02.Boulot-métro-dodo

9 minutes de lecture

Sur la route d'East Downtown, Houston, Texas

Octobre 2023

Alec

...6h30, et nous allons partager avec vous le moment presse en compagnie de Maxwell White pour un mo...

Je coupais le live du NYT avec un sifflement méprisant, refusant d'entendre le timbre de ce m'as-tu-vu d'aussi bonne heure en accélérant sur la 290 en direction de l'est d'Houston.

L'un des plus arrogants de ma profession qu'il m'ait été donné de rencontrer, ce confrère. Rien que de penser le terme, une grimace s'imprima sur mes traits déjà durs de nature. Le bougre s'était cru en droit d'investir mon bureau comme s'il avait été dans le sien, aussitôt lui avais-je accordé un entretien avec Brett, mon assistant pour une possible collaboration entre nos deux branches. Cet entretien fut d'ailleurs l'unique et avait tourné cours. À défaut de l'interrompre, mes regards glacials lui avait régulièrement fait fermer son clapet, permettant à mon bras droit de lui rappeler sa place et nos conditions. Je me garais dans le parking du sous-sol avant de prendre l'ascenseur qui menait au journal. La première personne que je rencontrais fut la stagiaire au prénom qui m'échappait, mais dont les longues jambes se voulaient grandement mises en valeur par une jupe de tailleur particulièrement réhaussée.

— Bonjour monsieur Jones, sourit-elle d'une voix sucrée, non sans prendre tout son temps pour étudier ma musculature avant d'arriver jusqu'à mes yeux, soit un bon mètre plus haut que précédemment.

Si tu souhaites obtenir un post longue durée, te mettre à poil ne te suffiras pas, bichette... J'avais parcouru le compte rendu de son dernier relevé pour constater qu'elle avait bien plus de distinction sur le plan physique que de talent et de cœur à l'ouvrage. Ses phrases étaient plates, fades et placides, dignes d'un cadre scolaire. Elle était organisée, mais fatalement docile et conciliante dans l'élaboration de son travail. Cette femme n'avait rien d'une journaliste d'investigation. Elle aurait eut l'étoffe d'une présentatrice météo, tout au plus. Évidemment, une fois son stage terminé, elle allait à postériori se voir mise à la porte. Je me contentais de scanner sa silhouette avant d'afficher un rictus appréciateur sous le décolleté très prononcé qu'elle me permettait volontairement d'entrevoir, d'où débordait une frange de dentelle satinée. Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur Brett, qui afficha un grand sourire.

— Candace, la salua le grand châtain clair avant de lever les yeux vers moi. J'ai besoin de m'entretenir avec toi.

Son ton insistant me fit hocher légèrement la tête et je quittais à contrecœur le décolleté de la stagiaire des yeux ainsi que l'étage pour rejoindre mon bureau.

— Laisses-moi carte blanche pour ma prochaine proposition, lâcha-t-il de but en blanc tandis que je m'asseyais.

On y était... J'attrapais mon portable et tapais frénétiquement sur le clavier, avant que la voix robotisée et métallique ne s'en échappe.

« Tu as l'intention de transformer cette entreprise en garderie ? »

— Celles dont j'ai accepté les dossiers sont irréprochables, revendiqua-t-il en posant ses mains sur mon bureau pour asseoir son affirmation.

Celles... uniquement des femmes, donc. Arrêtes de sélectionner les recrues sur leur physique, ça devient fatiguant. Bien évidemment, j'étais sensible au charme féminin qu'exulait la nouvelle, mais ça s'arrêtait à cela.

« Ou en institut de beauté, peut-être, riposta mon i-phone pour moi. On est pas une œuvre de charité, Brett ».

Ses yeux bleus m'examinèrent avec la même exaspération qui émanait des miens.

— Je me suis foiré avec Candace, ok, je te l'accorde, mais j'ai été plus minutieux avec les autres. Elles ont réellement le potentiel pour intégrer A.J. Investigation.

Je secouais la tête en expirant fortement. Il y avait deux ans encore je n'avais aucun scrupule à mélanger travail et plaisir. Aujourd'hui, en revanche, je ne pouvais plus me le permettre. Pas dans le cadre de la constitution d'une équipe solide. J'avais besoin de références, pas d'un corps de mannequin. Son expression emprunte d'exaltation me fit hausser un sourcil, méfiant. Il était tombé amoureux, ou quoi ?

— Donnes-leur le bénéfice du doute, insista mon bras droit d'un air presque suppliant. Tu ne le regretteras pas.

