Prologue
“Le jeune homme errait seul sur la plage, l’âme en peine, emmitouflé dans une longue cape noire qui donnait l’impression d’apercevoir une ombre. Il tenait dans ses mains tremblantes et pleines de cicatrices blanches, anciennes, un magnifique chapelet en or et en perles noires. Il arpentait de ses pieds nus ce sable glacial, en cette froide nuit d’hiver, face à l’océan qui lui avait arraché ce qu’il avait de plus précieux au monde. A présent, il était abandonné à son triste sort, le cœur brisé en mille morceaux, sans présent et sans futur. Il avait tout perdu. Une vague arriva jusqu’à ses pieds et il sentit le froid s’engouffrer jusque dans tout son corps, comme des centaines de pics de glace sur sa peau.
Elle aimait tellement l’océan même si celui-ci lui prenait son mari sur plusieurs jours et qu’elle attendait sur la plage son retour, assise, sage et patiente. Lorsqu’il rejoignait le rivage, elle se levait pour lui faire signe et se jetait dans ses bras, heureuse de le retrouver en vie, sain et sauf. Jamais il n’aurait pu penser que c’était elle qui en réalité était en danger, ici, sur la terre ferme. Il se rappelait de ses derniers mots, de ses derniers gestes tendres avant qu’il n’embarque sur le bâteau, du dernier regard qu’elle lui avait lancé. Elle était si belle, de si longs cheveux blonds bouclés, de magnifiques yeux verts en forme d’amande, son teint si pâle et raffiné, dans sa longue robe blanche, un chapeau de paille encore à la main. Elle avait souri et ce sourire, il ne le savait pas à ce moment-là, allait hanter tout le reste de sa vie.
Il aurait dû lui redire encore une fois à quel point il l’aimait, qu’il voulait avoir des enfants avec elle, et des petits-enfants et vieillir à ses côtés. Mais le destin en avait décidé autrement et sa bien aimée était morte, seule. Il n’avait même pas de corps à enterrer, même cela lui avait été pris. Son tombeau serait cet océan si vaste, ultime demeure à jamais. Il aurait pu la rejoindre, mais il savait aussi qu’elle ne l’aurait jamais voulu.
Alors, il allait quitter ce village de malheur qui lui avait arraché de façon si cruelle l’amour de sa vie et voguer à jamais sur l’océan. Mais avant, il lui restait une dernière chose à faire et ils allaient devoir tous payer pour sa mort, il s’en faisait le serment.”
“Il erra ainsi, pendant des siècles et des siècles, répandant la légende du vaisseau fantôme, abordant toujours de nuit, pour punir les hommes cruels et les emporter au loin. Lors de son passage, une magnifique berceuse jouée par une boîte à musique venait illuminer les rêves des dormeurs d’une douce quiétude.”
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“
- Que vois-tu ?
- La beauté de la Terre, ses monts enneigés, ses océans couleur azur, ses forêts verdoyantes, ses déserts somptueux, ses merveilleuses lumières…
- Qu’entends-tu ?
- Le son mélodieux des vagues venant s’échouer sur une plage de sable fin, le bruissement des feuilles que le vent fait virevolter, la musique que les dunes de sable jouent entre elles…
- Que sens-tu ?
- L’odeur des embruns que l’océan rejette, l’air pur des montagnes enneigées, la senteur des bois d’automne…
- Que touches-tu ?
- Le sable fin et chaud s’écoulant entre mes doigts, une pluie de flocons sur mes lèvres, le tronc robuste d’un séquoïa…
- Que goûtes-tu ?
- Tout ce que notre bien-aimée Terre nous offre en sa bonté.
- Et qu’en est-il des humains qui peuplent cette petite planète?
- Ils ne sont ni bons, ni mauvais. Ils essaient de s’en sortir comme ils peuvent. Certes très maladroitement je te l’accorde mais ne dit-on pas qu’il faut essayer plusieurs fois avant de réussir? Ils se battent avec leurs propres moyens.
