Chapitre -24 La Reine des voleurs

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Un courant d'air froid glissa sur une silhouette encore endormie. Les cheveux ondulés glissèrent sur le visage apaisé de la petite fille qui se reposait. Ses yeux remuèrent derrière ses paupières, puis s'entrouvrirent pour apercevoir l'étrange et omniprésente luminosité qui régnait ici, puis se refermèrent. Elle sentit une différence dans l'air, moins vicié que le jour précédent. Une légère odeur de pâtisseries flottait dans l'air, doucement, lentement, agréablement, laissant en son sillage une odeur sucrée. La silhouette remua, puis glissa, tombant hors de l'abri. Élise sentit quelque chose de froid et dur. Le sol, toujours aussi rugueux. Elle ouvrit entièrement les yeux, pas encore tout à fait réveillée. Elle observa les alentours, elle était allongée, la tête hors de sa maison. Enfin maison, plutôt un abri, en utilisant un terme gratifiant. Il s'agissait en fait d'une armoire. Posé sur la tranche, en équilibre précaire, le meuble ne possédait plus qu'une porte, pendante. Le meuble était loin d'être étanche à l'air, comme à l'eau, et avait été rafistolé avec ce que la jeune fille avait trouvé. Des morceaux de tissus, de bois, ou d'autres choses. Élise s'étira, sa couverture glissant sur le sol. Elle ne voulait pas se réveiller, ni se lever, mais il le fallait bien. Se mettant adroitement sur pieds, elle se frotta les yeux avec sa main droite, et avec la seconde, ramassa le tissu précédemment étendu sur elle. Elle leva les yeux. Le ciel gardait son habituelle couleur violette, légèrement moins sombre que la veille. Pas un nuage en vue, cependant, cela pouvait changer, vu le vent froid qui traversait les ruelles sombres de la ville en train de se réveiller. Les habitations alentour étaient bâties en pierre ou en torchis, même s'il y en avait moins construites dans ce mélange. Un mouvement attira l'attention de la jeune fille : un insecte, elle avait entendu dire que cela s'appelait un sprol, une espèce de scarabée recouvert d'une fourrure répugnante. Ces bestioles étaient pour les mal lotis ce que l'argent était aux riches, une routine, une possession, une malédiction. Toujours dans les endroits les plus mal famés ou ils n'étaient pas chassés, ces bêtes, qui pouvaient atteindre la taille d'un gros chat, voire plus, étaient omniprésentes ici. Dans les bas quartiers de la ville de l'Ouest, Westia. Cette ville était indéniablement un fléau. Ici, n'importe qui, n'importe quand, pouvait tomber dans la déchéance, peu importe sa classe sociale, son argent, son importance où encore son métier. Maladies, misère, injustices, pourtant, personne ne partait, les riches voulant profiter de ceux qui ne pouvaient pas partir.

Plus jeune, Élise vivait dans une famille humble, mais, profitant du peu d'argent que ses parents gagnaient, la jeune fille vivait heureuse, les aidant, s'amusant, rigolant même parfois. Cependant, le destin cruel de cette cité n'avait pas manqué de produire l'irréparable, ses parents furent emportés par une épidémie, et depuis, elle avait tout perdu. Sans famille, logement, ni moyen de subsister, elle avait fini par errer dans les rues et tomber dans la délinquance, vivant de petits larcins ici et là. Situation difficile pour une gamine qui avait seulement huit ans, à l'époque, mais qui, grâce à la bienveillance de certains autres misérables, a réussi à persister, et à atteindre, enfin, l'âge des dix ans. Et elle avait prévu d'enfin trouver une voie pour escalader l'échelle sociale à nouveau...

Un légers sourire apparu sur le visage enfantin de la jeune fille. Aujourd'hui était le grand jour. Le marché de Westia ne prenait place que tous les vingt et un jours, si on peut appeler ça ainsi, avec juste un imperceptible écart de luminosité entre la nuit et le jour. Toutes les personnes de milieux huppés allaient au marché pour faire leurs petites emplettes, offrant ainsi d'excellentes occasions aux vides goussets telles que la jeune voleuse. De plus, si elle ne se trompait pas, elle avait entendu parler d'une personne très importante en voyage qui devait passer par la ville délabrée. Ce qui promettait un bon butin en somme.

