Chapitre 3 - Partie 3

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Si la mort n'avait pas fauché Greg, il serait aujourd'hui cinéaste.

Depuis plus de dix ans, il regardait toutes les nouvelles entrées et assistait aux avant-premières. Il connaissait les cinémas de la ville comme sa poche et hantait leurs coulisses. Il reconnaissait tout le monde, sans que personne jamais ne le voit. Il rêvait secrètement de rencontrer ses acteurs préférés, ou même de rencontrer le fantôme de l'un d'entre eux.

Plus d'une fois il avait tenté de quitter la ville et ses environs, mais c'était trop difficile. Son point d'ancrage était plus fort que lui. Dès qu'il franchissait la frontière de la ville, il faisait du sur-place. Comme retenu à la taille par une laisse invisible.

Il finissait par s’asseoir, frustré, imaginant que d'autres esprits comme lui vivaient son rêve à Hollywood, par-delà des milliers de kilomètres.

Il s'était donc résigné. Gregory était cependant déjà satisfait de pouvoir circuler dans la ville, tous les fantômes ne pouvaient pas en dire autant. Certains restant bloqués à leur point d'ancrage ridiculement petit; une pièce dans une maison, un lit ou un arbre... Grâce à Fiona, Greg avait réussi à briser des barrières. Cela ne le dérangeait pas d'être mort, même si parfois, il s'ennuyait. Mais l'arrivée de Charles ouvrait de nouvelles perspectives.

Charles regarda le film en silence, écoutant Greg commenter chaque scène avec des explications techniques auxquelles il ne comprenait rien. Le jeune couple en face d'eux passait son temps à se bécoter et cela l'énervait un peu. Charles pensa quelque instants que s'il ne parvenait pas à pleinement profiter du film, c'était la faute à leur présence. Malgré ses efforts, il ne parvenait pas à s'immerger dans l'histoire. Mais Charles réalisa finalement qu'il ne ressentait presque rien.

Même si la musique du film résonnait en lui grâce aux énormes enceintes de la salle, Charles ne ressentait plus les émotions fortes.

« Comment tu fais pour tout regarder, c'est... nul.

— Ce n'est pas nul du tout ! dit Greg en fronçant le nez. Tu ne regardes pas assez.

— C'est... morne.

— C'est parce-que c'est toi qui est mort.

Greg se mit à rire. Il connaissait déjà le film mais ne pouvait pas s’empêcher de retourner ici.

Il fit signe à Charles en montrant le couple du doigt :

— Ça te dit qu'on les suive après, pour savoir jusqu'où ils iront ?

— Non ! s'écria Charles en pâlissant.

Greg se mit à hurler dans la salle obscure :

— N'hésite pas à parler plus fort, personne ne sait que tu es là ! »

Greg se leva et se mit derrière une femme, il eu l'air de prendre une grande inspiration et lui souffla dans les cheveux. Rien ne se produisit.

« Qu'est ce que tu fais ?

— J'essaye de lui souffler dessus mais c'est difficile. Une fois, j'ai réussi avec une fille pendant un film d'horreur. C'était extra.

Charles se mit à côté de Greg et par réflexe, essaya de prendre une grande inspiration. Mais rien n'y fit, il ouvrait la bouche et la refermait, telle une carpe sortie de l'eau.

— Je t'ai dit, c'est difficile. J'y suis arrivé qu'une seule fois. Et encore, quand je l'ai dit aux autres Trépassés, personne ne m'a cru à part Fiona.

Durant tout le reste du film, Charles s'essaya avec Greg, à souffler dans les cheveux de la spectatrice.

— Ça te dit que je te fasse visiter la ville après ? »

Charles accepta avec un sourire.

Ils sortirent de la salle en riant, après avoir vu un homme se fourrer les doigts dans le nez, se pensant être seul.

Mais au détour d'une ruelle, Gregory s'immobilisa. Charles suivit son regard : il y avait au fond de la rue un groupe d'ados qui hurlaient et insultaient les passants.

« C'est la bande d'Enzo, grimaça Greg.

— C'est qui ?

— Un groupe d'abrutis, viens, on passe par-là.

— Pourquoi ils insultent les gens, si personne ne les voit ?

— Parce qu'ils sont débiles. »

Greg marmonna quelque chose, il guida Charles de l'autre-côté du centre-ville.

« Tu sais pas la chance que tu as, d'être mort en jean et basket..., dit-il en tirant sur le haut de son pyjama vert. J'ai jamais supporté ce truc.

— Mais elle est pourtant jolie, ta montgolfière brodée !

