Ayenn, l’Eternelle, était partout et tout le temps. Sa conscience créa l’Univers et l’étendit sans que rien ne vienne l’arrêter.

 Puis arriva Trihiou le Rien, le Néant, qui ne se trouvait nulle part. Grâce à lui, l’Univers trouva une limite et cessa de grandir. Pendant un temps qui n’existait pas encore, la rencontre du Tout et du Rien structura et stabilisa cette existence nouvellement née. Des soleils naquirent et moururent, des roches se percutèrent, explosèrent, se déchirèrent pour se reformer à nouveau. Tout ce qui ne fonctionnait pas s’agglomérait dans d’immenses tourbillons noirs qui avalaient goulument les imperfections de l’Univers.

 Les deux entités construisaient ensemble sans avoir connaissance de l’existence de l’autre. Mais un jour, Trihiou, depuis son royaume rempli de vide, aperçut Ayenn qui se promenait entre les soleils. Il fut bouleversé par sa beauté, par sa présence et par tous les petits détails qui la composaient. Il se créa un cœur, pour ressentir l’émotion qu’elle lui inspirait, et un corps pour l’exprimer. Trihiou, Dieu de la Terre devint la première planète.

 Il regardait avec adoration Ayenn qui déambulait dans l’Univers, mais qui ne le voyait jamais : elle était trop loin, il était trop insignifiant. Alors il se lamenta et pleura. Ses larmes formèrent des torrents et des océans qui coulèrent dans l’Univers.

 Ces trombes d'eau, sorties de Rien, attirèrent enfin l'attention d'Ayenn. Elle observa avec attention, toucha, goûta. Sa main passa à travers le ruban de larmes, et la Déesse poussa un cri de surprise : elle n’avait construit que des choses pleines et solides, sans envisager qu’on puisse créer quoi que ce soit de liquide. Elle passa sa langue sur ses doigts mouillés. C’était salé, et ça avait le goût de la solitude.

 Ayenn chercha qui avait créé cela, mais ne trouva personne. Elle soupira. De la mélancolie de son souffle, apparut alors Ephisée, la Troisième, Déesse du vent, celle qui transmet les messages et permet à la vie de se répandre. Ephisée comprit aussitôt qu’Ayenn ne pourrait trouver Trihiou par elle-même et partit à sa recherche. Elle représentait le désir ardent des deux Dieux de ne plus être seuls, aussi, le trouva-t-elle sans peine.

 La Déesse du vent rapporta à l’Eternelle le message d’amour passionné de la nouvelle planète. Chacun de ses allers-retours entre les deux amants fit apparaître de nouvelles merveilles dans l’Univers. Finalement, Ayenn rejoignit Trihiou, s’accrocha à lui et l’enveloppa tout entier. Il était la Terre, elle devint le Ciel. Ils eurent leurs premiers enfants, les magnifiques Jumeaux, Héres, le dieu de la Guerre et Tamaï le dieu de l’amour.

 Ephisée récupéra les océans que Trihiou avait pleuré et les disposa sur Terre. Il y en avait tant que notre planète fut intégralement recouverte d’eau. Cela ne plaisait pas à Trihiou, qui fabriqua une foultitude d’archipels et les dispersa sur les mers. Ephisée y fit pousser la végétation.

 Le cœur d’Ayenn, ardent et passionné, fit naître le soleil. Chaque jour, Trihiou conservait un peu de sa lumière, et, à la tombée de la nuit, lorsque sa bien-aimée s'endormait, la restituait en l'éparpillant dans le ciel ; il tapissa l’univers d’étoiles.

 Les Trois eurent de nombreux enfants après Héres et Tamaï. Les jumeaux étaient d’une beauté à couper le souffle. Ils avaient la peau et les cheveux dorés, le corps parfaitement dessiné, et se complétaient à merveille. Héres naquit avec les yeux verts et Tamaï avec les yeux marrons. Cette différence les affecta tant qu’ils décidèrent de s’échanger chacun un œil. Encore aujourd’hui, les enfants naissant avec les yeux vairons sont considérés comme bénis par l’un des deux frères. Le plus dur étant de savoir par lequel…

 Après les Jumeaux, Ephisée et Ayenn mirent au monde Watagwé, la puissante déesse des océans. Sa peau, aussi noire que les profondeurs, présentait des reflets bleus. Ses mains étaient palmées et lui permettaient de se déplacer avec aisance dans les mers tumultueuses. Ses cheveux noirs tombaient en cascade sauvage autour de ses épaules et elle parait son corps voluptueux d’une robe de mer et d’écume.

 Jalousant la beauté de l’enfant mis au monde par Ayenn et Ephisée, Trihiou donna naissance par lui-même à Tohil, un être changeant, ni vraiment homme ni vraiment femme. Tohil sortit d’un volcan en éruption et régnait sur le feu. Les autres dieux se méfiaient de lui. Il était insaisissable, inconstant, et très solitaire. Personne ne le comprenait ni ne cherchait sa compagnie excepté son père. Ayenn, l’Eternelle, la Sage s’inquiéta de cet étrange dieu. Elle l’observa attentivement et vit en lui tant de choses qui avait fait souffrir son cher Trihiou : la solitude, la peur, la violence, la folie. Tohil semblait avoir la force de les maîtriser, alors elle accepta qu’il vive. Mais elle garda un œil sur lui.

 Enfin, les Trois conçurent ensemble leur cinquième enfant : Totchine, dieu de l’ivresse, et créateur de la multitude d’alcools existants. Un dieu redoutable.

 Ces huit dieux immortels peuplèrent les îles d’animaux, et d’humains.

 Pour célébrer leur succès, Ephisée prit un peu de Tout, un peu de Rien, et les regroupa pour former une île, plus grande et plus belle que toutes les autres. Elle la posa au milieu d’un océan calme et paisible. Puis elle embrassa le sol et sous son baiser naquit Alixendro Dres Vrienne, le premier Empereur. Elle le dota de toutes les qualités les plus précieuses, d’une chevelure aussi flamboyante que la sienne, et le bénit d’une vie longue et prospère. Satisfaite, elle offrit son cadeau à Ayenn et Trihiou qui peuplèrent eux-mêmes ce nouvel Empire.