La jeune fille escalada son abri avec une agilité déconcertante, pour ensuite gravir la façade du bâtiment contre lequel était posé ce dernier. La majorité des toits de la ville était plats, parfois recouverts de terrasses. Une fois ses deux pieds posés sur l'une d'elles, la jeune fille vérifia une dernière fois ses affaires. Elle avait bien le collier de mariage de sa mère accroché autour du cou, à moitié dissimulé par la tunique en loque bien trop grande qu'elle portait, cachant en partie un pantalon raccourci, aussi sale que le haut. Son sac, placé en bandoulière, était à moitié caché par le tissu, qui en plus de lui servir de couverture, faisait office de cape. Dans la sacoche, une vieille outre remplie d'eau, une vieille bourse en cuir vide, un couteau de cuisine, qui servait également d'arme d'appoint pour la jeune fille, et enfin, une photo encadrée d'elle avec ses parents. Le cadre était brisé, mais elle n'en avait que faire. Contente d'avoir mené à bien sa tâche, et heureuse qu'il ne lui manque rien, la jeune fille se mit à progresser lentement de maison en maison, de rue en rue. Elle se dirigeait vers la place du marché. En dessous, les habitants commençaient à sortir de leurs logis, pour aller travailler, ou pour profiter du marché avant qu'il n'y ait trop de monde. Élise pressa le pas. Cette heure signifiait une seule chose: les toits seraient bientôt moins sûrs, vu que certaines habitations possédaient une terrasse en guise de toit. Elle ne souhaitait pas que quiconque s'aperçoive de sa présence. Une gamine mal habillée ici, les gens penseraient directement à une voleuse, et appelleraient la garde en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Elle arriva enfin au bord de la place, sur un restaurant dont la forme lui permettait d'observer les lieux sans être vue. Elle avait bien vite appris, à ses dépens qu'elle se voyait de loin. Non pas à cause de sa taille ou de ses mauvais vêtements, mais de ses cheveux. Bien que la jeune fille les garde courts pour éviter les maladies, cela ne changeait rien à leur couleur. Et s'il faut éviter d'en porter une, dans ces rues aux teintes mornes de Westia, c'est le blanc.

Les parents de la jeune fille lui avaient dit que ses cheveux blancs ondulés étaient un signe de chance, de bonheur, et de pureté. Elle y croyait avant. Mais maintenant... la chance l'avait quittée en même temps que ses parents, suivie par le bonheur, quant à la pureté... Élise était une voleuse, et c'était sans aucun doute l'un des métiers les moins méritants qui existent. En l'occurrence, ce "don" avait pour désavantage de faire en sorte que la fillette soit repérable de loin. Comme si elle n'avait pas déjà assez de problèmes comme ça. En effet, les personnes malhonnêtes et visibles ne pouvaient pas subsister bien longtemps. Westia était une ville terne. Tout était terne. Les sols étaient grisâtres, et les maisons, en torchis ou en pierre, n'arboraient jamais de couleurs vives. Les seules choses qui possédaient ne serait-ce qu'une once d'éclat étaient la monnaie, et les quelques outils, dont la couleur du fer laissait quelques reflets apparaître. En parlant d'éclat de lumière, Élise venait d'apercevoir un reflet violet, près d'une échoppe. Elle pouvait y voir une dame dans une horrible veste rosâtre, en cuir animal. C'était donc quelqu'un d'affreusement riche, les produits provenant de certaines créatures étant très coûteux, et la majorité des bêtes dotées de ce cuir étant des abominations sans nom, hautes comme facilement plusieurs hommes, parfois plus. Lorsque l'une d'elles arrivait en ville, il y avait souvent des blessés, ou des morts. La jeune fille sourit. Son expression n'avait plus rien d'enfantin, mais devenait presque terrifiante, tel un prédateur ayant trouvé une proie. Elle se laissa glisser lentement, mais discrètement de son poste d'observation. Posant pieds sur la place, la fillette se mit à se déplacer rapidement, sans toucher une seule personne. Elle était très habile, savait se faufiler. Elle était vraiment la plus...