Je soufflais profondément, avant de flancher.

« Un mois. »

Le regard de Brett s'illumina, et l'espace d'un instant, j'eus l'impression d'avoir affaire à un adolescent.

— Il t'en faudra moins pour reconnaître que j'ai raison, s'enthousiasma-t-il sous mon regard défaitiste.

Pire, un enfant. Espérons que cette fois, il ne fut pas question de miss météo bis.

« Combien ? », tapais-je avec résignation.

— Elles sont deux, originaire du Texas et d'Oklahoma. L'une est née avec un appareil argentique dans les mains, quant à l'autre...Je te laisse juge, je te transmettrai leur rendu sur les malversations d'Orléans. Si elles s'entendent, je suis certains que leur talents respectifs réunis nous seront bénéfique.

Si elles s'entendent... à la bonne heure.

Les jours suivants la demande de gestion des embauches de Brett, je bataillais à la gestion administrative avec beaucoup d'agacement, contrarié d'être enfermé dans mon bureau. Le journaliste de terrain que j'étais rongeait son frein, et la seule chose qui me permettait de tenir en place était l'une des affaires sur laquelle j'avais de quoi me défouler. Le président d'une société de production de marchandises portuaires au Nord de la Nouvelle Orléans, dont le bilan se voulait plus opaque encore que la zone 51, venait de participer à une transaction. Et son fondement était terriblement suspect. En croisant les données officielles de l'entreprise au prorata des transactions réalisées... je n'étais pas loin de remonter un réseau de détournement frauduleux.

Je sortais du bureau bien après vingt-trois heures en semaine, tandis que sur mon temps officiel de repos, je me focalisais sur une affaire d'un autre type. Sensible et personnelle. Celle à qui je devrais mon plan de carrière... Je levais les yeux vers l'horloge mural pour constater que ce dimanche encore, j'avais largement délaissé l'heure du souper. Le regard sombre, j'éteignis mon ordinateur, récupérais mes dossiers et quittais le bureau pour retrouver mon loft. Comme chaque soir, les minutes se succédaient au rythme de mes recherches. Le cheminement toujours identique. Les mêmes hypothèses. Les mêmes doutes. Le manque cruel et factuel de preuves. Des pièces manquantes et trop nombreuses...

Houston Heights. J'étais de retour là-bas...Cet établissement où avait commencé mon enfer...

Je courrais, je transpirais, je les cherchais... j'étais en train de lutter, à contre courant alors que des foules de mouvements autour de moi, dans le chaos provoqué par la panique et la terreur générale, m'indiquaient la sortie. Je ne pouvais pas partir. Evan était encore là-bas. Et Kara aussi. Le temps paraissait infiniment long, se distordant et rejouant incessamment les mêmes notes d'une mélodie dramatique... Soudain j'étais de nouveau là où je ne voulais pas être. Dans ces toilettes.

Putain... pas ça...

En tremblant je repoussais la porte d'une des cabines, incapable de me détourner de la main ensanglantée qui se dévoilait sous mon regard bouffé par la terreur, alors qu'un visage s'y associait, me compressant les tripes et la cage thoracique.

Vivi...

Les prunelles englouties presque entièrement par le noir de ses iris, vitreuses, figées, me renvoyaient de plein fouet la mort violente qui l'avait fauchée. Mes larmes coulèrent alors que je me lassais tomber à genoux devant lui, terrassé en m'étranglant sur son surnom.

Vi...

Un gémissement de souffrance me parvint, à quelques mètres. Mon cœur cessa un instant de battre, alors que j'entendais mon prénom d'un voix aussi douce que terrifiée.

A... Alec...

L'instant d'après, j'étais dans la cabine la plus éloignée, en train de m'activer désespérément pour interrompre le flot de sang qui s'écoulait de son abdomen.

Fermes pas les yeux, la suppliais-je tout bas, regardes-moi, bébé, tu restes avec moi !

J'étendais ses excuses faibles, proférées à travers ses larmes alors que je l'astreignais à se calmer pour m'aider à stopper l'hémorragie.

On va sortir de là mia Kara, lèves les yeux, ne t'endors pas, sifflais-je. Tu vas garder ça sur ton ventre, tu compresses et tu dors pas...

Tout se déroula trop vite. Les yeux noisettes et empreints de peur de Kara. Les miens, qui retrouvaient ceux du tireur. Le canon fixé sur moi... Le son du coup de feu, qui se réverbéra violemment dans l'espace exigu. Le second coup, qui ne m'était pas destiné, alors que je tombais, les oreilles sifflantes.

