Chapitre 7 - partie 2

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Charles-Adam regardait le plafond blanc du musée fixement, les sourcils froncés avec agacement. La ventilation de la réserve faisait un bruit sourd et continu, une des lumières des issues de secours clignotait. Il se leva sur ses pieds et secoua machinalement sa gourmette, qui fit un léger bruit. Il réalisa son geste et serra la mâchoire.

N'y tenant plus, il partit droit devant lui et traversa le mur. À présent qu'ils ne risquaient plus rien, il s'accorda la permission de partir seul et sans prévenir les autres.

Les mains dans les poches de son pantalon, il avançait d'un pas rageur.

« C'est donc ça, ce que ressentait Fiona à chaque fois qu'elle voyait ses babouches rouges ? » réalisa-t-il en sentant en lui une vague de colère.

« Et Grégory, sans doute y pense-t-il à chaque fois qu'il tire sur son pyjama ridicule. »

Charles-Adam remonta les couloirs et ignora les peintures, les sculptures et les vitrines en tout genre pour se précipiter dehors.

La nuit était sans doute fraîche, mais il ne sentit pas le froid saisir ses joues ses membres. Il se mit à courir, l'esprit perdu dans ses pensées. Depuis qu'il avait retrouvé ses souvenirs, il réalisait à quel point il avait été une coquille vide et combien ses sens étaient affaiblis dans cette dimension.

« Je ne suis pas la coquille, mais le vide qu'il y a à l'intérieur. »

Il savait que ses frustrations étaient décuplées à cause de sa forme spectrale, mais il ne parvenait pas à dégager ces émotions qui le submergeaient.

Il était en colère, après son père, sa vie, sa mort et celle de son frère. Il hésita quelques instants à partir pour la prison où il était détenu, mais prit conscience que le simple fait de l'apercevoir risquerait de le faire déphaser.

Charles-Adam sentait son éther vibrer et il se contrôla pour rester calme. Tout cela était injuste. Ses pensées allèrent aux Trépassés. Pourquoi tous ces enfants étaient-ils morts ?

Leur destinées avaient-elles été de souffrir ? À vivre ces souffrances terribles, pour se retrouver dans cette dimension insipide ?

Durant son vivant, on l'avait noyé dans cette croyance que chaque destin était écrit, que Dieu avait un plan. Il y avait cru, pendant une période.

Mais à présent, il savait que tout cela était faux. C'était les adultes qui s'étaient révélés les maîtres tout puissant de leur destin, et ils les ont condamnés. Seuls leur égoïsme en étaient responsable.

Ses pas le menèrent aux abords de la ville, là où les lumières artificielles n'illuminaient pas la chaussée. Il s'enfonça au hasard dans un terrain vague. Les bruits urbains s'estompèrent. L'herbe était humide, un renard des villes partit en courant à son approche. Il s'allongea dans l'herbe et regarda le ciel.

Des nuages cachaient sa vue, mais il parvint à discerner Andromède.

Il s'apaisa lentement.

Ses pensées allèrent à Sirius, et il imagina quelques instants que lui aussi pouvait peut-être se trouver quelque part, sous la forme d'un fantôme. Mais il ferma les yeux. Au fond de lui, sans qu'il puisse dire comment, il sentait que son frère était passé de l'Autre-Côté. C'était là sa place.

Charles-Adam se retourna, un bruissement dans les feuilles attira son attention. Le renard avait fait demi-tour, l'observant de loin, le nez au ras du sol. Il se mit à sourire.

Lorsque le soleil apparut au loin, des oiseaux se mirent à chanter paresseusement, secouant leurs plumes sous les gouttes de rosées. Le ciel se colora de jaune et d'orangé et les toiles d'araignées dans les herbes scintillèrent dans la lumière rasante. Le terrain vague devint presque une endroit charmant. Charles-Adam regarda les étoiles s'éteindre une à une et décida de retourner à pas lents vers le centre-ville.

La journée était bien avancée lorsqu'il arriva de nouveau en haut des marches du musée. Grégory l'y attendait, frottant ses pieds nus contre ses mollets. Il semblait soucieux.

« Charles ! s'exclama t-il en le voyant arriver.

Ce dernier répliqua :

— Qu'est-ce que tu attends ?

— Toi. Sergeï va réveiller Hugo, on va fêter son anniversaire...

Grégory garda quelques instants le silence, il était nerveux et angoissé. Il continua d'une voix hésitante :

— Dis, ça te dérange, si je continue à t'appeler Charles ? »

Son ami ouvrit la bouche pour lui répondre oui, mais le regard de Grégory était si triste qu'il réfléchit quelques instants.

