Le Slow
Elle était là, au milieu de la salle. Ses cheveux parsemés de torsades aux reflets roux rebondissaient comme le mouvement d’un yoyo. Des perles salées tombaient parfois de ses tempes mouillées. Il pouvait distinguer son souffle chaud et décompter chacune de ses expirations. Mais la vapeur sortant de ses lèvres se mêlait aussitôt à l’épais brouillard ambiant né de la chaleur des corps et des machines à fumée. Ses yeux passèrent ensuite à ses bras. Ils avaient une manière étrange de se déplacer dans l’espace, et tanguaient de droite à gauche comme un navire en pleine mer, suivant le rythme des ondes de la musique. Elle était là, au centre de la piste de danse. Sa silhouette semblait se découper, contraster d’avec les autre silhouettes brunes, « de simple figurants », pensa-t-il. La piste lui appartenait. Elle la possédait, la conquérait toute entière de ses mouvements souples et amples. Les néons semblaient s’être accordés pour n’éclairer qu’elle. Il ne pouvait distinguer clairement la couleur de sa robe, noyée dans la lumière bleutée, mais parvenait quand même à en deviner les plis qui se froissaient sous ses mouvement. Ses yeux. Ses yeux croisèrent les siens : une marée noire. Son regard retourna tout en lui, comme un tsunami ravageur détruisant tout sur son passage : les peurs, la colère, la stabilité. Il en eu le mal de mer. Il se sentait pris au piège, dans l’impossibilité de s’échapper de cette mer agitée. Après un court instant son regard se mis à changer et s’adoucis. « Viens », lui disait-il. Cette invitation s’accompagna d’un léger sourire qu’il perçut à peine. Ses lèvres laissèrent rapidement place au boucles brunes et rousse alors qu’elle se retournait et reprenait sa danse. Son afro était vivant, les boucles dansaient elles aussi au rythme des mouvements de sa crinière. C’est quand il se décida à avancer sa jambe vers la piste de danse que ses poumons se remplirent d’air à nouveau : il avait cessé de respirer. Arrivé à sa hauteur, des effluves chaudes de vanille et d’huile de coco lui parvinrent. La robe est marron. Elle se retourna. « Chénoah », dit-elle. Sa voix était calme, rien à voir avec la tempête qu’il avait traversé dans son regard. « Ménala », réussit-il à répondre. Elle ne répondit rien, et continua à danser en prenant bien soin de garder ses yeux planté dans les siens. Lentement et avec assurance, elle entoura de ses bras le cou du jeune homme, et l’invita de son regard à placer les siens sur ses hanches. Il obtempéra maladroitement. C’est à la fin du deuxième slow qu’il osa enfin lever les yeux vers elle. Il lui demanda :
« Qu’est-ce que tu veux faire ? On peut rester danser ici, boire un verre au bar. On peut se poser et manger des chips dans un parc -elle sourit à cette idée- aller au bowling ou… même se poser chez moi. Enfin si tu veux ». Elle fronça les sourcils un instant, semblant être plongée dans une profonde réflexion. Ses mouvements se saccadèrent, comme si un rouage de son esprit avait été entravé par cette simple phrase. Il regretta instantanément sa proposition.
« Je suis désolé j’aurai pas dû te proposer d’aller chez mo-
-Le parc me parait une bonne idée ». Elle l’avait encore dit avec ce sourire, ce sourire étrange qui n’était ni une ouverture, ni une invitation. En fait, plus elle souriait, plus son regard devenait étanche, indéchiffrable. Un barrage à l’eau furieuse tapissée au fond de ses iris. Il comprit alors qu’il n’avait eu accès à cette eau dangereuse que parce qu’elle avait laissé le barrage ouvert un instant. C’était un simple accident, une erreur d’inattention.
- Ma voiture est au bout de la rue, lui chuchota-t-il dans l’oreille, on peut rapidement y être. »
Le Dj toucha ses platines et un nouveau morceau envahit la salle. Le rythme des figurants changea et s’adapta aux nouvelles ondes envoyées par les enceintes, et la vapeur chassée par la proximité de leur deux corps repris ses droits. Ils se faufilèrent vers la sortie de la boîte.
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