Apte au combat ? Chapitre 15
Tous les matins, pendant un court, très court instant, la solitude d'Olympe n'était plus. Tous les matins, pendant ce court, très court instant, lui, son évidence, dormait en paix à ses côtés, accordant alors à sa vie un répit bien cruel. Car tous les matins, tous ces putains de matins, encore et encore, l'infinie torture de cette place vide lui arrachait à nouveau son Louis. Le calme de son unique respiration, le froid de la place d'à côté... Ce matin pourtant, c'était différent. Tout était différent. Le matelas, les bruits ambiants... Dans cette pièce, résistance, patrouille et fuite pour sa survie ne pouvaient résulter d'un rêve et devant la trop forte présomption du basculement de sa vie, impossible d'ouvrir les yeux. Soudain, une vague glacée l'engloba. Mains moites, tremblantes et estomac au bord du précipice terminèrent de l'alarmer. Elle venait de rejoindre une force armée prête à combattre une milice ennemie, responsable de la mort de l'homme qu'elle aimait. Bordel, mais qu'avait-elle fait ? Les assauts de ses palpitations l'achevèrent. Gorge toujours douloureuse de la veille, haletante, Olympe se redressa en hâte et déversa à même le sol toute la bile de son estomac. La simple salade composée de la veille au midi, dans une vie désormais bien lointaine et la folle journée épuisante qui suivit avait bien entendu eu raison de sa résistance physique. Assise la tête entre les jambes, trempée de sueurs, trouver de quoi se resucrer devint une réelle nécessité.
À travers le couloir, la vision trouble, une nouvelle nausée l'assaillit. Cette fois-ci, le spasme douloureux d'un estomac entièrement vide heurta davantage sa nuque blessée. Un homme interpellé par le bruit sortit d'une des pièces.
— Qu'est-ce qui se passe ici ?
— Je suis en hypoglycémie. Je n'ai rien mangé depuis hier midi et dois être déshydratée, tenta-t-elle alors d'expliquer.
Après avoir terminé cet état des lieux bien médiocre, l'inconnu saisit Olympe par la taille et la dirigea vers la salle de consultation découverte la veille où il l'invita à s'installer sur la table d'examen.
Dans un bruit assourdissant faisant sursauter le médecin, la jeune femme s'y laissa tomber de tout son poids, et, tentative désespérée pour maîtriser ses vertiges, elle fixa un point au plafond. Qu'importe la tension, les pulsations, ou encore sa glycémie capillaire, à cet instant elle n'était bonne qu'à prier pour que l'inconnu la remette vite sur pied.
— Pensez-vous pouvoir avaler quelque chose ? interrogea-t-il.
Elle secoua la tête tandis qu'il s'éloignait. Une voie veineuse au pli du coude, un bilan sanguin, une perfusion, ne pouvant lutter davantage, épuisée, elle s'assoupit.
Impossible de dire combien de temps elle avait dormi, ni même qui l'avait redéposée dans son lit, mais quoiqu'il en soit, une fois à nouveau consciente, elle était soulagée de se sentir mieux. Dans le bureau du médecin, elle prit à nouveau place sur la table de consultation et patienta de longues minutes avant le retour du soignant, visiblement lui aussi ravi de la revoir sur pied.
— Tenez, voici une petite collation qui devrait finir de vous requinquer.
Un plateau ressemblant à ce qu'elle pouvait rencontrer lors d'un don du sang lui fit les yeux doux mais sa précipitation lui valut néanmoins une belle piqûre de rappel. La chaleur du chocolat réveilla la brûlure de son palais. Deux jours déjà que le gendarme était venu l'avertir... Deux jours sonnant comme une vie entière. Perdue face à toute cette frénésie, et pendant que ses papilles déconnectées se régalaient, le médecin feuilletait son dossier et assurait à sa patiente que tout était en règle. Sérologies, taux d'hémoglobine, tout y passait. Où diable cachait-il un tel matériel de contrôle biologique, s'apprêta-t-elle à demander lorsqu'une simple phrase la gifla de plein fouet.
— ...et si vous vous posiez la question, vous n'êtes pas enceinte.
Appétit coupé. Tandis qu'il libérait Olympe de son cathéter, l'homme d'une cinquantaine d'année ne réalisa pas l'impact de cette phrase pourtant lancée avec humour et poursuivit.
— Vous voilà apte à combattre jeune fille, annonça-t-il en claquant de nouveau des mains. Vous êtes attendue dans le bureau suivant, je vous laisse y aller. Vous pouvez emporter votre plateau.
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