Chapitre 7
Tant de questions la hantaient. Aurait-il fallu leur avouer ce qu'elle avait fait ? Si le MLF prenait le pouvoir, ne risquait-elle pas de se faire arrêter si quelqu'un parlait ? Elle avait massacré l'un des leurs par vengeance, ne voudraient-ils pas obtenir sa tête en guise de représailles ? Sa famille était-elle en danger ? Noyée sous le flot de ses pensées, Olympe se rendit ensuite chez sa sœur pour lui expliquer la même chose qu'à ses parents. Cette jeune femme passionnée de survivalisme ayant des répliques de fusils d'assaut dans sa chambre était une guerrière dans l'âme. Maligne, discrète, courageuse et terriblement intelligente, pouvait-elle comprendre si elle se confessait ? Peut-être, mais Olympe n'était pas prête. La honte la submergeait. Elle avait tué et n'en éprouvait aucun remord, comment réagirait son clan face à cette bombe ? La pitié d'un deuil était plus facile à appréhender que la peur d'un meurtre dans leurs yeux.
Elle trouva porte close chez le meilleur ami de Louis, le seul peut-être qui aurait pu comprendre. Déçue, elle ne traîna pas. Les délations pour un non-respect du confinement n'étaient pas rares. L'être humain était capable des pires bassesses en temps de crise, l'Histoire l'avait déjà prouvé.
L'esprit divaguait, comme souvent depuis ces derniers mois et sans réelle logique, elle pensa au lieutenant. Lui seul connaissait la vérité et aucune peur ne s'était dégagée de son visage lorsqu'elle avait vomi tout son ressenti. Au contraire, il voulait que sa hargne combatte la milice. Avait-elle fait une erreur en refusant son offre ? Elle secoua la tête, impossible. Elle n'était pas une guerrière et surtout, elle devait veiller sur sa famille. Peut-être qu'une telle proposition aurait convenu à sa sœur, mais pour la protéger, elle n'avait pas mentionné la résistance qui s'installait dans l'ombre. S'y engager, s'était s'attirer les foudres du MLF. Un barrage la ramena à la réalité.
— Attestation MLF.
Autorisation de sortie et carte professionnelle en main, l'homme s'éloigna pendant cinq longues minutes. Une éternité. Pouvait-il vérifier en temps réel si elle était une véritable sage-femme libérale ? Si c'était le cas, qu'adviendrait-il d'elle ? L'exécuterait-il d'une balle dans la tête dans sa voiture comme ce qu'on racontait d'eux ?
— Puis-je savoir pourquoi vous êtes en dehors de chez vous en fin de journée mademoiselle Warenghem ? interrogea sèchement le soldat bedonnant resté près du véhicule.
— Je dois me rendre au chevet d'une patiente qui a accouché il y a deux jours pour m'assurer de sa bonne forme ainsi que de la santé du nouveau-né, répondit-elle.
Sa voix tremblait, mais Olympe, elle, savait qu'elle tremblait pour une seule et unique raison.
— Cela ne pouvait être fait plus tôt dans la journée ? Il est 17h30, le couvre-feu est à 18h15.
— Je sais monsieur, merci de me préciser l'heure qu'il est et je pense avoir le temps de faire ma visite, seulement pour cela, je ne dois pas m'éterniser sur les points de contrôle. J'ai mon écusson de professionnel sur le pare-brise, je vous ai tendu ma carte accompagnée de l'attestation. Je pensais que cela suffirait à me laisser passer sans attendre.
Que risquait-elle avec ce ton hautain, presque vindicatif ? Sa raison de vivre morte cinq mois auparavant, chaque barrage était un exercice demandant un effort surhumain pour maîtriser sa rage. La lionne grondait, faisait les cents pas dans sa poitrine, prête à bondir à leur gorge, déchiqueter leur carotide et se délecter du sang qui en jaillirait, en se roulant dans la marre ainsi créée. Ce doux fantasme arracha un sourire au visage de la jeune femme, pris pour de la politesse, comme toujours, tandis que l'autre milicien revint à hauteur de son collègue, adressant à Olympe un signe de tête.
— Laisse-la passer, Octave, tu vas la retarder et elle risque d'avoir de vrais problèmes si elle n'est pas chez elle à temps. Tout est en règle.
Deux petits mots firent bondir le fauve qui se retenait.
— Merci monsieur.
Une abomination, une trahison de ses convictions. Un moyen de survie avant tout.
17h35, elle avait perdu dix minutes précieuses. Le temps était compté, seules quelques courtes minutes chez ses grands-parents seraient possibles pour ne prendre aucun risque.
Sur place, ces derniers jurèrent de rester prudents et de ne sortir de chez eux qu'en cas de prétextes vitaux. Elle les savait plus enclin à la prudence que ses parents. Ils avaient tout. Poules, lapins, grand jardin et quelques vaches au fond d'une pâture voisine, rien ne les inciterait à quitter leur domicile si sécurisant. Grand avantage de l'époque moderne : la vie avait quitté les villages le plus reculés où la simple 4G était parfois bien rare à capter et où le mot fibre désignait uniquement l'aspect de certains tissus. Pour y survivre désormais, il fallait ruser. Quelques mois auparavant, lorsque la situation s’était tendue dans les villes, Althéa, la sœur d'Olympe avait suggéré d'adopter un chien imposant pour protéger le corps de ferme et les grands parents. L'animal, en réalité adorable, considérait sa nouvelle famille comme une meute à protéger. Un intru ? Il grognait et montrait les crocs. Parfait. Abandonné pour cela, il avait trouvé ici une seconde chance et sa reconnaissance valait la plus belle déclaration de loyauté. Ne quittant jamais d'une semelle son grand-père, le chien montait bonne garde et redonnait une seconde jeunesse aux corps vieillissants de ses grands-parents. Assis sur le rebord du muret, les souvenirs l’envahirent. Ici, elle s'était ouvert le genou, là-bas, elle avait grimpé à l'arbre... Où était passée cette vie ? Un espoir de normalité était-il encore raisonnable ?
18H07. Fin du rêve.
Même si elle faisait vite, elle était certaine de ne pas être dans les temps. Au volant de sa voiture, elle ouvrit le carreau et leur lança un à bientôt plein de promesses. Les voir pour aller mieux. Risquer sa vie pour améliorer son équilibre mental. À chaque membre de sa meute averti, un baume cicatrisant se déposait sur les berges du gouffre immense créé cinq mois auparavant. Dieu qu'elle comprenait à présent le comportement attachant mais exclusif du Rottweiler courant derrière le véhicule élancé...
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