-Ouch ! Qu'est-ce que ? Beurk ! Une crève-la-fin !

Élise était rentrée en plein dans sa cible, tombée en arrière sous le choc, la jeune fille leva les yeux vers la femme toujours debout, due à sa forte corpulence. Des larmes commencèrent à couler des yeux de la fillette.

-Pardon madaaame. J'aii pas fait exprèèèèèès.

La voleuse les larmes aux yeux se remit sur pieds, tout en continuant de pleurer.

-Pfffff, ces sales pauvres... Aller, dégage, je suis dans un bon jour.

La fillette leva les yeux pleins de larmes vers la dame, les yeux implorants.

-Non ! Je ne te donnerais pas à manger ! Allez ! Dégage ou j'appelle la garde.

La jeune fille, continuant de pleurer, s'éloigna dans la foule, la queue entre les jambes, toute triste de ne pas avoir pu obtenir un peu de nourriture de la part de la bourgeoise.

La petite silhouette s'éloigna de la place du marché, toujours les larmes aux yeux, disparaissant dans les ruelles mal famées de Westia, toujours aussi sombres et ternes. Elle s'essuya les yeux d'un revers de bras. Toute penaude, elle jeta un rapide coup d'œil derrière elle, s'assurant de ne pas avoir été suivie. Puis, son air triste disparut subitement, remplacé par un visage triomphant. Sautillant d'un pied sur l'autre avec un sourire comblé, la jeune fille contempla la bourse et le bracelet qu'elle avait rapidement subtilisés à la « grosse dame ». Affichant un air satisfait, la voleuse, continua de progresser dans les ruelles, d'une démarche bondissante.

La partie la plus au sud de la ville représentait les bas-quartiers de Westia, mais étonnamment, c'était également là qu'il y avait le plus d'entraide. Les habitants les plus riches n'avaient pas besoin de l'aide d'autrui. Ils possédaient assez d'argent pour ne jamais s'en inquiéter. Cependant, comme quiconque le sait, la ville de l'ouest est loin d'être la terre promise, à part pour la misère. Ainsi, au centre de la ville résidaient ceux qui en avaient les moyens, et réciproquement, les plus démunis vivaient en marge de la ville, souvent pris pour cible par les animaux sauvages qui attaquaient parfois la cité. Et vu que les personnes résidant en périphérie ne pouvaient pas tomber plus bas, une légère entraide était apparue dans cette partie de l'amoncellement d'habitations. Cela ne veut pas dire pour autant que c'était le paradis, loin de là. Au contraire, les personnes les mieux loties formaient parfois des groupes pour s'en prendre aux plus faibles. Mais cette partie-là de Westia abritait tellement de pauvres que ces groupes n'osaient que rarement y aller en ennemi. Et c'était là, entre les maisons bancales, les habitations de fortune, que se dressait fièrement un bâtiment non pas de pierre mais de briques rouges, détonnant dans ce paysage.

Là se trouvait la boutique de Klarion, qui vendait un peu de tous à des prix bien inférieurs à ceux du marché. La qualité y était relativement bonne, fait expliqué par les terrasses et le toit aménagé en potager qui surplombaient la maison. Cela permettait au tenancier de posséder des produits frais et relativement sains. Le marchand était en train de nettoyer son comptoir à l'aide d'un morceau de cuir usé par le temps, lorsque la porte s'ouvrit, heurtant un carillon en bois de sureau. Ses notes légères sonnant dans la pièce, alors que se profilait la petite silhouette d'Élise. Cette dernière s'approcha directement du comptoir sous les yeux du gérant, et ouvrit la bouche pour commencer à parler :

-Bien le bonjour, comment va ma gamine préférée ?

Klarion l'avait précédée, comme toujours. Une expression boudeuse passa rapidement sur le visage de la jeune fille, puis disparut à la même vitesse qu'elle était arrivée.

  -Salut Klarion, et toi comment ça va ?

