Chapitre 8 : Heart Attack.

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Les cris et les soudains applaudissements dans l’auditorium l'avaient fait sursauter. Ses livres tombés à ses pieds, elle s’était accroupie pour les ramasser, quand quelque chose lui sauta aux yeux. Où était son bracelet ? De suite, elle balaya le sol. Rien. Sinon une paire de baskets et la main de leur propriétaire lui tendant le bijou. Elle y tenait tellement, ce fut un soulagement, et quel beau mec ! Des yeux verts, un bataillon de cheveux châtains, sans compter sa mâchoire déjà dessinée ,...

Avec plaisir, elle lui présenta sa paume pour récupérer son dû. Le sentiment disparut quand il le fit glisser entre ses doigts. D’un air amusé, elle le vit emprisonner le bracelet dans son poing et lui réclamer un baiser sur la joue.

La gifle était partie toute seule, et le choc réveilla Kimi en sursaut. Elle avait flanqué un coup dans son mur. En sueurs, à cause du mauvais rêve, elle tâta son poignet. Il était toujours là. Elle se laissa à nouveau tomber au fond de son matelas, le cœur tambourinant. En quoi était-ce un cauchemar ? Il s’agissait seulement du passé.

Cette autre question vint à nouveau la remuer. Que se serait-il passé entre elle et Sky, si elle avait accepté de l’embrasser ce jour-là ? Cette pensée l’obsédait. Elle s’imaginait qu’en lui rendant ce baiser, le Richess aurait obtenu ce qu’il souhaitait. Les disputes à venir n’auraient jamais existé, ils auraient été de parfait inconnus. Ou alors, ils se seraient rapprochés jusqu’à ce qu’il soit satisfait, pour la jeter ensuite comme une vieille chaussette, mais n’était-ce pas ce qu’elle était en train de vivre ? Alors même qu’elle l’avait giflé, qu’ils avaient eu de nombreux conflits, Sky avait fini par poser ses lèvres sur les siennes.

Du bout des doigts, Kimi se torturait à récolter les réminiscences de ces moments partagés. Elle roula des yeux, en se tendant. Une vive sensation la traversa. À quoi bon, si c’était pour qu’il finisse au cinéma avec Jena ?

Ce matin-là en particulier, elle n’eut aucune envie de se rendre à l’école et de découvrir les résultats de ce rendez-vous. Tellement, qu’elle avait l’impression de recevoir des coups de poings dans le ventre.

***

Un petit mètre séparait Sylvia de son élève, dont le nez avait été précédemment cassé. Dans son lit d'hôpital, ce dernier, tout vêtu de noir, ressemblait à la mort sur un matelas de nuage. Un large pansement trônait au milieu de sa figure, et les ecchymoses glissées sous ses yeux l'obligeaient à les plisser plus que d’habitude.

  • Pourquoi est-ce que tu ne t’es pas défendu ?

Couché sur le flanc, la tête soutenue par sa paume, Steve quémandait une réponse au plafond. Il paraissait totalement détendu tandis que sa professeur se faisait un sang d’encre :

  • S'il te plaît, installe-toi correctement, dit-elle en se glissant à ses côtés.

Elle détesta le voir en souffrance. Un grain aux lèvres, Steve loucha sur le cœur que formaient les siennes.

  • J’ai un joli point de vue, pourtant.

Sylvia roula les yeux dans ses orbites. Quel crétin arrivait encore à flirter en ayant le nez éclaté ? Lui, évidemment.

