Chapitre 44
Parce que son lit bougeait, Olympe ouvrit les yeux. Non, elle n'avait pas rêvé. Assis sur le bord du lit, la tête entre les jambes, l'homme pensif au dos éternellement voûté se rhabillait en silence.
— Tu fais quoi ? demanda-t-elle.
— On a beaucoup trop bu, répondit-il.
Qu'est-ce que cela signifiait ? Regrettait-il ? Elle l'observa et le découvrit sous un nouveau jour. Elle n'avait jamais remarqué à quel point Guillaume était beau et à cet instant, son corps toujours imbibé d'alcool avait envie de lui. Si elle se laissait à nouveau aller, comment réagirait-il ? Si elle s'asseyait sur lui, lècherait-il sa poitrine proposée avec subtilité dans sa robe encore entrouverte ou la mordillerait-il avec fureur ? Ainsi installée, elle pourrait contrôler le moindre assaut et la moindre parcelle de plaisir. Son entrejambe chauffait déjà. Le corps n'oublierait jamais, néanmoins, ce délicieux fantasme fut refroidi à la vitesse de l'éclair par l'attitude renfrognée de son partenaire.
— Écoute Olympe, j'ai beaucoup trop bu, j'ai perdu le contrôle. Ce n'est pas bien. Je suis ton supérieur et je pense qu'il vaut mieux éviter que cela se reproduise. Il ne faut surtout pas que quelqu'un l'apprenne. Qu'en penses-tu ?
Douche glacée. La nuit avait été d'une intensité rare, régalant la jeune femme d'un souvenir impérissable. Son corps, sa puissance et la confiance qu'elle éprouvait à son égard avaient ravivé en Olympe une furieuse envie de vivre mais la froideur de ses propos évaporait plus vite que prévu l'alcool et Louis, absent depuis plusieurs heures, par sursis, par répit ou par colère, qu'importe, exacerbait à présent l'horrible sensation de tromperie. Sous le regard empli de douceur de Guillaume, le dégoût écrasa le plaisir et, résignée, elle accepta.
Il prit son visage entre ses mains chaudes et l'embrassa. Leur complicité silencieuse apporta là encore toutes les précisions nécessaires. Ses lèvres avouaient que, pour lui aussi, cette parenthèse fut exceptionnelle mais qu'à cet instant, le lieutenant était revenu, refoulant au second plan l'homme qui l'avait ravie. Dans cette dernière étreinte, elle espérait qu'il perçoive toute sa reconnaissance. Chaque contact avait déposé sur elle un baume vital aidant ainsi son gouffre à cicatriser plus vite. Mais Louis n'était jamais bien loin, tout comme cette ignoble guerre.
Refusant que cette bulle éclate ainsi, dans la froideur d'un regret, elle interrogea son supérieur. Qu'était devenue la femme qui l'accompagnait ?
— Probablement toujours dans ma chambre.
Elle sourit. Guillaume, gentleman averti avait abandonné une femme à son triste sort ? Que s'était-il passé ?
— Elle avait beaucoup bu, probablement trop et quand elle s'est installée dans le lit en sous-vêtements, elle s'est endormie... Et ça tombait très bien car figure toi que j'avais envie de passer la nuit avec une toute autre personne...
Derrière son sourire, l'homme reléguait le militaire bien loin pour quelques courtes dernières secondes d'évasion.
— Avec qui d'autre voulais-tu passer la nuit ? Sois tranquille, je serais une tombe, ironisa Olympe.
Il pouffa et leva les yeux au ciel devant sa guerrière qui s'amusait. Dernier baiser tendre et naturel, puis il s'éclipsa avec prudence tandis que de son côté, elle retirait sa robe noire, vestige de ces dernières heures. Boxer et T-Shirt enfilés, la voilà à nouveau dans son lit, seule, mais pour une fois, un sourire vissé sur ses lèvres.
Quelques heures plus tard, au réveil, un mal de crâne cogné finit de ruiner la rêverie. Trousse de secours, paracétamol, vite. Le fond d'eau de sa gourde avec son relent de renfermé écœurant lui arracha une grimace abominable. Non. Cette journée ne commencerait pas de cette manière. La guerre ne se rappellerait pas à elle si vite. La jeune femme se motiva pour chercher du ravitaillement et découvrit, dans la salle commune, les visages déconfits de ses coéquipiers. Sven et Antoine tenaient à deux la palme d'or des gueules de bois et une difficile journée s'annonçait pour eux, plus que pour les autres, s'amusa-t-elle.
