Chapitre 11 : Sous les apparences.
Après chaque réunion de comité, il n’était pas une fois coutume que les anciens présidents et sous-présidents se réunissent. Estimant que certains points ne pouvaient être abordés en présence de tous, un nouveau trio était né. Cette fois, les hostilités se déroulèrent après le repas du soir, dans la chambre de Nice.
Cette dernière tendit à son ancien binôme une enveloppe bien remplie :
- Voilà, les nouvelles photos.
Loyd, chargé de les dévoiler à la presse, anonymement, la récupéra et en sortit immédiatement le contenu. Il l’analysa, Laure sur ses côtes, les bras croisés. Tous deux se penchèrent dessus, les découvrant pour la première fois.
Le scandale autour de Chuck Ibiss ayant éclaté, aucun des amoureux ne s'était rendus au KYESS depuis. Et ne pouvant faire confiance qu'à une mince poignée de gens, ils avaient envoyé Nice sur le terrain, un soir, pour prendre les photos. Celles-ci révélaient des femmes, plus couvertes de bijoux que de vêtements, dans des positions qui les obligeaient à tourner la tête. Elles baignaient dans le luxe de la boîte de nuit, élégante et sexy. Les photographies ressemblaient à des clichés volés sur lesquelles les hôtesses servaient des verres de champagne à leurs convives.
- Qu’est-ce que tu en penses ? demanda Nice, en attente d’un compliment.
- Que tu as du talent.
Cette dernière resta humble :
- Je n’ai presque rien eu à faire, à part me mettre dans un coin et les laisser s’amuser. Tu as vraiment trouvé des pépites, elles ont fait ça à merveille.
- C’est normal, je les ai choisies avec soin, répondit Laure, fièrement, qui s’attardait sur les sous-vêtements de l’une de ses “filles”.
Leur lingerie était fine et affriolante, parfaite pour nourrir des fantasmes. Emballées de si jolis vêtements, n’importe quelle femme se serait sentie séduisante. Ces deux critères réunis en tête, les clichés devaient passer au crible de la Richess. Assis à terre, le trio les étendit afin d’avoir une vue plus globale. Moins d’une dizaine ferait l’affaire. Ensemble, ils choisirent celles qui répondaient le plus d’authenticité. Là où leurs petites tenues étaient le plus visible, contrairement aux faciès de ces hommes.
Une fois l’opération terminée, Laure parut soulagée d’un poids. Nice l’observa minutieusement. De comment elle clôt l’enveloppe à la manière dont elle se dandina.
Parfois, elle la trouvait terrifiante.
- Et voilà de quoi alimenter le scandale ! souleva cette dernière, en chantonnant.
À ce stade, Nice se demandait jusqu’où irait sa vengeance, jusqu'où elle était prête à aller pour ternier l'image de son père.
- Alors, la suite des opérations, c’est quoi ?
Elle n’hésitait plus à demander. Nice avait dépassé ce stade où elle gardait ses interrogations au fond de sa boîte crânienne si bien faite. Elle osait, même si c’était dans ce genre de moments que Laure lui procurait un frisson.
Le sourire commercial dont s’était toujours dotée la belle Richess était difficile à percer. Il lui mettait cependant la puce à l’oreille. Pour quelqu’un qui souhaitait se venger de son père, elle lui ressemblait. Peut-être était-ce là, la source de leur conflit ? Une bataille d'ego, ou bien de puissance ? Les Ibiss étaient connus pour se mettre des bâtons dans les roues entre génération. En tous les cas, elle se rendait compte à quel point Laure était motivée et submergée :
- … C’est un secret, souffla cette dernière, malicieuse. Pour ce qui est des photos, c’est terminé, je te rassure. Tu as vraiment été d’une grande aide.
Tandis qu’elle la remerciait, Nice retrouva l’étendue de sa bienveillance, inchangée au gré des années. Ce qui l’impressionnait, c’était la manière dont elle s’en débarrassait pour en venir aux choses sérieuses.
- Une fois que celles-ci seront dévoilées, on pourra définitivement passer à la prochaine étape.
- N’oublie pas qu'entre-temps, ton père risque de se rendre compte de la supercherie, l’interrompu Loyd, toujours clairvoyant.
- Raison de plus !
D’un point de vue extérieur, ce dernier ressemblait typiquement au garçon à la botte de sa petite amie. Si elle ne le connaissait pas aussi bien, Nice s’inquiéterait davantage. Elle ne se gêna pas pour continuer de creuser le sujet qui l'intéressait :
- Et le but de cette nouvelle série de photos… ?
- Enfoncer le clou.
Il n’y eut aucune hésitation dans sa voix. Après avoir rassemblé ses affaires et s’être relevée, Laure lui attrapa le regard, la défiant de la remettre en question une nouvelle fois. Voyant qu’elle ne flanchait pas, elle s’expliqua.
