Amour ?
L’hiver gelé avait cédé sa place à la douceur naissante du printemps. Un tapi de feuilles mortes recouvrait encore l’humus de la forêt en éveil. Les petits mammifères pointaient le bout de leur museau à la recherche de nourriture ; et les papillons rouges et or commençaient à affluer en masse des contrées chaudes, comme le vol migratoire des oiseaux sur le retour. D’ailleurs, ces derniers, non content de retrouver leurs logis infestés de créatures prêtes à leur croquer les pattes, se mirent à faire pleuvoir de la caillasse un peu partout.
Ainsi, lorsqu’un petit champignon au chapeau doré, lézardé et troué, sortit de son terrier, entre deux épaisses racines et à l’entrée recouverte de toiles d’araignées : il eut le plaisir d’en recevoir un sur la tête. Il s’agita. Puis partit à toute allure sur ses courtes pattes tentaculaires afin d’éviter cette pluie printanière. Le maître mot : manger ! Il lui fallait refaire ses réserves nutritives au plus vite. Et, justement, il connaissait un endroit où la terre était assez riche pour le sustenter.
Il retourna à un petit étang dont le rivage, couvert d’une mousse bien verte, luisait aux couleurs ravissantes des fleurs violettes, jaunes et blanches, heureuses de retrouver la chaleur. Il se planta proche de l’eau, les racines dans la terre fraîche et humide, entre deux grandes dames aux pétales tournés vers le ciel d’azur qui transparaissait entre les feuilles des grands arbres.
Quelque temps plus tard, alors qu’il somnolait, un autre champignon arriva sur la berge et enfoui ses racines à côté de lui. Ce dernier, deux fois plus grand, violet et noir, sortit un œil de sous son chapeau et ausculta son petit camarade – curieusement attiré par sa belle couleur et son odeur si douce –, remarqua ses blessures, étira un bras noueux et tapota affectueusement sa tête abîmée. Il secoua son large chapeau au-dessus du champignon d’or et en libéra un nuage de spores violacé.
Ce dernier en fut tout troublé. C’était la première fois qu’un mâle venait l’aborder avec autant de tendresse ! Alors, sa surprise ne fit que croître lorsqu’un deuxième, tout aussi volumineux, vint se planter à ses côtés.
Entre les deux gros champignons, il étirait un œil pour les regarder chacun à leur tour, et, remarquait derrière lui, qu’une dizaine d’autres jaillissaient des fourrées comme une marée multicolore, attirés par l’alléchant parfum qu’il dégageait. Le champignon appréciait la compagnie de ses congénères. Mais, cela faisait trop pour son petit cœur !
Il se déracina d’un bond, leva son chapeau, dressa les tentacules et s’enfuit si vite qu’il en arracha des mottes de terres sur son passage. Un signe évident pour les mâles que seul le meilleur pourra disposer de cette demoiselle vive comme le vent.
Ainsi, l’armée de prétendants se marcha dessus, se bouscula, s’élança à sa poursuite et noya la forêt dans un nuage épais aux couleurs variées et au parfum de l’amour.
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