Cela faisait une bonne heure qu'ils roulaient. Chénoah lui avait juste demandé de conduire. La première chose qui l'avait frappée en entrant dans la voiture était la collection immense d'album CD. Blues, jazz, R&B, Soul... Il y en avait pour des heures de route. L'idée lui était alors venue. Ménala détourna les yeux de la route et jeta un regard à sa voisine. Elle avait rabattu son siège et était à moitié étendue, les yeux clos. Il pouvait suivre le rythme de sa respiration sur sa poitrine. Elle se soulevait de manière régulière, comme si elle battait la mesure. Elle s'était immédiatement endormie. Il ne se rappelait plus depuis combien de temps il n'avait pas fermé les yeux et sombré aussi rapidement. Ses nuits étaient longues mais jamais reposantes. Il ne rêvait pas. Il y avait juste ce bruit sourd et constant qui accompagnait ses nuits, comme un bourdonnement qui apparaît après que l'on ai été assommé. Il était d'abord apparu dans ses nuits, puis cette lourdeur avait ensuite commencé à le suivre dans ses journées, partout, tout le temps. La route semblait sans fin. Seuls les phares de la voiture parvenaient à éclairer les quelques buissons qui n'étaient pas morts de la colère du Soleil. Une colline dans l'horizon tranchait avec la monotonie du paysage complètement plat. De là où ils étaient, elle semblait jouer avec les étoiles.

_ J'aime bien cette chanson.

La voiture bifurqua brusquement vers la gauche et fit un écart.

_ Tu m'as fait peur.

_ Désolée. J'aime vraiment cette chanson.

Ménala jeta un coup d'œil sur la chaîne stéréo : Nature Boy, Nat King Cole.

_  Je ne suis pas étonné.

_ Pourquoi ?

_ Le garçon enchanté de la chanson affirme que la chose la plus importante que tu puisses apprendre c'est d'aimer et d'être aimé en retour. Ça ressemble à ta fable sur l'amour non ?

_ Tu n'es pas d'accord avec lui ?

_ Non.

_ Etrange playlist alors.

Il ne répondit pas, vexé. Elle avait cette manière de rester toujours impassible à ses remarques, comme indifférente. Elle ne semblait jamais se vexer quand il se moquait d'elle ou quand il critiquait ses positions sur l'amour. Elle ne semblait pas vivante. La jeune femme assise à côté de lui ne ressemblait en rien à celle qu'il avait vu bouger sur la piste de danse. Il lui avait semblé qu'elle respirait la vie, et que de la lumière s'échappait de chacun de ses pores et l'auréolaient de particules d'or. Il esquissa un sourire à ce souvenir.

_ Est-ce que tu es en train de tomber amoureux ?

La voiture fit un nouvel écart.

_ Tu as le don de nous mettre en danger avec tes questions bizarres.

_ En quoi est-ce que ma question était bizarre ? Tu ne te poses jamais ce genre de question quand tu sors avec quelqu'un ?

_ Ce sont généralement des questions que l'on garde pour soi, on ne les partage pas.

_ Pourtant on partage bien quelque chose à deux là.

Elle n'avait pas tort. Elle avait toujours réponse à tout.

_ J'en sais rien. Quels sont les symptômes ?

Elle réfléchit un instant avant de répondre :

_ Des sueurs froides, une augmentation anormale de la fréquence cardiaque, et des termites qui te bouffent les entrailles.

Il éclata d'un rire franc.

_ Des termites ? Où sont passés les gentils papillons ?

_ J'ai pensé que les termites étaient plus fidèles à la sensation ressentie, répondit-elle en souriant.

_ T'es vraiment étrange.

Elle ne répondit pas, et se contenta de sourire. Ménala pu apercevoir dans un coup d'œil furtif vers sa gauche que le barrage dans ses iris avait disparu. Le silence reprit et ils se turent pendant un long moment, les yeux fixés sur l'interminable route. Mais ce silence n'était pas comme celui du parc. Il était moins pesant, moins lourd, moins... silencieux. Il y trouvait un certain réconfort, une chaleur rassurante. Plus les heures passaient, plus Ménala s'y accoutumait. Un silence avec elle était rempli de mots.

_ Alors, quels sont tes symptômes ? demanda-t-elle en rompant finalement le silence.

_ J'en ai aucune idée, je ne suis pas assez malade pour m'en rendre compte."