- Dis-moi chère enfant, pourquoi devrais-je les sauver ?
- Ma réponse est celle-ci : pourquoi pas?
- Tu sais que je peux les détruire en une fraction de seconde. Un claquement de doigt et leur petit monde est détruit à jamais. Je l’ai déjà fait, à maintes reprises.
- Eh bien, fais-le donc ! Qu’attends-tu ? Ils ne sont rien à tes yeux, juste de misérables organismes que tu peux piétiner à ta guise. Fais tout disparaître, comme tu le dis, ce ne sera pas la première ni la dernière fois.
- Oui mais je serai seul à nouveau… Tout recommencer encore une fois… Je suis fatigué, chère enfant, si épuisé. Je ne veux pas me retrouver à nouveau seul, avec personne à qui parler, personne à observer ou à guider. Ils ont quelque chose de si précieux que j’aimerais tant obtenir…
- Qu’est-ce que les humains ont que toi, Entité Supérieure, tu n’as pas?
- La mortalité. Sais-tu depuis combien de temps j’existe? Je serais prêt à tout abandonner pour avoir enfin la chance de pouvoir me reposer, à jamais. Et découvrir ce qu’il y a de l’autre côté…dans cette autre dimension qui me sera à jamais inaccessible.
- Tu ne le sais donc pas? Ce qui se trouve de l’autre côté du miroir?
- Non. Tu sais, l’immortalité n’est pas un cadeau. Dans mon cas, c’est plus une punition, un fardeau qu’autre chose, que je suis obligé de porter sur mes épaules pour l’éternité. Un jour, tu comprendras à ton tour.
- Il te suffirait peut-être tout simplement de fermer les yeux.
- Et toi, de traverser à nouveau le miroir. Penses-y, chère enfant, ne fais pas la même erreur que moi.”
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Journal de bord de Chelsea Shelley, retrouvé intact dans les débris du vaisseau d’exploration prisonnier de la glace en Arctique.
Expédition Carlton, cartographie des terres nouvelles
12 Avril
Ce que je retiendrai chère Mère, c’est ce froid, glacial, intense, qui pique ma peau de mille aiguilles, qui blesse les poumons, qui m’empêche de respirer tout simplement. Chaque pas est un véritable effort tant nos articulations sont gelées, notre souffle coupé. Si vous saviez combien je donnerais pour être à la maison, près d’un merveilleux feu de cheminée, dans notre contrée campagnarde, notre vieille Angleterre… Tout sauf ce paysage stérile, vide, glacé, avec ses animaux sauvages et cruels, les icebergs plus monstrueux les uns que les autres, le bruit de la glace contre la coque du bâteau. J’ai l’impression que plus jamais je ne pourrais retrouver la douce chaleur de notre foyer.
Demain, nous allons partir en excursion. Le capitaine nous a remis nos vêtements en peau de phoque. Je dois avouer que j’étais dubitative au départ mais ça tient bien chaud.
Vous allez me dire, chère mère, que je savais à quoi m’attendre en épousant un explorateur plutôt qu’un jeune noble. Mais je ne m’attendais vraiment pas à cela.
12 Avril
Si vous saviez les merveilles que nous avons vues ! Quelle fierté de pouvoir un jour raconter cela à mes enfants et petits-enfants.
Je comprends maintenant l’engouement d’un tel voyage. Tout est mystérieux, sauvage, inconnu et tout est à découvrir ! J’aimerais que vous soyez là pour vous émerveiller à votre tour d’un tel spectacle.
13 Avril
Notre premier mort et certainement pas le dernier d’après le capitaine. Depuis ce matin, je vis dans la peur.
Nous avons été attaqués par des ours polaires. je ne dois mon salut qu’à l’intervention providentielle de mon cher William qui n’a pas hésité à se placer devant moi pour me protéger de la fureur de ces animaux sauvages. Vous pouvez être fier de lui, je le suis.