Le marchand pesta intérieurement. Comme d'habitude, elle avait trouvé une façon de ne pas lui répondre, s'intéressant davantage à lui, mais pas que. Le tenancier avait appris à la fillette à toujours avoir le dernier mot, en forçant la personne en face à parler plus. Laissant là les idées qui lui venaient en tête, il répondit :

-Je vais bien, merci. Que me vaut ta présence ? Rien de grave ne s'est passé j'espère, le p'tit Serit m'a dit que vous vous étiez fait surprendre, il y a quelques heures.

Élise afficha une réaction surprise, le tenancier était donc déjà au courant qu'elle avait accompagné un autre voleur dans un cambriolage, peu de temps auparavant. Le coup n'avait pas bien tourné, mais les deux malfrats avaient réussi à s'enfuir avant l'arrivée de la garde. Contrairement à son complice, la jeune fille était ensuite partie se coucher afin de pouvoir profiter du marché au maximum.

Elle leva les yeux afin de croiser le regard orange de Klarion. Il la fixait, et semblait avoir peur qu'il lui soit arrivé quelque chose. Malgré le fait qu'il mesure plus de deux mètre cinquante et qu'il pouvait faire apparaître des flammèches du bout de ses longs doigts, le tenancier restait prévenant envers Élise. Ils s'étaient rencontrés totalement par hasard, quand il l'avait surprise en train de dévaliser son jardin. Amaigrie et fatiguée, elle n'avait pu s'enfuir, et le marchand avait choisi de la recueillir et la soigner. Bien qu'elle en soit très reconnaissante, la jeune fille avait voulu payer sa dette en travaillant pour lui, puis avait disparu, afin de ne pas vivre aux crochets d'un autre. Elle revenait de temps en temps faire des courses, ou encore aider Klarion quand il en avait le plus besoin, afin de gérer son magasin. Ainsi, la jeune fille s'était liée d'amitié avec la créature sombre qui se tenait là, en face d'elle.

-Non non, ne t'en fais pas, je m'en suis bien sortie. Et aujourd'hui, je suis venue pour affaires. Rachèterais-tu ce bracelet ?

Elle déposa sur le comptoir le bijou qu'elle avait subtilisé à la bourgeoise un peu avant. La créature approcha l'un de ses deux longs bras, leur couleur rouge presque noire contrastant avec le bijou sur le comptoir ainsi que les marques oranges réparties sur tout son corps. Le tenancier saisit avec précaution le bijou à l'aide de ses longs doigts aux extrémités acérées. Il analysa d'un œil expert l'objet, estimant sa valeur, le prix de revente, et d'autres détails dont seuls les marchands se préoccupaient. Finalement, il exprima son opinion :

-J'estime le prix de ce bracelet à 200 motes, et même si je doute pouvoir le revendre à ce prix, je t'en propose cent quarante. Cela te conviendrait-il ?

Élise réfléchit rapidement, elle n'avait pas deviné que le prix serait si élevé. Le prix d'un repas relativement conséquent était de quelques motes. En outre, avec la bourse dérobée, elle arrivait bien à une valeur totale d'environ 300. Elle hésita cependant un court instant à négocier le prix, puis, se souvenant de sa dette envers le marchand, finit par accepter.

-Sinon, je suis aussi venue faire mes courses, je souhaiterai trois mesures de bruyère atténuée, et faire usage de ton four afin de faire quelques pains, histoire d'avoir de quoi manger. Cela me fera combien ? Ah oui, et aussi, aurais tu des pommes ? Cela fait longtemps que je n'en ai plus goûté.

Klarion se tourna, puis prit dans une étagère un grand bocal qu'il déposa sur le comptoir. Il prit le pot qu'Élise avait posé sur le comptoir, et commença à la remplir, tout en le soupesant de temps à autres. Il revissa les couvercles sur les récipients, et, tendant son dû à la jeune fille, il déclara :

-Cela te fera quinzes motes pour les épines de bruyères. Pour le four, tu as de la chance, je l'utilise demain, cela ne te coûtera donc rien.

Il hésita à continuer. Il prit une inspiration, puis repris la parole.

