Manifestations d'outre temps...
Le commissaire Gensac, le capitaine Fraigneau et le lieutenant Marchadier se sont réunis dans le bureau des deux officiers, pour faire le point sur le phénomène « Jeanne » parce que plus qu'une simple affaire de police, il s'agit maintenant d'un ensemble d'événements qui dépassent l'entendement. Jocelyne commence avec le rapport des faits les plus récents.
- Hier matin, tout comme le jour de son arrestation, Jeanne s'est débarrassée de son armure dans la cellule 11, jusqu'à se retrouver dans ses vieux habits dégageant une puanteur innommable puis, ensemble, nous sommes descendues au local réservé au personnel féminin. Jeanne avait pris la pile des vêtements que je lui avais prêtés, et qu'elle même, avait soigneusement pliés et déposés sur le banc. En sortant, j'ai refermé la cellule où restaient donc tous les éléments de son armure. J'ai mis Ariane en faction devant la porte, avec ordre de ne laisser entrer quiconque. Sous la douche, Jeanne s'est lavée elle-même, usant du gel que je lui ai remis. Elle s'est abondamment rincée, toujours à l'eau froide... Je n'ai pas eu à l'aider pour se rhabiller... pendant tout ce temps, nous n'avons pas échangé un seul mot. De retour à la cellule 11 dont la porte était toujours bien gardée par Ariane, en entrant, ce fut le choc : il n'y avait plus la moindre pièce de l'armure que Jeanne avait quittée une demi-heure plus tôt…
- Et, ici, l'épée qu'elle m'avait laissée a aussi disparu... ajoute Fraigneau.
S'adressant au lieutenant, Gensac que cette situation embarrasse particulièrement, s'enquiert :
- Et vous ne lui avez pas demandé des explications ?
- Bien évidemment, elle m'a répondu très calmement et avec le même aplomb que la veille, en s'adressant au capitaine : le fer retourne toujours au fer... allez comprendre ?...
- On est en plein délire là, s'agace Gensac, enfin... des numéros de magiciens ou de prestidigitateurs, c'est au cirque qu'on les produit mais pas dans un commissariat, nom de Dieu !...
- Ces faits, aussi invraisemblables qu'ils nous paraissent, sont bien ceux que nous avons rigoureusement observés et n'avons, sur eux, aucune explications plausibles à fournir... Mais, il y a plus étonnant encore... Gensac et Fraigneau regardent Marchadier avec autant d'insistance que d'angoisse à l'idée de ce qu'ils peuvent encore apprendre d'irrationnel - Nous lui avons apporté de la nourriture et à boire, elle n'a rien touché de cela, ça fait maintenant 48 heures qu'elle n'a rien absorbé.
- Elle nous fait sans doute une grève de la faim, tente d'expliquer Gensac, on connaît ça avec les sujets irréductibles, ceux qui clament leur innocence et nient en bloc tous les faits qu'on leur reproche, puis se réfugient dans le silence...
- Je doute que ce soit cela, reprend Jocelyne, Il faut aussi la voir dans la cellule, prostrée sur le banc, aussi immobile qu’une statue, les yeux grand-ouverts, le regard dirigé vers le haut comme en grande contemplation. On se demande alors ce qu'elle perçoit ainsi... A certains moments, des larmes coulent sur ses joues, ses yeux sont particulièrement brillants. Elle nous fixe alors et, comme à chaque fois que cela se produit, répète : « Il faut qu'il comprenne et m'accorde ce que je lui ai demandé ».
- On ne peut répondre positivement à une telle folie ! S'emporte Fraigneau, lui accorder une escorte, vous rendez-vous compte de l'énormité de sa requête ! Tiens ! Ironise-t-il, c'est comme à Veaucouleurs avec Baudricourt, elle nous fait là, un remake de ses tribulations d'adolescente illuminée par ses Voix…
- Effectivement, ça ressemble beaucoup à ce que l'on a appris du début de son histoire, observe Marchadier.
- Mais on nage dans un océan de fantasmes à n'en plus finir, là ! Ne croyez-vous pas ? Réagit Gensac.
- Soit, ne spéculons pas avec ce qui semble être des productions de notre imagination, en phase avec ce que nous avons retenu de la grande Histoire, admet le lieutenant, il n'empêche que nous sommes en présence d'événements qui nous dépassent totalement, et j'ai le sentiment qu'ils ne tiennent aucunement à de la magie ou à des tours de passe-passe, œuvres de quelque illusionniste. Cette fille, qui dit s'appeler Jeanne, n'est pas une personne ordinaire et je dirai même, ELLE n'est pas un ÊTRE ordinaire...
- Qu'est-ce qui vous fait dire cela lieutenant, s'énerve Gensac.
- Un ensemble de comportements tels que sa douleur intense ressentie sous l'eau tiède ou chaude et, au contraire, son insensibilité à rester sous l'eau même très froide. Son corps, aussitôt après une douche quasi glaciale, dégage une chaleur puissamment rayonnante et ça, je l'ai moi-même vivement ressenti en étant à son contact sous la douche. Son infinie gentillesse avec les femmes, elle se soumet de bonne grâce à tout ce qu'on exige d'elle, par contre, avec les hommes, elle se montre intransigeante, pas franchement agressive mais combative, très vite sur sa défensive. Elle n'a jamais peur et reste calme face aux menaces. Sans vouloir absolument dominer ceux qui s'opposent à sa volonté, elle tente toujours de leur faire entendre raison. Par ailleurs, elle maintient fermement tout ce qu'elle a dit concernant son identité, même si c'est absolument invraisemblable. Elle ne revient jamais sur ses décisions, fait montre d'une patience angélique et ne se plaint nullement du traitement que nous lui faisons subir actuellement . Si ses propos et requêtes nous paraissent hors normes, il s'avère que ses dires sont appuyés par un raisonnement tout à fait logique et sont, dans leur contexte, d'une grande cohérence intellectuelle. Les réponses aux questions qu'on lui pose, immédiates et opportunes, sont la preuve d'une grande vivacité d'esprit. Et puis ceci, encore : en dépit de son refus à se nourrir, il semble qu'elle ne perd rien de sa formidable énergie ni de son extraordinaire pugnacité. Enfin, elle ne se soucie nullement du sort qui l'attend et, en grande sérénité, espère que le temps œuvrera en sa faveur. Tout ceci n'est pas banal, c'est le moins qu'on puisse dire commissaire !
- Ceci n'en fait pas un être surnaturel ! Rétorque Gensac, pas vraiment convaincu.
- Cette description que je viens de vous faire, s'ajoute à tout ce que nous avons déjà mentionné, qu'en l'absence de toutes explications rationnelles, relève de ce que nous qualifierons maintenant du para-normal. Et quoi que vous en pensiez, chers collègues, nous devons aussi en tenir compte...
- Que proposez-vous lieutenant ? S'irrite le commissaire ...
- Qu'on l'écoute une nouvelle fois et qu'on accède à sa demande ... Fraigneau dirige son regard vers le plafond. Gensac reste bouche-bée puis, se ravisant, s'écrie...
- Marchadier ! Ma parole, vous êtes encore plus folle qu'ELLE !
A cet instant une légère fumée dégageant une odeur acre, s'élève au-dessus du bureau du capitaine. A l’emplacement où Jeanne l'avait frappé du plat de son épée, le bois semble se consumer faisant apparaître l'empreinte roussie de l'arme blanche.
à suivre : "On oublie toujours les Intentions..."
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