Le capitaine est très en colère contre les membres de son équipage. Une étrange rumeur se répand sur le bâteau. Apparemment, une découverte aurait été faîte à quelques kilomètres d’ici, cachée dans une profonde crevasse. William ne veut rien dire. Alors, ce doit vraiment être extraordinaire. J’espère pouvoir le découvrir bientôt.
30 Avril
Cela fait un petit moment que je n’ai pas écrit dans ce journal mais des événements terribles se sont produits. Une terrible tempête s’est levée. Et quand je dis tempête, ce ne sont pas les petites tempêtes de chez nous qui me semblent maintenant au combien insignifiantes par rapport à ce que nous avons vécu ici, dans cet enfer de glace.
Nous étions à nouveau en excursion lorsque cela s’est produit. Je pensais le capitaine plus aguerri face à ce genre de phénomène mais il nous a tous pris par surprise. Il m’a rappelé toutefois, non sans une certaine ironie dans la voix, que l’Arctique restait encore un territoire inexploré et sauvage.
En attendant, nous étions loin du bâteau, loin de toute source de chaleur et de sécurité. Heureusement, les membres d’équipage ont été prévoyants et avaient emporté des vivres et de quoi faire du feu. Cela nous a permis de tenir les quelques jours où nous sommes restés coincés dans une grotte en profondeur sous la banquise, à la merci de la glace et des animaux sauvages. J’avais l’impression terrible que je ne reverrai jamais le ciel bleu. Le bruit des bourrasques était effrayant, les murs de glace tremblaient et j’espérais ne pas les voir s’effondrer sur nous. Par moment, des hurlements se faisaient entendre. Le capitaine tentait de me rassurer en m’expliquant que ce n’était que le vent s’engouffrant dans les tunnels. Je ne pouvais m’empêcher à ce moment-là de repenser à la légende des banshees, ces jeunes femmes partis bien trop tôt, qui venaient par leur hurlement annoncer la mort prochaine d’un des membres de la famille. J’étais persuadée qu’elle venait annoncer un événement terrible et je ne me suis pas trompée.
Cela faisait trois jours que nous étions enfermés dans cette grotte, serrés les uns contre les autres pour garder le maximum de chaleur et la tension commençait sérieusement à monter. Les membres d’équipage, plus aguerris, ne montraient aucune crainte mais les autres passagers, nos compagnons d’infortune, commençaient à s’impatienter et l’angoisse se faisait ressentir.
Aussi, arriva ce que tous redoutaient depuis le début : un moment de panique générale. J’ai su par la suite par quoi tout avait commencé, la simple rumeur qu’un couple d’ours polaires arrivait pour se réfugier dans la grotte où nous nous trouvions. Nous avions tous à l’esprit la mort atroce d’un de nos guides quelques jours plut tôt.
Certains se sont mis à courir et à sortir de la grotte. Ils ont très vite été engloutis par la tempête. Le lendemain, lorsque nous avons été en mesure de sortir enfin de notre cachette et de remonter à la surface, il n’y avait plus aucune trace d’eux. Leurs corps doivent reposer sous la neige ou pire… je ne préfère pas y penser.
Nous ne sommes pas retournés de suite au bâteau. Le capitaine avait autre chose en tête, de plus urgent apparemment : retrouver la fameuse grotte qu’ils avaient visité naguère, le fameux mystère dont tout le monde parlait à voix basse. J’allais enfin savoir.
Nous avons marché ce qui m’a paru des heures entières avant d’arriver à cette fameuse grotte dont la tempête en avait dégagé l’accessibilité.
Je dois avouer que sur le coup, je n’ai pas compris ce que je voyais. Les hommes eux ricanaient en voyant mon air ébahi. Nous nous trouvions dans une grande salle, sous terre, avec des sortes de colonnes en marbre et sur les murs, des dessins et des inscriptions gravés dans une typographie inconnue. Un autel était entreposé en son centre et seigneur… Cette vision, je crois, me hantera toute ma vie.
