Chapitre 5
Pendant ce temps-là ...
Le bocal abritant une nouba de discothèque, les tifs grillés jusqu'à la racine, la jambe gauche découpée tel un puzzle de 10 000 pièces et la cargaison pyrotechnique consumée, l'agent FX n'en conservait pas moins le moral. Il s'extirpa de sa berline-limousine avec la vélocité de l'unijambiste qu'il était devenu. Dans les fumigènes conséquents aux feux d'artifices, il s'accouda sur le reliquat d'aile arrière droite de sa pièces-détachées et farfouilla dans la poche droite de sa néo-culotte courte. Il en extrait une boite à outils rétractable qui se décontractait en sifflotant. Il déclencha les cadenas, faisant émerger de l'antre de la mallette un avorton de scie à essieux qui aussitôt se titanisa. L'ustensile, parvenu à sa taille maximale - ce qui correspond à la taille normale de la scie à métaux que tu utilises dans ton atelier le dimanche après-midi pour scier tout un tas de trucs qui finissent invariablement à la décharge tellement tu es maladroit, humble lecteur - l'ustensile, parvenu à sa taille maximale, disais-je, FX s'attela à la tâche : dégoupiller ces putains d'essieux pour s'en faire une canne ! Cette besogne lui prit un sacré bout de temps ainsi qu'une part considérable de son énergie. Mais l'agent FX n'en était pas à sa première affaire et nombreuses ont été celles où il dû fait preuve d'une rare habileté manuelle. Souvenons-nous ...
Beaurnaiheau, hiver 52. L'agent FX est en mission en zone tropicale, livré à lui-même face à une tribu de mal dégrossis. Il est capturé le matin même de son arrivée sur l'ile, largué d'un avion au-dessus de la jungle. Il est aussitôt conduit dans une caverne puis torturé cruellement. On veut lui faire cracher ce que lui-même ne sait pas puisqu’il n'a pas encore eu le temps de rencontrer son contact. Il est pendu par les pieds à la voute de la grotte, les mains liées dans le dos et la tête immergée dans une marmite d'eau bouillante garnie de piranhas aux chicos bien affutés. Soudain, un phénomène inexplicable se produit : il se retrouve face contre terre, les pieds libérés mais les mains toujours lacérées par la fine cordelette. Une femme dont il observe furtivement la beauté féline l'aide à se relever tandis qu'un groupe d'individus peinturlurés s'oppose à ses ravisseurs. La naïade le guide jusqu'à une rivière souterraine et plonge. FX suit le mouvement, bien que sur le coup il pense que défaire ses liens aurait été une chic idée. Rien qu'à l'énergie de ses membres inférieurs, tel une sorte de cachalot handicapé, il regagne la surface. Sur la rive, enfin sauvés, la jeune océanide libère les liens enserrant ses mains. Emporté par l'enthousiasme de l’instant, FX lui roule une pelle mémorable et, de ses mains agiles, lui dégrafe son sous-tif et lui pelote langoureusement les nibards.
Pendant que nous contions cette anecdote témoignant de l'habileté manuelle de l'agent FX dont il fait usage lors de ses missions, celui-ci arrivait à bout de ces essieux.
Les fumigènes s'étaient enfin dispersés, laissant apparaître à une encablure de là, l'entrée de ce qui semblait être une galerie. L'espion claudiqua jusqu'à ce mystérieux passage dont il déplia les humides battants rosés. Une sensation de plaisir lui vrilla le corps à cet instant. Il se laissa délibérément bercer au sein de ces délices exrotiques. Sous cette emprise voluptueuse, il pataugea dans un lagon écumeux dans lequel il s'étala de tout son long. Il se dilua alors durant de longues minutes, scellant l'osmose sublime entre son âme et ces doux abysses d'où émanait une odeur mentholée. Ces trop courts instants d'abandon consumés, il grilla une cigarette en pensant à la vie en général.
Il emprunta ensuite le couloir obscur menant au-delà de cette barrière de corail, plus loin à l'intérieur de ce souterrain. Suspendu à la paroi un écriteau disait : tiens ! une vraie canne pour toi, t'as vraiment l'air d'un benêt avec ton essieu. Et juste en dessous, accrochée à un clou, une canne. Une vraie canne de vieux, une que si tu l'as pas, tu te casses la gueule. L'agent FX s'en saisit et fort de ce signe du destin, s'engouffra dans le souterrain saisir ce qui s'y mijotait.