— Très drôle ! Je suis condamné à me trimbaler avec ça pour l'éternité. Remarque, ça aurait pu être pire, j'aurais pu mourir tout nu.

— Il y en a à qui c'est arrivé ?

— Bien sûr ! Tu les verras bientôt. Une savonnette tombée en sortant de la douche et hop ! À poil !

Greg pointa du doigt les fesses de Charles.

— C'est par contre dommage que tu aies de la boue du derrière des jambes jusqu'à la taille. On dirait que tu as glissé sur le dos dans la boue. Peut être que tu es mort comme ça...

— J'ai pas tellement envie de le savoir.

Greg hocha la tête.

— Je comprends, allez viens, on rentre à pied comme ça je te ferai visiter le reste !

— Attends, Fiona a dit que c'était dangereux...

— À cause du Dévoreur d'âme ? s'écria Greg tout excité. Bien sûr que c'est dangereux, j'aimerais tellement le voir ! »

La nuit était déjà bien avancée quand ils rentrèrent au centre de loisirs Bel Air. Depuis l’extérieur, ils pouvaient entendre des cris de colère.

« C'est Hugo... », marmonna Greg sans pouvoir retenir une grimace.

Dans une des salle de jeux, Marguerite essayait en vain de calmer son petit frère. Hugo semblait pleurer depuis un moment. Les autres gamins jouaient sans lui prêter attention.

« C'est à cette heure-ci que vous rentrez ? s'exclama furieusement Marguerite. Tu sais que le Dévoreur est dehors !

— Laisse-nous tranquille, la Margarita, c'est pas tes oignons.

— Tu veux te faire bouffer ? Très bien, tant pis pour toi ! Occupe-toi d'Hugo.

— Qu'est ce qu'il a ?

— Il voulait absolument récupérer un des chatons et il a commencé à faire une crise quand j'ai refusé. »

Le visage du petit Hugo était congestionné par les hurlements, sa peau avait presque noircie. Son corps entier était braqué et ses yeux roulaient dans ses orbites. Charles eut un mouvement de recul et se sentit mal à l'aise. Les lumières de la pièce s'allumèrent puis s’éteignirent brusquement. Marguerite haussa sévèrement le ton.

« Ça suffit Hugo, si tu prends un chat, tu ne pourras plus t'occuper des animaux du zoo !

— Si !

— Non, ils le mangeraient et tu le sais très bien. Greg, fait-lui un câlin. »

Greg grimaça encore et prit son frère dans ses bras. Marguerite demanda aux autres enfants d'aller se coucher.

« Pourquoi leur dire d'aller se coucher alors qu'on ne peut plus dormir ? chuchota Charles en accompagnant Marguerite.

— Pour garder un rythme qui ressemble à celui de leur vivant. J'espère que Hugo se calmera, il était bouleversé. Parfois, il n'y a que Fiona pour l'aider à se calmer. J'espère qu'elle va rentrer rapidement et en sécurité. Comment était le film ?

— Heu, Bien.

— Greg ne t'a pas proposé des choses à faire... pas très polies ?

Face à son silence, Marguerite lança :

— Quel pervers celui-là ! Comme si je ne savais pas qu'il suit en ce moment la nouvelle miss météo partout où elle va. Ne te laisse pas trop embarquer dans ses histoires, sinon tu va finir...

— Comme la bande d'Enzo ?

— Oui, peut-être, je ne te le souhaite pas.

— Nous les avons croisés tout à l'heure, Greg a fait demi-tour.

— Et tant mieux. Peut être que Fiona ne veut pas que tu le saches, mais je préfère que tu sois au courant. Je pense qu'il vaut mieux savoir les choses... La bande d'Enzo traîne dans la ville depuis les années quatre-vingt, je dirais. C'est une bande d'ados qui s'est regroupée et qui est plus que pénible... Je ne sais pas trop combien ils sont. À mon avis plus qu'ils ne veulent le dire. Ils sont souvent aux prises avec les SDF. Ils ne craignent qu'eux, et Fiona peut-être. Je pense qu'ils sont dangereux mais personne ne m'écoute.

Jamais Charles n'avait vu Marguerite aussi bavarde. Celle-ci avait un air pincé et faisait les gros yeux.

— Pourquoi seraient-ils plus dangereux que les autres ?

— Pour faire parti de leur groupe, il faut avoir comme point commun d'être mort en se suicidant. Avec une idée pareille, ça ne me surprendrait pas qu'ils aient quelque chose à voir avec le Dévoreur d'âme... »

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