Une petite fille, pas plus d’un dizaine d’années à première vue, reposait dans un linceul de glace, pour l'éternité. Elle était revêtue d’une robe blanche et d’un manteau rouge. Je ne saurais dire quelle était la couleur de ses cheveux, emprisonnés par la brume glacée. Elle était si jolie, un vrai petit ange. Un vieux livre reposait dans ses mains croisées sur sa poitrine.
Mais ce qui attirait le regard et la convoitise de tous ces hommes, c’était le diadème de pierres précieuses qui ornait ses cheveux d’or.
Ils ont décidé de le récupérer coûte que coûte et ils se sont attaqués à coup de pioche au cercueil de glace qui entourait le corps de la petite fille, dont ils se moquaient éperdument.
Au moment où William, mon William que je pensais si bien connaître, a pris le diadème, avec un regard avide et pernicieux sur le visage, un étrange phénomène s’est déclenché.
Quelques notes de musique ont résonné dans toute la grotte, irréelles, surnaturelles et tellement mélancoliques. Nous nous sommes tous regardés, figés sur place. C’est alors que le corps de la petite fille s’est mis à luire d’une lueur bleuté, comme si des millions d’étoiles en avaient constitué le corps et l’esprit. L’instant d’après, elle avait disparu, ne laissant en place que le livre.
Mais peu s’en préoccupait, trop heureux de leur découverte qui allait leur rapporter beaucoup d’argent. Pour ma part, je ne pensais qu’à cette petite fille dont on ne connaissait rien. Qui avait-elle été ? Pourquoi ce sommeil dans la glace ? Alors, surveillant que personne ne me remarque, j’ai pris le livre avec moi et caché dans ma veste.
2 mai
Je vais mourir très chers parents et je n’aurais plus jamais l’occasion de vous dire à quel point je vous aimais. Vous ne pourrez pas en vouloir à William, il est mort à l’heure où je vous parle.
Nous sommes retournés au bateau et ils ont tous fêté leur trouvaille dans l’alcool et la fête. Je suis restée dans ma cabine, feuilletant le livre de la petite fille sans en comprendre le sens. Le langage m’était totalement inconnu. Cela ressemblait toutefois à un journal. Comme j’aurais aimé connaître enfin son histoire et son prénom. Son visage, si beau, si paisible dans la mort, ne cesse de tourner en boucle dans mon esprit.
Je crois que je me suis endormie à un moment donné et étonnamment, c’est le silence qui m’a réveillé. Pas de bruit de cris, de fête, de pas, encore moins celui des iceberg se frottant contre la coque du bateau. Rien. Seulement le bruit rapide et saccadé de ma propre respiration.
Je n’ai croisé personne en cherchant de partout, dans la cafétéria, dans la salle de repos, dans les cabines. Je suis remontée à l’air libre et là toujours rien. Le bateau semblait pris dans les glaces, d’où le silence surnaturel.
Et je les ai vus. Les corps. Sur la banquise autrefois d’un blanc si pur, aujourd’hui rouge de sang. Tellement de sang…
Je ne suis pas descendue, je connais les risques.
Mais à présent, j’étais seule.
Seule pour l’éternité.
Sans aucun moyen de retour. Dans une contrée blanche qui n’est pas la mienne.
Je ne sais pas si un jour quelqu’un trouvera ce journal et celui de la petite fille.
Je me dis que je vais aller la rejoindre, dans ces étoiles mystérieuses.
Peut-être me retrouvera-t-on moi aussi dans un linceul de glace.
Mais j’entends un bruit. Je ne comprends pas, c’est comme une déchirure.
Une étrange lueur est apparue, à la lisière de l’horizon.
Il me semble apercevoir quelque chose au loin mais ce n’est certainement qu’un mirage provoqué par la glace.
Je vous dis adieu, mes chers parents. Ne m’oubliez pas mais continuez de vivre, pour mes sœurs et vos futurs petits-enfants.
C’est si beau…
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