Chapitre 2
La semaine avec Cléa passa vite. Nous mîmes deux jours à atteindre la forêt, en ayant tout juste assez de nourriture. Lorsque j’avais abordé ce sujet, Cléa avait murmuré :
- Corentin avait dit, que pour ne pas manquer de nourriture, il aurait fallu tuer quelqu’un. Je n’aurais jamais cru que c’était lui qui allait mourir…
Et cette conversation s’arrêta là, car je ne voulais pas repartir sur ce sujet, en sachant que cela entraînerait cris et pleurs.
Arrivés dans la forêt, j’eus un peu plus de mal à me repérer, et nous nous perdîmes deux fois. Heureusement, nous arrivions toujours à garder le désert en vue, pour avoir une marque sur laquelle se reposer.
Pour la nourriture, nous apprîmes à nous débrouiller sans nourriture industrielle. Au début, nous utilisâmes les cartes pour tuer des animaux, mais j’appris bien vite à confectionner des lances et des collets.
Cléa se révéla être un as de patience, elle pouvait attendre près d’une proie pendant presqu’une heure avant de tuer l’animal. Nous apprîmes aussi à faire du feu sans allumette et sans carte, malgré quelques essais infructueux.
Nous pûmes enfin nous laver dans une rivière, et laver également nos vêtements, qui commençait à empester. Nous traversâmes ainsi la forêt, entourés des bruits des oiseaux, de rivières qui coulaient et d’animaux nocturnes.
Au bout de six jours de marche, alors que nous discutions de la manière de faire un arc pour chasser, la forêt déboucha brusquement sur une ville, en contrebas d’une colline. Nous contemplâmes cette vue, stupéfaits.
- C’était prévu de passer par là ? demandai-je.
- Je pensais que tu savais, dit Cléa en haussant les épaules. Il y a deux moyens d’arriver à ma maison : passer par cette ville, ou faire un détour en contournant les collines, ce qui nous rallongerait le trajet. Si on continue, on arrive ce soir, alors que si on prend l’autre chemin, on arrive demain.
Je réfléchis un instant, avant de dire :
- Ça fait deux semaines qu’il y a eu le troisième cataclysme.
- Nous n’avons croisé aucun Affamé, renchérit Cléa.
- Ils doivent être tous morts, dis-je. Ça fait donc cette menace en moins. Mais il doit y avoir quelques survivants, devenus Affamés, depuis un ou deux jours.
- On devrait pouvoir y arriver, si on est prudent, dit Cléa.
- Nous sommes continuellement prudent, soupirai-je.
- Et bien, encore plus prudent que d’habitude, déclara Cléa.
- Je ne vois pas comment c’est possible, grommelai-je en descendant la colline. Mais la bonne nouvelle, c’est que si tu dis vrai, nous arrivons ce soir à ta maison.
- Normalement oui, dit Cléa. En voiture, si nous passions par cette ville, il nous fallait une heure, et trois heures en passant par le détour. Je pense qu’on y arrivera ce soir.
- Tout dépend si l’on arrive à passer cette ville, dis-je. Ce qui n’est pas garanti.
- Survivre n’est pas garanti non plus, répliqua-t-elle.
- Et pourtant, on le fait depuis près de deux semaines. Je ne compte pas m’arrêter là.
- Tu as survécu à Corentin.
Je m’arrêtai net. C’était la première fois depuis mon allusion à Corentin qu’elle prononçait son nom. Cléa se méprit sur cet arrêt :
- Qu’est-ce qu’il y a ?
- Rien, rien, dis-je en me ressaisissant. Non, je n’ai pas survécu à Corentin. C’est toi qui m’a aidé à survivre.
Je n’avais pas dit : c’est toi qui l’a tué, car j’étais sûr que cela partirait mal. Cléa dit :
- C’est vrai. Mais…
- Il n’y a pas de mais, dis-je. Tu m’as sauvé la vie, un point c’est tout.
- On a le droit de parler de ce sujet, fit observer Cléa. Ce n’est pas tabou, si ?
- A vrai dire, je ne l’abordais pas par peur d’une nouvelle dispute inutile entre nous, avouai-je.
- Je me suis remise de cette épreuve, dit simplement Cléa. Et tout compte fait, je ne regrette pas ce que j’ai fait.
Nous marchâmes en silence un moment, avant que je reprenne la conversation :
- Tu as bien évolué depuis une semaine.
- Comment ça ?
- Tu as évolué mentalement en te relatant de la mort de Corentin, et ensuite tu as surmonté ta peur de tuer des animaux en chassant.
- Le monde évolue, répliqua Cléa, et je dois évoluer avec lui. Ceux qui ne changent pas meurent.
- Donc pour toi, tous les Affamés n’ont pas évolué ?
- Ils ont préféré rester dans les villes à attendre que la situation redevienne normal, avant de complètement mourir de faim pour sortir.
- Toi aussi, au début, tu es restée dans la ville, observai-je.
- Il nous fallait de la nourriture pour notre voyage, dit Cléa. On attendait juste le bon moment pour piller la boulangerie et ainsi pouvoir partir.
- Décidément, je vous ai bien servi, plaisantai-je.
- Plus que tu ne le crois, approuva Cléa.
Nous finîmes le reste du trajet sans parler, jusqu’à arriver devant les premiers maisons.
- Je propose de manger avant de traverser la ville, dis-je.
- On est obligé de faire un feu pour cuire la viande, protesta Cléa. S’il y quelqu’un dans la ville, ça va forcément l’attirer.
- Ce n’est pas faux, admis-je. Mais ce sera aussi le cas après, et si nous rencontrons quelqu’un, il nous poursuivra, donc nous aurons moins de temps pour manger. Et il faut manger avant de faire de l’exercice.
Cléa m’adressa un sourire avant de soupirer :
- D’accord, on peut manger.
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