-Cependant, je suis vraiment désolé, Élise, mais je n'ai pas de pommes. Cela fait depuis longtemps que je n'en ai pas aperçu, je doute de pouvoir en trouver ailleurs qu'à la capitale, à part peut-être dans les bois d'Argofrid. Mais les deux sont tellement éloignés que je ne pense pas y aller. Je doute même de pouvoir un jour visiter Pas-Pontcharra.

La jeune fille releva la tête à la mention du nom de la plus grande ville existante, la capitale, Pas-Pontcharra. Éloignée de Westia, les conditions de vie y étaient décrites comme meilleures. Le bruit courrait que, depuis la révolution d'il y a quatorze ans, la ville n'avait cessé de se développer. On entendait parfois murmurer que tout avait commencé quand un homme étrange y était arrivé, et qu'il avait fait changer drastiquement toutes les règles qui existaient jusqu'alors. La fillette se rappelait encore entendre ses parents dire « Ah, c'est grâce à ce grand homme que tout va si bien aujourd'hui ». Cependant, cette personne n'avait rien fait du tout pour aider le peuple lorsque l'épidémie s'était répandue. Tout cela n'était pour la jeune fille que poudre aux yeux.

Elle souhaita à son ami une bonne journée, lui promettant de repasser plus tard. Et elle reprit la route du centre-ville, traversant discrètement les fines allées, avec une meilleure capacité de déplacement que plus tôt. En effet, elle avait laissé ses affaires au magasin afin de pouvoir faire preuve de plus d'habilité et de discrétion. Ainsi, elle retourna vers le lieu du larcin, à la place du marché, laissant sa main glisser sur les murs rugueux, seuls témoins de son passage. Chantonnant un air joyeux, elle ressemblait à une petite fille angélique se promenant dans les enfers, la clarté de ses cheveux jurant avec la saleté et les couleurs moroses de la majestueuse ville misérable.

Reprenant place à son habituel poste d'observation, la fillette observait d'un œil attentif la place du marché, à l'écoute de l'agitation juste en dessous d'elle. Posée dans la position la plus confortable qu'elle avait pu trouver, elle surveillait le déplacement de la patrouille circulant entre les échoppes et les diverses personnes se promenant sur le sol de terre sombre. Plus loin au Nord-Ouest, le tonnerre grondait, menaçant. Un léger mouvement rapide attira soudain l'attention de la voleuse. Tellement discret qu'elle perdit de vue la personne en étant à l'origine. Elle plissa ses yeux d'un bleu glace, cherchant à retrouver où était passée cette silhouette. Elle ne s'était pas trompée, une bourse avait soudainement disparue de la ceinture de l'un des marchands, dans un mouvement de foule. Cependant, elle n'était pas la seule à l'avoir remarqué : la patrouille se déplaçait en direction de l'exposant qui, s'étant rendu compte de ce qui lui était arrivé, criait au voleur. La fillette hésita à descendre de son perchoir, elle ne savait pas si elle devait agir ou pas. Elle eut soudain la confirmation que le vol qui avait eu lieu avait été commis par un amateur, en entendant un garde déclarer :

-Je te tiens, sale voleur ! Alors comme ça, on dévalise les honnêtes gens, hein ? Tu sais où tu vas aller ? Hein ?

La jeune fille, depuis son poste d'observation surveillait la scène, cherchant une occasion pour agir. Le garde tenait un enfant par le bras. Le voleur n'avait pas l'air d'habiter Westia, ses vêtements possédant une teinte vert kaki, alors que les habitants portaient plutôt des habits au teintes grisâtres. Terrorisé, le gamin semblait balbutier des excuses à un rythme effréné. Ces mots semblaient n'avoir aucun impact sur le garde, portant une armure imposante. La jeune fille se demanda comment un lourdaud tel que lui avait réussi à attraper un voleur aussi petit et rapide. Elle descendit avec toujours son habitude, quoi qu'avec une certaine peur dans le ventre. Elle ne pouvait pas laisser un collègue inexpérimenté se faire avoir dès son premier coup, elle avait un peu trop pitié des bleus. Un jour cela lui apporterai des ennuis. Mais tant pis. Elle se faufila rapidement dans la foule.

