Chapitre 6
Le lendemain matin, à la vue du téléphone posé sur la table de la terrasse, toute cette histoire lui éclata au visage. Le gendarme disait-il vrai ? Sur les réseaux sociaux :
« Actualisation impossible, aucun réseau enregistré »
Les mains moites, la poitrine serrée, son sang pulsait à tout rompre dans ses veines. Sa famille... Si l'homme disait vrai, elle se devait de les prévenir du coup d'état qui se préparait dans l'ombre.
Place à l'action.
Peut-être qu'avec sa carte professionnelle de sage-femme il serait possible de se rendre chez ses parents, puis chez sa sœur et chez David, le meilleur ami de Louis, qui n'habitaient pas loin, pour enfin se diriger chez ses grands-parents ? Elle expliquerait à la milice qu'elle réalisait sa tournée de visites à domicile. Terriblement dangereux et probablement suicidaire, cela pouvait malgré tout fonctionner, se conforta-t-elle tandis que l'adrénaline injectée dans ses cellules la sortait d'une torpeur l'engourdissant depuis bien trop longtemps maintenant.
Seize heures.
Tenue confortable enfilée, la jeune femme camoufla son visage sous une casquette en plus du sempiternel masque pour réduire davantage le risque d'être démasquée. Le principal danger était qu'un membre de la milice la reconnaisse et avertisse ses collègues qu'en tant que sage-femme hospitalière, elle n'avait rien à faire dans le secteur. En effet, depuis mars, le motif familial impérieux avait été suspendu, interdisant toute visite à des membres de sa famille, et ce, quel que soit la raison mais à cet instant, rien d'autre n'existait. Son clan l'empêchait de perdre totalement pied. Devant eux, pour eux et pour ne pas les alarmer sur sa condition mentale, elle tenait bon et durant ces derniers mois, elle avait ressenti le besoin viscéral de veiller à ce qu'il ne leur arrive rien. Ils étaient sa dernière ancre à la vie. En possession de l'attestation gouvernementale ainsi que de celle du MLF désormais obligatoire, elle démarra la voiture pour quitter, marche arrière, l'allée de la maison.
Jamais la route n'avait été si longue. Olympe veillait à respecter scrupuleusement les limitations de vitesse, chose rare pour la jeune femme dont le permis ne comptait plus douze points depuis quelques années... Les petites routes sinueuses à travers champs rallongeaient le trajet mais rassuraient : les contrôles y seraient moins probables. Rendre visite aux siens pouvait désormais coûter cher face à des miliciens de plus en plus zélés et si un voisin parlait, s'en était terminé de sa liberté et probablement de sa vie. Devant les rumeurs de déportation, de travail forcé, ou encore tests biologiques obligatoires, la terreur des interpellations du MLF maintenait une population parfaitement docile, mais qu'en serait-il devant cette panne générale de réseau de communication ?
Quand la mère d'Olympe ouvrit la porte, impossible pour elle de réprimer son étonnement. Devant ce visage, ces yeux, cette bouche, le soulagement envahit la jeune femme. Enfin, elle n'était plus seule, et dans cette maison qui l'avait vue grandir, la rapidité avec laquelle la chape de plomb de ces derniers mois s'éleva ne pouvait lui signaler qu'une seule chose : elle était chez elle. Epidémie oblige, elle se retint de les enlacer. Sa mère, immunodéprimée à la suite d'un traitement, ne devait prendre aucun risque. La pharmacie parviendrait-elle à lui fournir la molécule fabriquée outre atlantique si le MLF prenait le pouvoir ? Ne serait-il pas considéré comme un traitement cher et inutile aux yeux de ces dirigeants froids et antipathiques ? Pas le temps pour tous ces questionnements, elle devait faire vite si elle voulait prévenir tout le monde pour rentrer chez elle avant le couvre-feu, alors, elle s'élança et raconta toute l'histoire du gendarme. Face à ces informations improbables, le père d'Olympe l'interrogea, sceptique : comment pouvait-elle connaître tous ces détails ?
— Je tiens tout ça du gendarme qui était là le jour où Louis est mort, il est venu hier à la maison pour m'avertir.
Ces mots tranchèrent davantage la poitrine lacérée de la jeune femme et à travers son regard, sa mère le devinait bien. Sa fille souffrait d'avoir perdu sa moitié. Comment réconforter un cœur et une âme brisés ? Sans attendre et pour couper court à toute tentative de soutien, Olympe se lança dans une longue supplication pour qu'ils lui promettent de ne sortir de chez eux sous aucun prétexte. Aucun plein de courses, pas d'aller-retour à la pharmacie, rien. Leur jardin pourrait leur suffire pour les semaines voire les mois à venir si la situation était amenée à durer et sa mère n'avait qu'à prévenir la pharmacie de sa volonté désormais de bénéficier de la livraison à domicile de son traitement.
Après cette ode à la prudence, le silence envahit la pièce. Première fois qu'elle retrouve ses parents depuis le drame. Bien sûr qu'ils la voyaient brisée, leur fille traversait la pire période de sa vie, seulement, comment deviner ce qu'elle avait été capable de faire cinq mois auparavant et qu'elle tenait bien fermement enfermé sous clé ?
— Je dois y aller, soyez très prudents, j'essayerai de passer vous donner des nouvelles, si j'en obtiens. Je vous aime, très fort. Vous voir me fait du bien. Allez, j'y vais j'ai du pain sur la planche, car mon projet futur va être de dresser des pigeons pour qu'ils puissent vous faire parvenir des messages, à l'ancienne, lança-t-elle.
Son père souffla dans sa moustache dans un rire discret aussi réconfortant qu'une étreinte. Oui, ici elle était chez elle mais néanmoins, elle ne pouvait pas tout dire. Avouer, c'était leur briser le cœur et les mettre en danger. Sa mère sourit tout en essuyant les larmes qui coulaient sur son visage. Difficile de tolérer ce tableau sans un contact physique. Sa carapace vacillait alors elle se précipita derrière le volant de la voiture. Dernier sourire, dernier au revoir. Un signe de la main comme jadis, lorsque tout était normal et Olympe s'engouffra dans la ville, priant pour ne croiser aucune milice. Pouvait-elle imaginer qu'elle voyait ses parents pour la dernière fois ?
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