Guillaume raccompagnait la jeune femme qui avait dormi dans son lit lorsque des applaudissements surgirent de toute part. Dans le couloir, Adrien lui adressa même un clin d'œil amical. Olympe, la tête rouge pivoine bien enfoncée dans le frigo ne voulait surtout pas ruiner cette parfaite couverture toute trouvée, mais c'était sans compter sur la gentillesse légendaire de son ami Loïc, qui, prévenant, s'inquiéta de savoir si elle avait été gênée par le bruit des ébats du lieutenant, dormant juste en face.
— Hein ? À vrai dire non pas vraiment, j'avais beaucoup bu hier, j'ai dormi comme une souche.
La réponse fonctionna et le reste de la journée se déroula dans le calme, chacun gérant sa gueule de bois à sa façon. Devant Guillaume et Olympe qui évitaient bien soigneusement de se retrouver ensemble, d'échanger des regards ou même de se parler, Loïc, allongé sur le lit de la jeune femme, lui ordonna d'arranger les choses avant qu'ils retournent au front, la lourdeur de leur relation pouvant entraver le bon déroulement des missions. Olympe tenta de noyer le poisson. Que pouvait-elle y faire ?
— J'en sais rien, tu t'es excusée de lui avoir désobéi pour jouer ta Wonder woman sur la place ? Va lui parler, c'est important pour nous tous, Olympe.
Pas le choix, elle devait faire bonne figure et c'est ainsi que résignée, elle se leva, frappa à la porte du lieutenant et ravala son hilarité devant l'incompréhension de Guillaume face aux grands signes de Loïc accompagnés de clins d'œil bienveillants. Porte fermée, les voilà seul à seul.
— Olympe, quand j'ai dit qu'il fallait que personne ne sache…
— Attends, personne ne sait rien, mais apparemment notre distance interpelle toute l'équipe. Officiellement je suis là pour te demander pardon d'avoir désobéi lors de l'assaut.
Pouvait-il cesser de l'aguicher en souriant ainsi ?
— Il faut qu'on agisse comme si de rien n'était, pas comme si on ne se connaissait pas, reprit-elle. On a couché ensemble c'est un fait mais tu peux continuer de me regarder, de me parler normalement et de rire quand je dis un truc drôle, parce que oui Guillaume, je suis très drôle !
Elle avait enchaîné sa phrase rapidement, sachant pertinemment qu'il lèverait les yeux au ciel et qu'il soufflerait un rire moqueur. Tous deux se souvinrent d'une soirée où la CHARLY avait décidé de nommer les personnalités les plus drôles de l'unité et Olympe, en bonne dernière avait boudé toute la soirée. Comment pouvait-elle être considérée comme moins drôle que Sébastien, le monsieur sérieux en toutes circonstances ? Elle en avait voulu à ses coéquipiers qui l'avait même désignée derrière le lieutenant. Dans un acte archaïque de léchage de bottes en règle, selon elle. Ses souvenirs s'évaporèrent néanmoins lorsque Guillaume, installé sur le lit, lui promit de rétablir une bonne relation entre eux.
Un éclair lui fit perdre pied. Ses propres draps pouvaient-ils parler pour eux ? Des taches, des traces auxquelles elle n'avait prêté aucune attention étaient-elles à cet instant inspectées par Loïc qui l'attendait ? Et son bureau en désordre l'interpellerait-il également ? Il fallait qu'elle retourne vite sur la scène de crime pour y faire un brin de ménage. Alors qu'elle posait une main sur la poignée, Guillaume l'interrogea : avait-elle encore du paracétamol, lui aussi avait mal au crâne. Parfait ! Il n'avait qu'à l'accompagner et ainsi, Loïc verrait que tout va à nouveau pour le mieux au sein de l'unité.
Devant le comprimé tendu poliment, le lieutenant accorda un maigre sourire ainsi qu'un remerciement en bonne et due forme, seulement, Loïc ne semblait pas dupe, alors, Guillaume y mit du sien. Une entrevue avec le capitaine Dinter et le commandant Plantain était prévue, confia-t-il en ne quittant pas la jeune femme des yeux. L'équipe devait se préparer, il y aurait du changement. Cet échange conforta Loïc qui exprima son soulagement devant l'amélioration notable de leur relation. Un baiser sur la joue de son amie, et le voilà sifflotant dans le couloir. L'évocation des hauts gradés de la RF fit sursauter la lionne. Même si ces quelques jours et surtout ces dernières heures avaient tout fait pour qu'elle l'oublie, rien n'était terminé.
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