-M'sieur, s'il vous plait, laissez-moi partir !!

-Ah ah, ils ont tous la même audace. Et tu crois que tu vas pouvoir t'en tirer si facilement ? Oh que non ! Tu vas devoir payer ta dette !

-Oui m'sieur, mais j'ai tout rendu m'sieur !!

-Non ! Il te reste ta dette envers la société pour être devenu un sale vaurien. Comment comptes-tu la payer ?

Le garde fit silence. Il s'agissait simplement d'une question rhétorique. Il n'attendait aucune réponse bien sûr. Un gamin qui vole n'a forcément aucun moyen de trouver une échappatoire.

-T'en fais pas gamin ! J'ai une solution pour toi !

Le garde avait repris, l'air triomphant :

-Nous allons t'envoyer travailler, peut être aux glaciers ou aux terres déchues. Là tu pourras servir comme mineur ou ouvrier !

Plusieurs personnes dans la foule eurent un hoquet d'effroi. Il ne s'agissait de ni plus ni moins que de l'esclavagisme. Et les endroits où l'on avait le plus besoin de main d'œuvre étaient les Glaciers endormis, l'endroit le plus froid existant au monde, où reposait nombre de minerais précieux. Il y avait donc beaucoup à gagner pour les exploitants mais le métier de mineur demeurait dangereux. Une rumeur disait que l'espérance de vie d'un mineur là-bas n'était que de quelques jours, tout au plus quelques semaines. Le marchand qui s'était précédemment fait voler intervint :

-Monsieur le garde, je pardonne à cet enfant, ne l'envoyez pas là-bas, s'il vous plaît !

Une partie de la patrouille ricanait, tous portant un air triomphant à leurs lèvres. Leur capitaine, tenant toujours l'enfant par le bras, fit un mouvement violent, envoyant le voleur à terre.

-Mais regardez ça, ce n'est qu'un misérable, comment osez-vous dire que c'est un enfant ! Nos enfants ne sont pas des monstres comme ceci !

Il regarda la petite silhouette qui essayait de se relever, toujours au sol. Puis il reprit :

-Dans tous les cas, c'est nous qui décidons quand il y a crime ou non ! C'est les monstres comme celui-là qui ont apporté l'épidémie par ici, ils doivent tous...Arrgh

Le capitaine de la patrouille mit un genou à terre, sous le regard étonné de ses subalternes. Il se tordait de douleur. Un flot de sang coulait dans son dos, venant de l'interstice de son armure. Plus étonnant, il n'y avait personne à l'endroit d'où semblait être parti le coup. Les gardes, s'approchèrent tous de leur chef, qui gémissait, tout en se tordant de douleur.

Le voleur essaya de profiter de l'occasion pour se relever, sans y arriver, encore sous le choc de sa chute provoquée. Soudain, il perçut un mouvement. Levant les yeux, il put distinguer une petite silhouette, quoi que légèrement plus grande que lui. Une jeune fille qui semblait le toiser de ses yeux bleus desquels semblaient venir une pointe de mépris. La personne en face de lui portait des haillons, avait d'étrange cheveux blancs, et à sa main se trouvait un couteau à la lame ensanglantée. Il aperçut soudain qu'elle avait une main tendue vers lui, comme si elle voulait l'aider à se relever. Il hésita. Avec ce temps d'attente, la fillette sembla s'impatienter.

-Bon, dis-moi si je te laisse là avec ces abrutis de gardes, mais cela me dérangerait que j'aie risqué ma peau pour que tu te refasses choper.

Le voleur accepta enfin la main qui lui était tendue, et se remit sur ses pieds. Il se sentit tiré vers un bord de la place.

-Tu sais te déplacer sur les toits ?

Il fut surpris par cette question, aussi soudaine qu'incongrue. Avec hésitation, il répondit :

-Euh... Je pense que oui...

Sa bienfaitrice leva les yeux au ciel, apparemment énervée.

