Chapitre 4
Étendu dans le noir, je ne trouve pas le repos. Des images de mon passé dansent dans ma tête et se superposent à d’autres du présent. Celles de Lydia sont les plus prégnantes. Je la vois me passer les bras autour du cou en disant : « Dada ! » (elle n’a jamais réussi à prononcer correctement « papa »). Je nous vois sur une balançoire, tandis qu’elle rit aux éclats, dans la piscine gonflable où elle me fait peur avec ses « sous l’eau » prolongés, les mains dans la peinture à l’eau en train de composer une frise d’empreintes autour de sa chambre, se roulant sur la pelouse avec le chien et les chats. Et je pleure.
Claire est là aussi. En maillot de bain une pièce blanc qui fait ressortir son bronzage, ses cheveux blonds dénoués dans le vent de la Baule, en tailleur ajusté et talons aiguilles au vernissage d’une exposition d’un peintre de nos amis. Sur le cliché de ma rétine, tous les regards masculins convergent vers elle. Nue, sous un drap, devant le feu de cheminée dans notre chaumière du Pays d’Auge. Ce dernier souvenir en soulève d’autres plus brûlants... Ce n’est pas le moment !
Plus d’images me reviennent : des barbecues d’été aux senteurs de Provence, des soifs étanchées de vins frais perlés de rosée, des soirées alanguies qui se prolongent dans les transats du jardin... C’est l’avers heureux de cette pièce lancée au vent des souvenirs. Une course en voiture dans la nuit vers les Urgences, des heures sur un siège en plastique dans un couloir blafard, une assemblée dans un cimetière pentu devant un cercueil couvert de pétales de rose, des mines interloquées à l’audition d’un testament inattendu... C’est le revers de ce pile ou face.
D’autres encore. Des interlocuteurs coriaces ou méprisants ou faux-culs qu’il faut ménager parce que ce sont des clients et que « le client est roi ». Des supérieurs exigeants et tatillons, plus souvent avares de compliments et prolixes en reproches qu’enclins à distribuer bonus et promotions. Des collègues intrigants. J’ai la dent dure, ce soir, du côté professionnel. Rien ne trouve plus grâce à mes yeux. Ça sent un peu le burn-out.
Même la conduite me pèse, alors que j’ai toujours adoré ça, depuis mon plus jeune âge. À cinq ans, je réclamais à cor et à cri une voiture à pédales, à treize, je conduisais une jeep rescapée de la Libération dans les champs de mon oncle normand. À dix-sept, j’empruntais en cachette la Renault 21 de mon père. Le jour, de mes dix-huit ans, j’obtenais mon permis, du premier coup. Pendant deux ans, j’ai emmené en soirée tous mes copains, car j’étais le seul à disposer d’un véhicule (d’occasion, un peu pourri, certes). Puis, je suis monté en gamme, au fil de ma carrière, jusqu’à posséder aujourd’hui un SUV d’une marque prestigieuse, renouvelé tous les deux ans. Sièges en cuir, toutes options, jantes alliage, système audio de pointe, ordinateur de bord, aides à la conduite, etc. Et voilà que le conduire ne m’amuse plus. Comment cela est-il arrivé ? Je ne comprends pas.
Vais-je tout abandonner, alors ? Famille, domicile, travail, amis, collègues, véhicule, villégiature ?
Sur cette question à laquelle je ne sais pas encore répondre, mes yeux daignent enfin se fermer alors qu’une heure sonne au clocher. Et zut !
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, juillet 2017.
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