  • Tu n'as pas plus mal dans cette position ?
  • Ce sera douloureux dans tous les cas, donc autant me mettre à l’aise.
  • Comment peux-tu sourire ? Tu aurais dû au moins esquiver ! Cela vous aurait évité des problèmes à tous les deux.
  • J’avoue que quand il s’est retourné, j’ai vu la flamme dans ses yeux, dit-il d’un air détaché. Mais il a été sacrément rapide, et quelle poigne ! J’ai de la chance de n’avoir que ça de cassé.
  • Tu me fatigues…

Elle retourna à son poste initial, le regard plongé par la fenêtre. Les arbres manquaient de feuilles à cette période. En apercevant son tracas, Steve s’installa au bord du lit. Il parcourut sa silhouette en sablier. Chaque jour, il mesurait sa chance d’avoir réussi à conquérir une femme aussi exquise.

  • Tu as eu peur ? demanda-t-il de sa voix naturelle et non forcée.

La gravité de son ton l’atteignit, ses yeux ambrés parlant à sa place.

***

Kimi fit le chemin jusqu’à l’école avec la boule au ventre. Elle avait sauté le petit-déjeuner, en retard d’avoir traîné à s’habiller. Elle avait opté pour un pull à capuche rouge, car avec cette couleur, elle se sentait capable d’affronter n’importe quoi. Puis, un jean et ses converses. Plus simple, tu mourrais. Un court instant, Kimi y songea. Elle imagina se faire écraser par une voiture.

Cela lui aurait évité de passer le portail. Peut-être même qu’elle aurait survécu et que l’accident aurait été un électrochoc. Sky se serait rendu compte qu’il ne devait pas se marier avec quelqu’un qu’il n’aimait pas. Amère, elle chota dans un caillou. Qu’est-ce qu’elle en savait après tout ? Elle aussi, elle aurait finit par avouer… Qu’elle était stupide de s’imaginer tous ces scénarios désastreux.

Il n’y aurait pas de happy-end.

Voilà que le portail pointait déjà le bout de son nez. La notion du temps qui passa trop rapidement, l’affola. Elle le traversa. Mince, elle aurait vraiment préféré qu’un camion lui roule dessus. D’extérieur, son visage ne laissait rien paraître. Elle fit coucou à ses anciens copains, de loin, et continua sa route jusqu’aux amis qu’elle avait décidé de suivre coûte que coûte. Elle avait pris cette décision, de vivre au jour le jour, en oubliant que son père allait “mieux”. En essayant de ne pas penser à Sky et Jena, et surtout, en mettant sa fierté de côté pour retrouver Laure.

  • Tu en fais une tête, lui avait lâché cette dernière.

Celle-là alors, elle ne pouvait vraiment rien lui cacher. Les mains accrochées aux lanières de son sac à dos, Kimi bascula sur sa pointe des pieds, puis revint sur ses talons, nerveuse. Elle finit par caler son épaule contre la sienne, histoire de ne pas avoir à lui demander : “on fait la paix ?”

La blonde devina l’émotion prendre la star de l’école, avant qu’elle ne la supprime pour lui afficher un joli sourire. Elles pleureraient plus tard. À la place, Laure lui attrapa le bras et ne s’en décrocha plus.

  • Tout ça pour ça ! exclama Selim, hilare de les voir se rabibocher aussi facilement.

C’était ce qui prouvait leur amitié. Les vraies amies passaient au-dessus de toutes les tempêtes, et elles se préparaient même à affronter les prochaines. Le sourire qu’avait récupéré Kimi s'effaça bien rapidement. Elle serra le bras de Laure en apercevant Sky et Jena s’enfoncer dans la cour, main dans la main. Cette dernière entrouvrit la bouche, compatissant. Ils étaient plutôt guillerets.

Kimi sourcilla, et tendit à se décrocher, les cils battants, alors que le restant du groupe les accueillirent en les taquinant. Tout le monde se fit la bise et embraya sur le sujet. Ils étaient en couple. Pourquoi est-ce qu’elle arrondissait le regard de cette manière, en hochant de la tête, comme si elle était contente pour eux ?

