Chapitre 3 

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An 245 après Lancement


Les portes glissent dans un souffle, un léger tremblement les accompagnant. Ou peut-être est-ce simplement mon corps qui réagit à l’atmosphère pesante, imprégnée des murmures et des sanglots étouffés autour de moi. Tout semble se suspendre, comme si les secondes mêmes redoutaient l’apparition des Cavaliers.

Mon regard tente de percer la foule compacte. La curiosité l’emporte sur ma prudence. Je me hisse sur la pointe des pieds pour apercevoir ces soldats que l’on nomme protecteurs mais dont l’efficacité est sans cesse remise en cause. Toute ma vie, je n’ai entendu parler que de leurs échecs contre les Skell, les géants métalliques des Sole qui semblent indestructibles. Et si les rumeurs sont vraies ? Si cette guerre n’était qu’un prétexte pour contenir notre nombre ? Je secoue la tête, chassant cette pensée. Sulvan n’oserait pas. N’est-ce pas ?

Enfin, la première silhouette apparaît. Une femme. Grande, sombre, son exocombinaison cabossée et son casque rétracté lui confèrent une allure imposante. Sa peau brille sous les néons et ses cheveux coupés si courts qu’ils semblent inexistants renforcent la dureté de ses traits. C’est Amalia Amador. Je reconnais son nom et sa réputation de capitaine intraitable. Son regard perçant traverse la foule, et je suis certaine qu’elle nous juge, nous les curieux. Certains baissent immédiatement les yeux. Moi, je reste figée, hypnotisée par sa démarche conquérante. Même dans cet état, elle semble inébranlable.

Sulvan s’avance pour l’accueillir. Ils échangent des mots que je ne peux entendre, leurs visages sérieux, leurs gestes empreints d’une tension palpable. Pendant ce temps, le flot de Cavaliers s’intensifie.

Derrière elle, les Cavaliers arrivent par dizaines. Les premiers sont les plus chanceux : des pas lourds, des regards fatigués mais encore alertes. Certains traînent des camarades blessés, d’autres sont soutenus par des auxiliaires. Les équipes médicales se pressent pour évacuer les plus touchés, leur sang mêlé à cette étrange substance verte qui macule leurs armures. Une boue collante recouvre aussi leurs combinaisons, tout comme la poussière et les éclats de combats. Ce spectacle me serre l’estomac. Combien de Yuranese ont encore péri pour si peu de progrès ?

Les familles qui attendaient explosent en émotions. Certains fondent en larmes de soulagement en voyant leur proche. D’autres éclatent de désespoir, comprenant que leur héros ne reviendra pas. Le silence du hall est troublé par ces éclats, mais je reste en retrait, reconnaissante de ne connaître personne parmi eux.

Puis, je le remarque.

Il est là, dans la masse des Cavaliers. Grand, plus imposant que les autres. Son exocombinaison est presque intacte, une anomalie frappante au milieu de cette procession de blessures et de fatigue. Seulement des éclaboussures de ce liquide vert brillant marquent son armure, mais elle n’est ni cabossée ni déchirée. Et lui, il marche droit, fier, le menton légèrement levé, comme s’il défiait le poids des regards.

Mon attention se fixe sur son visage. Une mâchoire forte, des traits marqués par quelque chose de plus profond que la fatigue. Ses cheveux sombres et ébouriffés ajoutent un charme sauvage, indomptable. Mais ce sont ses yeux qui me captivent. Sous ses sourcils épais, leurs pupilles semblent différentes, asymétriques. Est-ce une illusion créée par les néons blafards ? Je plisse les yeux pour m’en assurer, mais je n’arrive pas à détacher mon regard de lui.

Il ne ressemble à aucun autre. Alors que beaucoup affichent des visages abattus ou résignés, lui semble intact. Ni blessé, ni vaincu. Mais pas invulnérable non plus. Il dégage une aura sombre, mystérieuse, comme une étoile sur le point de s’éteindre.

Et soudain, il tourne la tête vers moi.

Son regard s’accroche au mien, et je me fige. Un frisson parcourt mon dos, s’enroulant autour de ma colonne vertébrale pour se loger dans mon crâne. Mes joues s’enflamment, mon cœur bat si fort qu’il semble vouloir s’échapper de ma poitrine. Ses yeux sont perçants, presque hostiles. Voit-il vraiment moi au milieu de cette foule ? Ou est-ce mon imagination qui me joue des tours ?

Je n’attends pas la réponse. Je baisse rapidement la tête, fuyant ce regard qui semble avoir transpercé toutes mes pensées.

— On devrait bouger, murmure Oliver à mes côtés. Je sens son soupir de soulagement. Il a vu cet homme, et comme tous les autres, il semble rassuré. Pas de nouvelle à annoncer aujourd’hui.

Mary se tient à mes côtés, pâle, nauséeuse. Elle demande qu’on parte. Je hoche la tête, incapable de parler, encore prisonnière de cette rencontre silencieuse. Oliver propose d’aller au café de 2C8, notre repaire habituel. L’idée m’arrache un faible sourire. J’ai besoin de m’éloigner de cette scène, trop lourde d’émotions.

Mais alors que nous quittons la zone, je me retourne une dernière fois. Je cherche des yeux ce soldat, cet homme différent. Mais il a disparu, avalé par les portes métalliques qui se referment.

— Viens, murmure Oliver en serrant ma main. Une capsule arrive.

Je monte avec eux, mais une question brûle encore dans mon esprit. Qui est-il ? Pourquoi ne ressemble-t-il pas aux autres ?

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