ce qui choqua le plus Édouard, c'était la taille et la carrure de ses concurrents. Ils étaient tous plus grands et nettement plus âgés que lui.
Il n'y avait que trois filles seulement, mais elles regardèrent Édouard, surprise de voir un petit sixième participer aux essais. Deux d'entre elles devaient être au lycée tandis que la dernière, une métisse était en troisième. Les six autres candidats étaient des garçons dont le plus jeune devait être en cinquième mais paraissait plus déterminé que jamais. C'était lui qui tournait en rond avec nervosité dans toute la pièce.
Édouard attendit plusieurs minutes dans un coin à se concentrer comme les autres postulants, en sentant tout de même une boule au ventre lui nouer l'estomac.
C'est alors que la porte des vestiaires s'ouvrit pour laisser entrer un garçon plus grand et plus détendu que tous les autres. Il avait le visage entièrement rouge, dût à une acné envahissante. Il s'agissait sans aucun doute de Jérémy Dauvel, le capitaine des Pégases.
— Tous le monde est là ? dit-il en se faisant plus grand qu'une girafe pour voir tout le groupe. Bien, ceux qui n'ont pas de balais, vous en trouverez dans le couloir, les autres, suivez-moi.
Édouard marchait en queue de peloton, derrière des troisièmes qui tenaient fièrement leur somptueux balai sur l'épaule. Il avait le ventre plus noué que jamais et se rendit compte qu'il aurait peut-être dû avaler un morceau lors du petit déjeuné. Son coeur battait la chamade et son angoisse augmenta lorsqu'il vit les balais pitoyables que proposait Dauvel.
Ils étaient vieux et mal entretenu. L'inscription sur le manche était peine visible. On y distinguait un faible « Astiqueur 5 » partiellement effacé par l'usure. Le bois était tordu et il remarqua même qu'une petite feuille verte pointait le bout de son nez à l'avant du manche.
Édouard prit le moins abimé même si le choix n'était pas facile. Il sentit déjà la concurrence déloyale avec les troisièmes et leur balai neuf à l'allure puissante comparé à celui d'occasion qu'on lui proposa. Ainsi, il se dirigea vers l'extérieur, son vieux balai sur l'épaule.
Le stade d'entrainement avait une allure différente avec ses trois poteaux de quinze mètres de haut à un bout du terrain. Ils avaient chacun un anneau posé à la verticale au sommet et paraissaient inatteignable, selon Édouard. Le plus haut était en or, le deuxième en argent et le plus petit, bien qu'il fût perché à une hauteur tout à fait raisonnable, était en bronze.
Les tribunes étaient quasiment désertes, seuls quelques amis des candidats étaient venus les encourager. Édouard remarqua Charles, Enola et Armand qui croisèrent les doigts pour le soutenir. La pression se fit plus intense à chaque seconde qui défilait.
Édouard voulu en finir au plus vite. Le vent souffla de plus en plus fort et Dauvel eut du mal à se faire entendre correctement, mais on comprenait tout de même qu'il présentait les membres de l'équipe déjà sélectionnés et qu'ils pourront juger des performances des prétendants au poste. Dauvel appela le premier.
— Funesse, Jean-Claude ! appela-t-il tandis que le premier candidat, le fameux cinquième nerveux, s'avança avant de s'envoler sur son magnifique balai personnel.
Sa prestation fut plus que correcte même s'il n'était pas parvenu à récupérer une balle rouge grosse comme un ballon de football qu'une joueuse des Pégases venait de lui envoyer. Dauvel appela les suivants sans savoir si les précédents furent retenus ou non. Il décidera probablement lorsque tout le monde, y comprit Édouard sera passé.
Pendant que les candidats prouvèrent leur valeur avec plus ou moins de difficulté, Édouard observait les joueurs de l'équipe des Pégases et notait leur attitude. Il y avait, au niveau des anneaux, une joueuse qui stoppait net chacun des tirs des candidats avec une efficacité redoutable. Elle était vraiment douée car elle n'avait pas encore encaissé le moindre but.
Il remarqua aussi deux quatrièmes costauds munis de battes de base-ball frappant deux balles noires avec force. C'était sans doute les cognards dont lui avaient parlé Charles et Armand tout à l'heure. Les redoutables boulets de canons foncèrent sur les candidats qui tentaient désespérément de les esquiver, certains atteignant parfois leur cible de plein fouet. L'une des trois filles dû abandonner car son nez coulait un flot de sang suite à un violent coup de coude d'un poursuiveur des Pégases d'origine antillaise.
À cet instant, Édouard se remémora plus que jamais l'avertissement du professeur Alphératz concernant la violence de ce sport. Il déglutit difficilement en attendant son tour et en priant pour qu'on soit plus indulgent avec lui. Mais il ne se doute pas que ce sera loin d'être le cas.
Ce fut bientôt son tour et le vent soufflait toujours aussi fort. La pluie menaçait de faire son apparition et on entendait à peine les cris des quelques supporters.
— Vittel, Édouard ! appela Dauvel en lisant sa liste après que le dernier candidat venait d'atterrir.
Édouard sentit son corps trembler de toute part lorsqu'il entendit son nom. Il vit les deux batteurs frapper leur batte dans la main, prêt à se déchainer sur ce petit sixième inexpérimenté. Édouard enfourcha son « Astiqueur 5 » en se disant qu'il ne recevra aucun traitement de faveur. Il espéra seulement que son vieux balai daigne décoller afin qu'il ne soit pas ridicule avant même de commencer les tests.