Ce sentiment d’urgence qu’elle avait ressenti quand Sky l’avait embrassée, lui revint en pleine face. Là aussi, il lui fallait trouver un truc. N’importe quoi, pour qu’elle puisse s’échapper de cette situation, pour qu’elle efface l’expression douce qu’il portait et les yeux pétillants de Jena de son esprit.

N’importe quoi, mais qu’elle puisse arrêter de jouer la comédie :

  • Merde, mon document, lança Alex. J’ai oublié de le donner au secrétariat.

Alex se planta devant elle.

  • Toi aussi, non ? On y va ?
  • … Ah, oui…

***

  • Si tu savais comme ça me met en colère de te voir comme ça, murmura Sylvia.

Steve la regarda avec douceur.

  • Viens, dit-il, en l’attirant avec sa main.
  • Ce n’est pas raisonnable. Le médecin va bientôt revenir et je ne suis là que pour t’assister le temps que tes parents…
  • Ils ne viendront pas. Pas pour un nez cassé, rit-il, doucement. Profitons-en, tant qu’il n’y a personne.

Sylvia vint accrocher ses doigts aux siens, tout en restant aux aguets.

  • Tu es mignonne de t'inquiéter pour moi.
  • … Que se passe-t-il avec Alex ? Je reste convaincu que tu aurais dû faire quelque chose. À quoi toutes ces années d’arts-martiaux t'ont-elles servies, si c’est pour te prendre un pain aussi facilement ?

Rire restait douloureux.

Il prit son temps pour répondre, effectivement mis K.O. par son adversaire.

  • Ce sont des arts qui mettent un accent sur la défense…
  • Justement.
  • Figure-toi qu’avant qu’il ne me frappe, je me suis demandé : “Est-ce que je peux me défendre si je suis en tort ?

Sylvia abaissa ses épaules, et fronça les sourcils, perplexe. À cet instant, elle détestait Alex, mais le garçon vulnérable qu’elle avait connu lors de leurs discussions lui revenait à chaque fois en mémoire.

Elle attendait plus de précisions :

  • Je méritais ce poing. Je l’ai poussé à bout, avoua-t-il. Le baiser entre Alex et Kimi, ce n’était que la cerise sur le gâteau, mais moi, je leur ai servi la pièce montée, tu vois ?
  • Pas vraiment, non.
  • C’est à cause de cette vidéo…
  • Quelle vidéo ?

Steve tiqua.

  • … Je pensais que les professeurs se tenaient au jus des ragots ?
  • Si tu crois que je n’ai que ça à faire ! Entre les cours et tes caprices, dit-elle, les joues rougies.

Il devait lui accorder.

  • Quand Sky et Jena se sont mis ensemble, plongea-t-il en arrière. Je savais que ça ferait un gros boum dans l’école, même si tout le monde s’y attendait, et mon job avec Kyle, c’est d’aller à la pêche aux infos croustillantes. Donc pendant que lui, il est allé les narguer, moi, je suis allé creuser du côté de Kimi.
  • De Kimi ? Pourquoi ça ?

Elle ne saisissait pas où il voulait en venir, mais quand Steve captura son regard, Sylvia y vit pour la première fois, un immense regret.

***

Cela n’avait pris que quelques minutes à Alex et Kimi de déposer leurs papiers au secrétariat. L’aller avait été bercé par une courte conversation sur cet oubli mutuel. Ils se ressemblaient sur ce point : tête en l’air, et atteint de la malédiction de toujours tout remettre au lendemain.

Quant au retour, il se fit dans le silence complet. Côte à côte, les ados marchaient lentement. Alex lui avait proposé de se rendre directement devant la classe, jugeant qu’elle ne devait avoir aucune envie de rejoindre le groupe à cet instant.

Il avait bien observé Kimi. Cette dernière gardait la tête haute, le dos droit, tenu par ses épaules d’acier. C’était comme si, une force supérieure l’habitait, comme si un démon l'obligeait à rester debout. Que ressentait-elle ? Il jeta un œil derrière lui pour tenter de le deviner. Lorsque leurs yeux se rencontrèrent, le sourire qu’elle essaya de feindre se figea.