Pendant tout ce temps-là (le coup des essieux à scier, de la mallette de poche avec la scie qui devient super géante, de l'anecdote sur l'habileté légendaire de FX, l'épisode des nichons, la caverne en extase, tout ça quoi ... ) ...
Le Président empruntait son coucou subsonique sans queue pour se rendre dans ce lieu top secret où se trouvait la ripaille destinée aux Trucs. C'est top secret mais moi j'ai eu vent que le Président possède un vieux grenier où il entasse des conserves de pilules depuis la dernière guerre. C'est ça son idée ! Utiliser toute cette becquetance pour se faire bien voir pendant la campagne électorale. Enfin, on verra mais moi je vous le dis ...
A mi-chemin de son périple, vers 18 heures 30, le Président, plongé dans un roman intitulé Sylviana, un amour perdu, venait à sangloter à la lecture de cette bluette de gare achetée à prix d'or par Gauthier à un vendeur de barbes à papa sévissant sur la plage. Histoire de racornir ses glandes lacrymales, il eut l'éclair de génie de sa vie : contacter sa fille chérie au vidéophone. Son petit ange miraculé de l'existence, sauvé du trépas par cette soif de vie qui l'habite et depuis protégé par son ange-gardien de mère qui s'est sacrifié en offrant sa vie le jour de cette naissance bénie. Ah ! Ce chérubin candide au visage rosé.
Cette communication avec sa fille était sans conteste le meilleur moyen d'égayer son voyage.
Aux vues des premières images qui apparurent sur l'écran, il crut s'être fourvoyé dans sa connexion. Un dérapage vers baise-moi.com, son site favori passé onze heures du soir. Sauf que ce soir, sur baise-moi.com, les protagonistes étaient les parfaits sosies de sa fille et de James Dean, le félon traducteur. Les deux autres, le mâle à tête de farce et attrape et la femelle aux mamelles de pachyderme, il ne les connaissait pas. Vlan ! Ramasse-toi ça dans les roustons, mon gars ! Ça t'en fait un choc, ta fille qui partouze avec des rastaquouères de bordel ! Ta pure progéniture branchée sur multiprise à 10 000 volts, ça génère des étincelles dans ta calebasse !
Vint s'ajouter à cela un essaim de journalistes, caméras au poing, ne ratant pas une miette de ce mauvais sitcom.
- Qu'est-ce que c'est que cette galéjade !? Help ! Gauthier ! Help !
Gauthier émergea de sa brume passionnée, affichant son habituelle tête de lapin dans les phares, et déposa la carabine à plomb avec laquelle il visait depuis le décollage une improbable cible crayonnée au feutre gras sur un hublot. Dieu soit loué, il n'était guère adroit.
- What happens, Sir?
- Don't be so stupid and talk to me in french ! Pleeaassee !
- Quoi ?! Je comprends rien à ce que vous me dites ! Parlez plutôt français, ce sera plus simple !
- Regarde là-dedans, triple buse !, claironna le Président en faisant pivoter le vidéophone vers son
larbin. Ce dernier manqua de s'étouffer à la vue de cette colossale orgie. Il reconnut toute la clique de son œil vif et aiguisé - quand il est en forme, il peut être bionique aussi mais après cette séance de tir, il est un peu schlass - la fille de sa Sainteté et le vil traducteur bien sûr mais aussi les journalistes qu'il avait lui-même tuyautés et surtout les deux autres zozos, sa femme et son beau-frère, le grand Gilou.
- Wouaou ! L'enculé de sa mère, celui-là !, brama Gauthier, déconfit.
- Qu'est-ce à dire, Gauthier ?, s'émut le Président.
- Le gougnafier, je voulais dire ...
- Qui ça?
- Ben, l'autre là, celui sur qui s'empale votre fi ... heu ... le type à tête de mardi-gras.
- C'est pas de ça que je te parle ! T’es borgne des deux yeux ou quoi ?! C'est ma fille ! Ma propre fille au milieu de ce ramassis de mabouls ! Et ces pisse-copies à la solde de mes rivaux politiques ! Et aussi ces ... mais qu'est-ce que c'est que cette ... cette ... cette grosse bestiole là ?
- Où ça ? Ah, là ! C'est une grosse mouche sur l'écran.