Il s'accrocha fermement au manche après s'être assuré que sa baguette magique était toujours dans la poche de son jogging. Après une légère impulsion, il décolla finalement pour rejoindre Dauvel qui lui explique quelques consignes.
— Ok, dit-il lorsqu'Édouard arriva à sa hauteur en tremblant de stress. On va commencer par faire quelques passes avec les deux autres poursuiveurs, dit-il en montrant le ballon qu'il tenait dans la main. On se passe le souafle et tu essaye de marquer un but, dit-il en montrant les anneaux et la gardienne de sa main libre. Inutile de préciser que tu devras éviter les cognards des deux batteurs, Tu es prêt ?
Édouard répondit d'un simple signe de tête en laissant transparaitre une pointe d'inquiétude dans le regard. Dauvel lança le souafle à la poursuiveuse blonde qui le repassa violemment à Édouard qui faillit en tomber de son balai. Surpris par ce tir plus puissant que ceux qu'on eut les autres candidats, Édouard évita de justesse l'un des cognards envoyé par le plus costaud des batteurs. Malheureusement, la balle rouge lui échappa des mains et tomba vers le sol.
Il regarda Dauvel et les joueurs se moquant de sa prestation minable qui ne durera probablement que quelques secondes au lieu des dix minutes accordées à chaque postulant. Au loin, il entendit distinctement la voix de Beaufort qui s'exclama.
— Vas-y, Dauvel, écrase-le !
Édouard serra les dents, déterminé à ne pas se laisser faire et descendit en piqué vers le souafle qui continua sa chute. Il le rattrapa de justesse avant qu'il ne touche l'herbe humide et remonta en chandelle, le ballon sous le bras, sa main gauche tenant fermement son manche.
Il vit le second poursuiveur fondre sur lui pour l'intercepter mais Édouard parvient à faire une superbe passe feintée à la poursuiveuse qui lui redonna aussitôt après s'être débarrassé du gêneur.
Il aperçu Dauvel filer juste en dessous de lui pour recevoir le souafle laissant les mains libres à Édouard qui put filer vers les anneaux. Le capitaine au visage rougit par l'acné lui fit une passe volontairement difficile à capter, ce qui obligea Édouard à s'étirer sur toute sa longueur pour reprendre la balle.
Il fila toujours vers les buts alors que les batteurs se postèrent devant lui pour lui envoyer les deux cognards d'un coup ! Édouard put les éviter en exécutant un tonneau spectaculaire, le souafle toujours en sécurité sous son bras droit. Le but était à portée de tir et la gardienne se tint prête à réceptionner le ballon. Soudain, Édouard changea de main, préférant tirer de la gauche.
Instinctivement, la jolie gardienne brune aux yeux bleus occupa l'espace, laissant l'anneau de droite, celui en argent, sans surveillance. Il n'hésita pas une seconde, il tira...
— BUT ! hurlèrent Charles, Enola et Armand dans les tribunes quasi désertiques.
Édouard venait de marquer le seul but de la journée, il n'en revint pas, les autres joueurs non plus d'ailleurs. La gardienne regardait encore la balle tomber en chute libre vers le sol, abasourdie par ce coup inattendu provoqué par un petit sixième.
Édouard se posa délicatement suivit par Dauvel et le reste de l'équipe qui félicita sa prestation. Le capitaine lui dit qu'il pouvait disposer, encore abasourdit par la prestation du sixième. Édouard retrouva Charles, Enola et Armand qui le félicitèrent.
— C'était géant, Ed ! s'exclama Charles qui ne cessa de commenter ses exploits par des gestes et des bruitages... surtout quand tu as évité les cognards, wouah !
Édouard était satisfait d'avoir passé les essais et de s'en être sorti en un seul morceau, sans aucune égratignure mais avec tout de même de belles frayeurs. Beaufort perdit son sourire ravageur qui faisait craquer toutes les filles. Il évita de s'approcher trop près d'Édouard, Charles, Enola et Armand, de peur d'être humilié en public lui qui avait parié sur l'état dont sortirait son ancien ami lors de ces essais. Charles n'attendait que ça : pouvoir dire à Beaufort qu'il avait eu tort de se moquer d'eux et qu'il avait perdu une bataille.
Ils n'avaient pas revu Beaufort et les autres de la journée et déjà, le bruit courait qu'un sixième avait brillamment passé les essais de Quidditch. Édouard rougissait lorsqu'il entendait des lycéens parler de ses performances. Un groupe de troisièmes installé au coin du feu dans le foyer communal s'impatientait de voir le jeune prodige en action. Mais Édouard n'avait pas revu Dauvel, ni aucun autre joueur des Pégases d'ailleurs. Il se demanda s'ils le prendraient pour le poste manquant.
— Ils sont certainement en train de délibérer pour savoir qui sera leur nouveau poursuiveur, assura Enola qui sentit l'inquiétude d'Édouard.
— Et il leur faut tout ce temps pour comprendre qu'il n'y a qu’Édouard pour ce poste ? fit Charles en tapant du poing sur la table basse.
— J'attendrai ma réponse demain, dit Édouard en se levant du pouf dans lequel il s'était affalé après un copieux diner. Je vais me coucher, toute cette histoire m'a fatigué.
Annotations
Versions