- Plus mon père sera déstabilisé, plus il sera simple pour moi d’aller de l’avant dans ce projet.
- … Tu lui en veux à ce point-là ?
- Il m’a menti.
Ferme et autoritaire, son ton ne donnait aucunement l’occasion de la contredire. Nice ne le fit pas, compréhensive. Elle aussi avait été trahie par son père. Se rappeler comment il lui avait menti la remuait à chaque fois.
Ce fut pour cette raison que Loyd tint à avoir une discussion en tête-à-tête avec elle après la réunion. Pour ce faire, il n’hésita pas à la mettre au pied du mur.
- J’aimerais te parler de quelque chose.
Elle savait très bien où ce dernier souhaitait l’emmener. Pourtant hermétique à la conversation, elle n’eut pas vraiment le choix que d’accepter sa requête. Laure avait mis les voiles afin de ne pas être une gêne et Loyd savait parfaitement comment s’installer pour qu’on ne puisse pas se débarrasser de lui. Malgré tout, ce fut plus fort qu’elle, Nice tenta de tourner la situation à son avantage.
- Tu sais, si je n’avais pas connaissance de l’objectif final, je commencerais à me dire que Laure va un peu trop loin.
Ce dernier lui répondit avec son expression angélique. Celle qui l’aidait à gagner le cœur de tous. Aussi sincère soit-elle, il avait conscience que cette façade constituait sa meilleure arme. Nice se sentit moquée d’établir des stratagèmes, alors qu’en réalité, il la trouvait mignonne d’essayer. Cela l’agaçait, devinant sous le masque, qu’il savait exactement quoi lui répondre.
- Ne t’inquiète pas, je veille sur elle, et de près. Je sais qu’elle peut être excessive. Tout comme je sais que tu peux être extrêmement têtue.
L’envie de lui arracher le rictus qui se dessina dans sa joue devint violente.
À la place, elle le pressa :
- Vas-y, je t’écoute.
- Chaque semaine, ils me demandent si tu comptes venir.
Elle soupira instantanément.
- Et ça me ferait plaisir aussi, c’est pour ça que j’ai inventé quelques excuses pour t’attirer à la maison.
- Pas franchement bien ficelées, si tu veux mon avis.
- Je sais bien, rit-il. J’avoue que ce n’était pas très fair-play de ma part, mais cette fois, j’ai une vraie requête. Qui me tient à cœur. Même si je crois savoir ce que tu vas répondre, tu sais ce qu’on dit ?
- Qui ne tente n’a rien.
Il acquiesça.
- Tu n’auras rien, mais dis toujours.
***
Une année auparavant, Nice n'aurait jamais cru connaître une telle version d’elle-même. Elle, si douce et raisonnable, se découvrait sous un autre jour. Elle était pleine d’ambitions et de revendications, ce qui l’amenait souvent à se sentir irritée. Du haut de ses seize ans, la plus jeune des Richess, ne se doutait pas qu’elle vivait tout simplement ce qu'il était communément appelé : la crise d'adolescence.
- Tu ne devineras jamais ce que Loyd m'a sorti !!
Furieuse, elle déboula dans la chambre de sa meilleure amie où il était prévu qu'elles se retrouvent. La porte claqua dans son dos, ainsi que sa chevelure noire. Faye, en tailleur sur son lit, sursauta. Cette dernière portait déjà son pyjama, composé d’un mini-short ainsi qu’un large t-shirt.
Elle n’eut le temps d’en placer une.
- Il a osé utiliser Laure comme prétexte ! Pourquoi, vas-tu me dire ?
- Pourq… ?
- Figure-toi ! s’exclama-t-elle, les mains accrochées à sa taille. Que monsieur attendrait soi-disant d’inviter Laure chez sa mère, car moi, je n’y suis toujours pas allée et donc je devrais accéder à sa petite requête pour qu’il puisse le faire. Tu te rends compte ? C’est du chantage !
La rousse soupira et se plaça au bord du lit, à l’écoute.
- Ça ne m'étonne pas, lança-t-elle, le sachant plus malin que toute la bande réunie.
- Moi non plus. Mais quel salaud ! C’est un manipulateur !
Face aux insultes, Faye fit de grands yeux. Ceux-ci s’attelèrent à suivre les cent pas de sa meilleure amie.
- Aah ! Il me rend folle ! s'écria-t-elle en resserrant ses doigts.
À bout de nerfs, elle se laissa tomber à ses côtés et souffla dans sa frange. Ses joues étaient aussi rouges que des tomates.