- Ah, vous me voyez rassuré ... coupe-moi, cette horreur !
Gauthier saisit la bête entre ses doigts et commença à lui arracher les ailes une à une.
- J'adore faire ça, confia-t-il au Président.
Son œil vicelard luisait d'excitation. Le Président était affalé de désespoir dans son fauteuil moulant. Il était ailleurs. Il en revint lorsqu'on entendit un gémissement énorme exploser les haut-parleurs du vidéophone.
- Qu'est-ce que tu fous, Gauthier ?, s'énerva le Président, la turbine en surchauffe. Tu vas me couper ça !
- Ca vient, ça vient, je vais vous la couper ... bougonna l'imbécile, saisissant un minuscule canif avec lequel il trancha soigneusement la mouche en deux parties égales.
L'agacement fit crever les pompes lacrymales du Président dont la poussée mentale entraîna le vidéophone à puzzler le hublot-cible. C'est, à en croire les statistiques, le premier exemple de télépathie entre un être constitué de chair et de sang et une entité dépourvue de cerveau.
- Bingo, Président, vous avez touché la cible en plein centre !, se réjouit Gauthier avant d'être aspiré dans la percée produite par le vidéophone.
A ce stade de l'histoire, nous devons réviser notre jugement et constater que les exemples de télépathie entre un être fait de chair et de sang et un être dépourvu de cerveau sont légions : en tous cas, au moins aussi nombreux que les conversations télépathiques entre le Président et Gauthier. Signalons qu'à l'époque où se déroule cette histoire, la télépathie fonctionne à merveille mais que pour le moment, personne dans cette aventure n'en a fait usage.
A l'autre bout de l'histoire ...
A peine eut-il parcouru quelques kilomètres dans cet antre maléfique que l’agent FX débarqua sur un quai de métro. Le lieu était saturé de courants d'airs violents et glacials. Il y avait sur la droite une sandwicherie et un peu plus loin un tabac-presse. FX s'engouffra dans cette dernière officine reluquer les filles des vidéo-magazines en attendant la prochaine rame. Les revues s’alignaient sur un présentoir à mi-hauteur. FX mata Lola-Lolita - sa gazette favorite. A sa grande stupéfaction, il découvrit en scène 3D - avec la possibilité d'imprimer les meilleurs moments pour s'en faire des posters - la fille du Président en fâcheuse posture. Les autres acteurs de cette alléchante représentation ne lui étaient pas inconnus. Le géant dégingandé qui s'agitait tel un manchot empereur n'était autre que le grand Gilou, son petit frère. Sacrée gaillard ! Toujours dans les bons coups ! La fille aux mam ... à la magnifique poitrine, c'est sa grande sœur, le petite Ghislaine. Il feuilleta aussi un magazine sur la généalogie présidentielle qu'il finit par acheter, on ne sait pour quelle raison.
En vidéo-projection permanente, les écrans géants déroulaient les dernières informations. On parlait des Trucs. On les voyait filmés avec un filtre corrupteur afin qu'ils aient l'air barbare et malveillant. Le journaliste citait le porte-parole du Président. Nourriture, mensonge, top secret et patati et patata - nous, on sait tout ça mais FX, lui, il apprend tout un tas de trucs. On reparle de nouveau de pilules transpépiniques, avait rajouté le chroniqueur. La simple évocation du mot transpépinique donna la nausée à FX, vaillant défenseur de l'écologie. Il se souvint alors des sacs jaunes transparents oubliés dans sa bagnole. Il exécuta hâtivement l'aller-retour jusqu'à sa tire puis vint se ranger de nouveau sur le quai. II avait évidemment manqué trois rames et dû attendre encore.
Au bout de quelques secondes, un train pila devant FX après avoir failli manquer son virage et dévaster la gare toute entière. Fort heureusement, le chauffeur avait rattrapé le coup d'un habile geste du poignet, rétablissant le manche dans la bonne direction. Ce comportement salvateur permit de réduire le nombre de victimes à mille deux cents quarante-sept et des poussières. Les poussières, c’était les deux ou trois vagabonds dont les vies n'intéressaient personne.
FX ressentit ce miracle comme un appel du Tout Puissant, le Seigneur des Seigneurs : Super Ecolo lui confiait une mission ! SAVE THE WORLD IS THE MISSION.
Sur ce, il grimpa dans le train qui démarra sur un wagon d'enfer.
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