En fouillant son âme, Alex approcha maladroitement sa main de la sienne :

  • Est-ce que… ça va ?

De la lumière se déposa dans le regard de Kimi, dont les cernes marqués, se creusèrent davantage.

  • Oui,… ça va… Pourquoi ? demanda-t-elle, sa voix s'essoufflant. Haha. Pourquoi est-ce que…

Tout devint flou.

Troublée par la montée de ses larmes, elle les récolta du bout des doigts.

  • C’est ridicule… Je ne devrais pas, dit-elle, le regard exorbité.
  • Kimi.

Alex emprisonna entièrement sa main, petite, dans la sienne.

  • Tu peux pleurer.

De suite, ses lèvres se retroussèrent. Un hoquet lui échappa. N’arrivant plus à contrôler cette douleur, elle laissa ses larmes dévaler ses phalanges. Le cœur écrasé, elle serra son pull de toutes ses forces au milieu de sa poitrine. Elle manquait de souffle, pliée en deux. Mortifié de l’entendre s'étouffer, Alex la récupéra dans ses bras. Il caressa son dos, secoué par les sanglots, tandis que le sien fut envahi de ses doigts plantés. À la force de ses ongles, il entendit à quel point cela lui faisait mal. Il arqua les sourcils, impuissant. Il ne pouvait que la réconforter en la serrant fort, accueillir sa douleur, en dégageant ses mèches de cheveux et en essuyant ses larmes. Sur chacune de ses joues marquées, il déposa un baiser, et son visage entre les paumes, il réitéra sur son front. Tout irait bien. Son amie collée à son torse, en peine, il souhaitait uniquement la rassurer.

Tout finirait par s’arranger, si seulement ils n'avaient pas été épiés.

***

Sylvia resta inerte un long moment après avoir reçu les explications de son petit ami. De nombreuses fois, elle ressentit le besoin de lui couper la parole. Le simple fait qu’il ait décidé de suivre Alex et Kimi, tout en sachant que cette dernière avait de la peine, la décevait, mais alors qu’il les filment…

Elle ne savait comment réagir. C’était le jeu auquel il s’était préparé d’emblée en décidant de travailler pour Kyle.

  • Est-ce que tu es content de toi ? demanda-t-elle, d’un ton dur.

La tête lourde, Steve subissait l’après-coup de sa blessure. Une main sur chaque genou, il jouait de ses doigts.

Même en connaissant la réponse, elle avait décidé de poser la question.

  • Pas du tout.

Elle fut surprise.

  • Je savais que cette vidéo serait problématique. Je l’ai coupé au pire moment, où au meilleur, si je-puis dire.
  • Que veux-tu dire ?
  • … Il l’a embrassé là, dit-il en déposant le bout de son doigt sur son front. La vidéo se termine sur ça. Sortie hors de son contexte, elle laisse place à de nombreuses interprétations. Dans le milieu du scandale, c’est ce qu’on appelle une petite pépite.

En effet, tous ceux qui la visionneraient seraient libres d’imaginer la suite à leur bon vouloir. Sylvia fronça les sourcils.

  • Toi, tu sais ce qui s’est passé.
  • Oui. Rien de spécial, honnêtement. Il l'a juste réconfortée.
  • … Et tout en sachant ça, tu as quand même décidé de la poster sur vos réseaux ? Tu te rends compte du mal que tu as fait autour de toi ? Non seulement Alex, Kimi, mais Faye, aussi. Je pensais que tu t’entendais bien avec eux. Que tu t’amuses à les taquiner, c’est une chose, mais jouer avec leurs sentiments, ... Tu ne peux pas faire ça, Steve.

Il ne répliqua aucunement, et ne dévia pas le sujet, comme il en avait l’habitude. À la place, il acquiesça lourdement.

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