-Ok... Vu comme tu parais sûr de toi, on va passer dans les rues. Mais il faudra courir. Surtout ne me perds pas de vue, ou tu te feras rattraper par ces crétins.

Elle finit sa phrase en pointant les quelques gardes qui étaient en train de les rejoindre en courant, malgré le poids de leur équipement. Le voleur acquiesça d'un brusque mouvement de tête. Il sentit la main de la fillette lâcher la sienne. Cette dernière commença à s'éloigner rapidement, bifurquant une première fois. Comprenant qu'elle allait dans une planque où ils pourraient échapper au gardes, il la suivit, se mettant à courir. Derrière, il entendait les cris des soldats qui essayaient de les rejoindre. Il pressa encore le pas, faisant de son mieux pour rattraper la jeune fille. Traversant les rues sombres, sautant sur des terrasses, évitant des habitants tout à faits normaux, tout en descendant progressivement vers le Sud de la ville. Un instant il se demanda si c'était une bonne idée de suivre cette fille. Le voleur savait qu'il devait tout faire pour éviter les bas quartiers de Westia. Cependant, il décida de faire confiance à la personne qui l'avait sauvé. Peu après, il se rendit enfin compte de l'erreur qu'il avait faite. Ils avaient débouché dans une espèce de bidonville où des silhouettes de personnes peu avenantes étaient visibles, certaines les observant, d'autres, épuisées, allongées par terre. Les rues dans lesquelles ils étaient arrivés étaient jonchées de débris, de rejets humains, ou encore de cadavres de sprols, qui semblaient avoir été à moitié dévorés. Et c'est là qu'il vit apparaître un bâtiment qui semblait n'avoir rien à faire ici. Au milieu de tous ces immondices se dressait un bâtiment en briques rouges doté de nombreuses terrasses. Il vit soudain la jeune fille s'arrêter. Sa sauveuse se laissa tomber au sol, il s'approcha pour voir si elle allait bien, puis il la vit faire un grand sourire avant qu'elle n'explose de rire.

Élise riait aux larmes. Qu'est-ce qu'ils lui avaient mis à cette patrouille ! Elle repensa rapidement au garde qui avait trébuché juste à l'entrée des bas quartiers et qui avait fini la tête dans l'infâme bourbier présent à cet endroit. La tête qu'il avait après ça ! Avec des morceaux dégoulinants sur son casque ! Elle repensa encore à la réaction qu'avait eu le reste de la garde quand ils s'étaient rendus comptes de là où ils étaient, de qui les observait, se rapprochant dangereusement, et elle imagina ce qui avait dû leur arriver. Elle continuait de rire lorsqu'elle remarqua que son acolyte la regardait, un air ahuri sur le visage. Le voleur la redoutait, mais elle ne semblait pas si horrible en fin de compte, elle s'était sûrement montrée froide afin d'éviter que la patrouille les rattrape. Un sourire se dessina sur ses lèvres. La voleuse choisit ce moment pour reprendre contenance :

-Eh bien, t'a eu sacrément chaud dis donc ! Heureusement que je passais par là, sinon t'aurais été dans un sacré pétrin !

-Euh... Merci beaucoup !!!!

La voleuse prit enfin le temps de détailler la personne se tenant en face d'elle. Elle l'observait, l'air inquisiteur. La personne en face d'elle avait les cheveux ébouriffés, bien que son visage soit encadré par deux courtes tresses. Possédant des yeux d'un vert pétant, parfaitement accordé à ses vêtements, elle semblait posséder les muscles d'une personne habituée au travaux physiques. Élise n'arrivait cependant pas à déterminer quelque chose. Elle hésita, puis se décida enfin à demander :

-Euh... Tu es une fille ou un garçon ?

Son interlocuteur sembla étonné par cette question, il répondit cependant assez rapidement :

-Moi ? Un garçon ! Je m'appelle Shein ! Enchanté !

La fillette leva un sourcil, semblant ne pas avoir compris.

-Euh... Chaîne ?

Le garçon répondit du tac au tac :

-Non, Shein, S-H-E-I-N.

-Bah oui, chaîne.

-Non, ça se prononce CHE – INE.