« Non. Tu peux continuer à m'appeler comme ça. Personne n'appelait mon père Charles, je n'ai presque jamais entendu quelqu'un le dire... Je me trouverai un autre prénom si vraiment je ne le supporte plus.

Grégory baissa la tête :

— D'accord. »

Sa voix semblait coincée dans sa gorge.

Marguerite surgit subitement à côté d'eux, accompagnée par Sergeï et le Baron. Son visage était fermé, ses yeux fixes et luisants derrière ses larges lunettes. Le russe tenait Hugo dans ses bras, toujours inconscient.

« On peut y aller maintenant, dit-elle d'un ton assuré. J'ai trouvé un gamin qui fête ses cinq ans au fast-food pour ce midi. Je l'ai vu sur le planning dans leur cuisine. En route. »

Ils marchèrent tranquillement, le restaurant étant à coté. Marguerite et Grégory avançaient d'un pas lourd.

« Où est-ce qu'on va ? fit subitement la petite voix d'Hugo.

Charles tourna la tête vers lui et fut frappé de réaliser à quel point Hugo était petit. Il eut l'impression de le voir pour la première fois. Ses mains chétives étaient enroulées autour du cou de Sergeï et ses yeux vagues, qui l'effrayait auparavant, était en réalité remplis de tristesse et de lassitude.

Le russe le posa au sol avec douceur, Hugo avança d'un pas mal assuré.

« On va faire une fête pour ton anniversaire ! chuchota Marguerite avec émotion.

— Que tous les trois ? demanda t-il, regardant son frère et sa sœur avec espoir.

— Oui, répondit Grégory en hochant la tête. Il va y avoir des ballons et des jouets dans ton menu enfant. »

La bouche d'Hugo s'élargit de plaisir. Il prit la main que sa sœur lui tendait.

« Il n'a pas l'air de se souvenir de ce qu'il s'est passé... », constata Charles en regardant sa silhouette toute frêle.

Lorsqu'ils arrivèrent, des enfants jouaient déjà dans l'air de jeux du restaurant. Hugo se précipita pour les rejoindre.

Les fantômes s'assirent à la table des parents qui discutaient entre eux, sans prêter attention à leur conversation.

Hugo finit par les rejoindre, il vascillait légèrement de fatigue.

« Où est-ce qu'il est parti, Patrick le Yéyé ? demanda t-il subitement.

Marguerite regarda Sergeï et commença :

— L'Esprit Errant l'a absorbé, pour ne plus qu'il force les autres fantômes à voler leur éther.

— Moi aussi, j'ai absorbé des fantômes, ils sont tous cachés dans mon ventre. Mais je m'en souviens pas très bien. Le Yéyé m'a donné de l'éther comme cadeau et il m'a dit que c'était un secret. En échange on partait à l'aventure ! Comme vous avec Fiona.

— Où est-ce que vous alliez ? demanda Grégory.

— Il m'a dit qu'il voulait quitter la ville pour retrouver sa fille qui habite très loin. Mais qu'il était pas assez fort. Alors je lui ai dit qu'il fallait détruire un Dévoreur ! »

Charles garda le silence, essayant de retrouver les moments où ils avaient laissés Hugo tout seul. Marguerite cacha son visage dans ses mains.

« Je le voyais tout le temps traîner proche de chez nous et vers le pont, à guetter nos allées et venues. Je pensais avec Fiona qu'il en avait après nous, pas après lui. Les enfants ne nous ont pas dit qu'Hugo quittait le centre !

— Mais eux aussi ils partaient jouer ! se défendit Hugo en grimaçant.

Merguerite poussa un cri d'éffrois en apprenant cela. 

— Tu ne pouvais pas le savoir, dit Sergeï en posa sans grosse main sur l'épaule de la jeune fille. Ce sont... et bien, des enfants. Ils n'écoutent pas toujours.

— L'esprit des gens tordus est difficile à cerner, ajouta Charles en pensant à Patrick le Yéyé avec dégoût. Il a bien caché son jeu. Tous les adultes de cette dimension ne sont pas suffisamment sains d'esprit pour passer directement de l'Autre-Coté.

Sergeï se mit à rire.

Da, c'est bien vrai ! »

Les enfants arrivèrent en trombe vers la table, réclamant des frites et des sodas à leurs parents. Les serveurs arrivèrent avec des ballons et des chapeaux en cartons, les yeux d'Hugo s’agrandirent d'excitation, il pointa du doigt un muffin nappé de sucre blanc :

«C'est mon anniversaire ! Et il y a un gâteau ! »

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