Chapitre 8
Ses mains moites de chaleur et de tourments glissaient sur le volant. L'activation de la climatisation lui offrit une maigre solution de confort. L'esprit était ailleurs. Elle tenta de se rassurer, difficile de croiser un véhicule tant les routes empruntées étaient étroites et d'ailleurs, que diable ferait une milice dans ces petits villages de moins de cent habitants ? Oui, il fallait y croire à cette chance insolente lui ayant offert aujourd'hui l'amour de sa famille, à cette chance insolente lui ayant permis, aujourd'hui encore, de braver la milice. Jusqu'où l'accompagnerait-elle ? À un croisement entre une voie principale et un nouveau chemin de terre, elle se raidit. Non loin, sur la route départementale, un barrage.
L'adrénaline se déchargea davantage de ses surrénales excitant chaque cellule sous son effet. Une réaction, une idée, vite ! Deux camions étaient à l'arrêt. Toute la section les contrôlait. Cargaison, identité des chauffeurs, tout y passait. Si la milice entendait sa voiture, qu'adviendrait-il d'elle ? 18h20... Tout individu pris en flagrant délit de non-respect du couvre-feu risquait l’exécution sans sommation. Décision extrême ? La situation catastrophique des centres de rétention bondés n'offrait que peu d'option. Le délai dépassé de cinq minutes n'aurait pas raison de la vie d'Olympe. La chance jouait toujours en sa faveur. À quelques minutes de là se trouvait le domicile de son oncle et sa tante, il suffisait donc qu’elle arrive discrètement chez eux pour s’y trouver en sécurité le temps d’une nuit. Elle récupèrerait sa voiture le lendemain dès la première heure.
En espérant qu'ils ne l'aient pas embarquée...
Au moment d'arrêter le moteur, horreur ! La climatisation se mit en route.
— HE, VOUS LÀ BAS ! lança un homme lourdement armé.
Un sursaut, puis, ni une, ni deux, la folie prit le dessus. Sa volonté de vivre plus forte que tout, Olympe saisit son sac à main, le mit en bandoulière et bondit hors de la voiture. À toute allure, la voilà lancée vers son objectif, les hommes à ses trousses.
— ARRÊTEZ, STOP ! ARRÊTEZ OU JE TIRE ! sommaient-ils.
Elle n'en avait que faire. De toute façon, qu'elle s'arrête ou qu'ils réussissent leur tir en pleine course, la fuyarde était morte si elle tombait entre leurs mains. La jeune femme redoubla d'effort. Une fois à droite, une fois à gauche. Réduire la possibilité qu'une balle ne l'atteigne était sa seule chance devant cette longue ligne droite. Une détonation. Nouveau sursaut. Mais la cible ne s'arrêta pas. Au contraire, son corps faisait preuve d'une telle puissance... Chaque muscle au service de sa survie. La frénésie, cette vieille amie désormais, lui tira un sourire désolé. Il fallait que sa vie en dépendait pour montrer de quoi son cardio était capable, incroyable !
Au croisement, elle entra dans la petite rue longeant une zone résidentielle. La milice toujours à ses trousses, hors de question de risquer la vie de son oncle. Réadapter l'objectif, vite. La chance s'invita à nouveau. Abandonné depuis quelques années, elle pensa à l'ancien bureau de poste au bout de la rue, probablement accessible en escaladant la grille. Voilà un abri de fortune tout trouvé ! Une nouvelle détonation. Ses pensées se turent, seule la course compta. Six poursuivants la talonnaient. Puis, sans prévenir, son regard tomba nez à nez sur sa tatie, à la fenêtre de sa maison. Son gouffre s'anima. Bien sûr que le vacarme des tirs avait alerté les riverains ! Devant ses yeux, sa filleule détalait à toutes jambes. Un chut du doigt, puis, Olympe, tentant de contenir sa détresse, ne put réfréner un signe idiot mais pourtant si puissant : un cœur formé de ses mains. La reverrait-elle un jour ? Pourrait-elle un jour la serrer dans ses bras ? L'inquiétude dans leurs regards sonna leur dernier échange. Tout avait été dit. Elle devait se battre. Elle, au pied du mur, si elle voulait rejoindre Louis, il lui suffisait de s'arrêter. Juste une pause, et, en un claquement de doigt, elle serait avec lui. Avec lui, à jamais. Oui, un jour elle le retrouverait, Olympe étant de ceux qui croyaient en un après, seulement, cet après, pas question de le découvrir aujourd'hui, pas comme ça. Abattue dans une ruelle ? Mort minable... rit-elle. Non. Courir, sauver sa peau, se terrer, à cet instant c'était tout ce qui comptait.
L'élan de sa course l'amena à califourchon sur la grille du bâtiment, qu’elle enjamba pour atteindre l'autre côté. De grands arbres gênaient la visibilité du croisement. Était-il possible que la patrouille ne l'ait pas aperçue ? Pourrait-elle encore remercier sa bonne étoile ?
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