Kara...

J'ai pas pu... j'ai rien plus faire pour... Le troisième, plus faible, alors que je sombrais...

Un séisme et bruit semblable à l'actionnement d'une disqueuse éclata dans mes tympans tandis que je me redressais en sursaut, les cheveux humides et les tempes dégoulinantes. Alerte, j'identifiais rapidement le son du réveil. J'étais sur mon canapé, encore chaussé, sur lequel j'avais du m'assoupir. Les fichiers encore épars sur la table basse jonchaient pour moitié le sol. J'émis un grognement avant d'attraper le réveil et l'envoyais rencontrer le mur le plus proche, interrompant la sonnerie dont le volume s'amplifiait au fil des secondes. De nouveau, le silence, que seule ma respiration saccadée se permettait de troubler. Je frottais mon visage, dans l'espoir de reprendre contact avec le présent, encore secoué par les ravages de mon passé. 13 ans, et les stigmates étaient toujours aussi vifs, la nuit venue.

Je saisis mon portable. 6h. Un message de Brett s'afficha, m'annonçant l'officielle arrivée des nouvelles recrues. Un râle sourd de mécontentement s'échappa de ma gorge, le seul que j'étais capable de produire. Ce début de semaine allait me prendre la tête, je le sentais.

Lorsque j'arrivais au parking, je jetais un coup d'œil au rétroviseur qui me renvoya l'image d'un trentenaire solide à l'air froid, impeccablement coiffé et rasé de près. Je sortis et verroullais la portière avant de me rendre à l'étage pour gagner mon bureau duquel je n'avais pas l'intention de sortir. Mon assistant avait voulu jouer les recruteurs lui-même, il allait assumer pleinement son rôle jusqu'au bout. Je claquais la porte avant qu'un bruissement léger dans mon dos ne m'interpelle. Je fis volte face, vivement, puis me détendis intérieurement avant d'hausser un sourcil. La petite stagiaire, dont la jupe se raccourcissait de jour en jour, en laissait encore davantage filtrer dans sa posture, assise sur mon bureau comme elle l'était. Elle décroisa les jambes et se redressa pour se diriger tranquillement vers moi, tandis qu'elle déboutonnait sa veste dans le même rythme lent.

— Vous semblez très occupé, monsieur Jones, et... j'avais pensé que vous aimeriez profiter d'un moment de détente, avant de reprendre votre travail, minauda-t-elle d'une voix sensuelle en lorgnant sur mon torse.

Une pause. Un défouloir... En effet, j'avais besoin d'évacuer la pression, et cette charmante Candice ou Candace se proposait au bon moment, en fin de compte. Et puisque la source de distraction venait d'elle-même...

— Peut-être seriez-vous enclin à... vous pencher plus profondément sur mon profil ? Dites-moi si...

Un sourire provocateur se dessina sur mes lèvres et je comblais le pas de distance qu'elle mettait trop de temps à franchir en desserrant ma cravate. Je ne vais absolument rien te dire, la brunette, je vais te montrer, et tu vas très bien comprendre la suite des événements...

À mon expression, elle déchiffra immédiatement mon intention et acheva de se débarrasser de sa veste, avant de tenter de faire de même avec son haut, mais je ne lui en laissais pas l'occasion. Pas le temps pour ça, miss météo, on va passer directement dans le vif du sujet. La saisissant par le poignet, je plaquais son corps contre le mien en la repoussant par la hanche jusqu'à la surface boisée sur laquelle je la hissais en me logeant entre ses cuisses qui s'ouvrirent avec enthousiasme. Ses yeux lorgnèrent un instant sur mes lèvres, mais je ne lui laissais pas le temps de les frôler. D'une main, j'empoignais ses cheveux avec peu de précautions pour suçoter son cou et glissais l'autre sous sa jupe. Un gémissement appréciateur quitta ses lèvres et elle se tortilla d'impatience sous mes caresses à peine retenues. Relâcher la pression...

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Bonjour tous le monde !!!
Un rédac-chef silencieux et sévère dont le train-train s'avère être un peu fatiguant, et un subordonné jovial au recrutement jusque-là biaisé.
Je suis pour l'instant en manque d'idées pour un titre plus adéquat, mais ça ne saurait tarder (j'accepte avec plaisir les suggestions :)
Je laisse pour l'instant émettre des hypothèses à votre imagination concernant le songe d'action du passé d'Alec, car il est plus probable que nous fassions la connaissance de Joyce au prochain chapitre...à très vite !

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