- Qu’est-ce qu’il ne comprend pas ? enchaîna-t-elle, d’un ton dépité. Je lui ai expliqué que je n’étais pas prête à rencontrer sa mère, même si papa vit là-bas maintenant. Je ne peux tout simplement pas regarder cette femme décemment dans les yeux. En plus, je sais très bien comment ça se passera si j’y vais ! Elle va se montrer sympathique et je n’aurais rien à lui reprocher ! Mais Loyd n’arrête pas d’insister. Il n'arrête pas avec ses excuses bidon. Je pensais que ce serait chouette de l’avoir pour beau-frère, mais il est vraiment… insupportable !
- … Je crois qu’il veut le meilleur pour votre famille, répondit Faye, dont le ton paraissait fatigué.
Nice s’en rendit compte.
Elle courba l’échine et plaça son visage entre ses mains.
- Oh, excuse-moi, je suis tellement… en colère ! En ce moment, tout me stresse. J’ai l’impression que je ne supporte plus rien.
- Sauf Selim !
La plaisanterie eut le mérite d’apaiser un chouïa son cœur.
- Oui, heureusement, mais lui aussi le pense. Il croit que je devrais faire l’effort d’y aller. Qu’une fois que ce sera fait, je n’aurais plus à m’en tracasser.
- Il n’a pas tort…
Elle savait qu’il s’agissait de la meilleure solution.
- … Quoi qu’il en soit, je suis désolée. Je ne fais que me plaindre alors que pour toi aussi, c’est compliqué.
Faye marqua un temps en triturant les pointes de ses cheveux. Ceux-ci prenaient de la place sur une seule de ses épaules. Contrairement à sa chevelure, son esprit manquait de piment. Elle semblait porter un lourd fardeau.
- C’est vrai, reprit-elle, les yeux baissés. Mais je ne peux rien y faire et ce n’est pas parce qu’en ce moment, ça ne va pas, qu’on ne peut pas parler de ce qui ne va pas pour toi. Je sais que ça te stresse. Avant chaque week-end, tu me le dis et tu reportes la sentence à chaque fois. Je pense comme Selim, ce n’est pas bon pour toi.
Tandis qu’elle lui donnait raison, Nice nota à quel point ses cernes étaient prononcées. Elle estima qu’elle avait même peut-être pleuré avant son arrivée. Pour le moment, c’était tous les jours. Plutôt que d’en discuter une énième fois et remuer le couteau dans la plaie, Nice jugea qu’il était préférable de se changer les idées. Cela lui ferait du bien aussi.
- Que vas-tu faire ? lui demanda Faye.
- Je crois que je vais devoir me résoudre à passer le week-end là-bas… Un film, ça te dit ? J’ai envie de passer à autre chose.
Un instant, elle vit sa copine hésiter, la bouche entrouverte, comme si elle s’apprêtait à dire quelque chose.
- Ou tu voulais qu'on discute ?
Faye se reprit en secouant la tête.
- Non, un film, c’est une bonne idée ! Regarde déjà sur l’ordinateur, je vais aux toilettes…
- Super ! J’ai quelques idées, mais je vais d’abord me mettre en pyjama ! s’exclama-t-elle en sortant de son sac des vêtements similaires à ceux de Faye. Tu as vu, j’ai pris celui-là pour qu’on soit raccord !
Toute excitée, Nice s’engagea dans la salle de bain pour le lui montrer.
- Ah ! Je peux utiliser ta brosse ? J’ai oublié la mienne…
Nice eut un recul, en voyant l’accès lui être bloquée et la brosse atterrissant dans ses mains aussi vite.
- Est-ce que je peux utiliser le miroir… ? demanda-t-elle, troublée.
- Ah, je… désolée, mais je dois…
- Mais Faye ! Ahah ! Combien de fois tu n’as pas fait pipi devant moi ?
En effet, les copines partageaient de nombreux moments dans la salle de bain. Notamment au sein du foyer Hodaïbi où Nice passait un week-end sur deux.
Son expression se resserra quand elle la vit en train de regarder partout autour d’elle. Elle ne comprit pas ce soudain changement de comportement.
- C’est que… C’est la grosse commission !
- Oh !
De suite, Nice se replia dans la chambre afin de lui laisser l’espace et la liberté nécessaire à ce genre de besoin.
Enfermée à l’intérieur, Faye récolta ses esprits, la main collée à sa poitrine. Plusieurs fois, elle vérifia la poignée de porte tandis qu’elle marchait à reculons jusqu’à son panier à linge, là où reposait une fine boîte rectangulaire. Le simple fait de récupérer la soulagea, pour un court laps de temps. En reprenant connaissance de l’objet, de suite, son cœur se mit à galoper. Le test de grossesse n’était pas encore déballé.
Demain.
Avant de le fourrer au fond du panier, sous sa tonne de vêtements, elle se promit de le faire le lendemain. Puis, elle tira la chasse, sans même avoir été aux toilettes et retrouva sa copine, qui avait tellement besoin de sourire, qu’elle lui en octroya un.
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