La voleuse dut s'y reprendre à plusieurs reprises pour enfin y arriver :

-Shein, donc. Qu'est tu venu faire à Westia ? T'as pas l'air d'habiter ici depuis longtemps.

Le garçon réfléchit, un peu surpris qu'elle ait directement compris qu'il ne venait pas d'ici. Il se décida finalement :

-Je vient du Lagon Obscur, au Sud-Ouest de cette ville.

Élise leva un sourcil :

-Et si tu viens d'un autre endroit je sais pas où, pourquoi tu es venu ici ? Tu es venu nous provoquer ? Nous les misérables ? Ou bien tu es un espion des gardes ?

La voleuse cracha par terre, aux pieds de son camarade, interloqué par ce changement d'humeur si brusque. Étonné, ce dernier fit un pas en arrière, ne trouvant pas les mots capables de réfuter les accusations de la jeune fille. Elle reprit la parole :

-Allez, réponds, tu viens faire quoi ici ?

Un instant passa, puis elle reprit :

-Au pire, tant pis, je me fous royalement de ce qui pourrait se passer. Dès ce soir, je partirai de cette ville, et bon débarras !

Elle fit volte face et s'éloigna, repartant en direction de la place, pour, pensait Shein, essayer de gagner un peu d'argent.

Shein la regarda s'éloigner, sans savoir comment réagir. Il savait qu'il aurait dû parler, au moins pour la remercier de l'avoir aidé. Pensif, il se prépara à repartir quand il entendit une voix.

-Ne lui en veut pas d'être si brusque. Elle pense juste qu'aucune personne saine d'esprit ne viendrait ici, mais elle est gentille comme tout.

Klarion, à sa fenêtre, avait écouté tout l'échange depuis le début. Et il avait décidé d'agir, afin de ne pas laisser le garçon déboussolé. Cependant, il était lui même perplexe. Élise avait parlé de quitter la ville. Il s'inquiétait. Bien qu'elle soit débrouillarde comme personne, elle restait une petite fille encore inexpérimentée. Lui même savait que quelqu'un ne connaissant pas ces terres, ou n'ayant payé personne pour l'escorter, ne pouvait pas s'enfuir. Voilà pourquoi la misère était si présente à Westia. Bien que rien n'empêchait quiconque de s'enfuir, les alentours étaient trop dangereux pour s'y aventurer sans expérience.

-M'sieur, vous avez l'air de bien la connaître. Vous savez ce que je pourrais faire pour la remercier ?

La grande créature posa ses yeux de braise sur le garçon.

-Malheureusement, je ne la connais pas aussi bien que je le voudrais. Elle ne s'ouvre à personne. Le peu que je sais d'elle est qu'elle à perdu ses parents lors de l'épidémie.

Sa voie se dérailla légèrement :

-Je suis inutile pour elle, je ne la connais pas du tout. Elle se force à survivre seule. Je ne peux imaginer comme elle doit souffrir.

Il se tut, le voleur et lui restant dans le silence.

-Mais dis-moi, toi qui viens d'un autre endroit que Westia, j'ai deux questions à te poser.

Shein se tourna vers le marchand, un air interrogatif sur le visage.

- Est-ce que les terres autour sont dangereuses ? Je n'aimerais pas qu'une gamine meure à cause d'horribles monstres.

Le garçon hésita. Puis finit par se décider.

-Les alentours de Westia sont envahis de grosses bestioles. Une fois que l'on s'éloigne un peu, les terres de l'ouest sont sûres, à condition de ne pas s'approcher des rivières trop longtemps. Quelle est votre deuxième question ?

-C'est rien, oublie.

Cependant, le marchand se doutait bien que sa protégée avait une idée derrière la tête pour penser pouvoir quitter Westia. Il devinait même que cela pourrait se révéler dangereux, voir fatal. Ses yeux se posèrent sur la ville. Puis il se demanda en son fort intérieur :

« Élise, qu'est ce que tu fabriques ? »

Et la jeune fille, depuis son poste au marché, esquissa un sourire. Il était arrivé. Pour le moment, tout se passait comme prévu.

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