Chapitre 17 : Le diable en personne.

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Chaque dimanche soir, de retour à l’internat, Kimi retrouvait en même temps que sa chambre, les pensées qui retraçaient le parcours de sa vie. Quand chacun de ses amis vaquait à ses occupations, elle restait sagement installée dans son lit, un fond de musique pour compagnie.

Ce moment avec elle-même l’obligeait à se rappeler la promesse qu’elle s’était faite. Celle de garder le passé, non dans son dos, mais bien au chaud, au fond de ses tripes. Alors quand celui-ci la rattrapait, elle tentait de relativiser :

Être la fille d’un homme complètement fou et tueur à ses heures perdues ? Il fallait l’accepter. Ne plus avoir de mère ? La vie était ainsi faite. L’adoption ? Il s’agissait de la meilleure chose qui lui soit arrivée, avec le fait de pouvoir choisir sa propre famille. Quant aux liens du sang ? Surcotés.

Ceux-ci ne nouaient pas les plus belles relations.

Et les plus belles amitiés changeaient, comme le statut d’une personne, loin d’elle l’envie de se retrouver à nouveau à la tête d’un gang. Ressasser ce temps ne lui apporterait rien de plus que des souvenirs douloureux. Elle se le répétait régulièrement : “Les parents n’aiment pas toujours leurs enfants.”

Il n’y avait pas de honte à se faire de nouveaux amis et à préférer passer du temps avec ces derniers. Le fait que cette destinée pesait sur sa tête depuis sa naissance ? Cela aussi, elle le chassait. Rien ne l’aurait obligé à la respecter, si elle avait été au courant. Tout comme rien ne l’obligeait à aller voir ce père en train de guérir. Mais encore, comme rien ne la retenait de se dresser contre ses adversaires, si ce n’était un amour à sens unique.

En l’état, elle n’en possédait qu’un seul, et malgré toutes ses bonnes intentions de garder un pas en arrière, quelques fois, le diable montrait à nouveau le bout de ses cornes.

***

Huit-heure et demie du matin, Saint-Clair, une voix à réveiller les morts secoua les étudiantes de cinquième A et B :

  • Les filles, échauffement ! Faites-moi trois tours !

En tenues, celles-ci se mirent à trottiner en rond dans la salle, complètement sonnées. Elles étaient nombreuses à ne pas apprécier les cours de sport, ce qui passait totalement au-dessus de la tête de leur professeur. Cette dernière était redoutable malgré sa petite taille. Face au manque de motivation, elle y mit plus de force, claquant dans ses mains pour les encourager à garder le rythme.

Pour sa part, Kimi adorait la course, mais ce n'était pas le cas de sa meilleure amie, qui ruminait dans son dos.

  • Non mais celle là, elle ne doit pas être satisfaite au lit pour gueuler si tôt le matin, balança Laure, d’un ton coupant.

La blonde éclata de rire.

Tout les différenciaient dans cette situation. Si l’une portait un t-shirt trop large de l’école avec un short court et de grosses baskets, l’autre était épousée par ses vêtements, et gardait un gilet pour se tenir chaud.

  • Tu crois que tu vas survivre ? plaisanta Kimi.
  • Ça devrait être interdit le sport à cette heure. Après, tu pues toute la journée, tes cheveux sont en piteux état. Hors de question que je me donne aujourd’hui.
  • Ibiss ! Dan’s ! Ça vous dirait d’avancer plutôt que de causer !

Enguirlandées, les deux filles grimacèrent, et particulièrement Laure, qui imita sa voix entre ses dents. Elle sursauta quand Kimi lui colla une claque sur les fesses, un grand sourire aux lèvres. Celui-ci ne tarda pas à se figer quand nulle autre que Jena Solaire les dépassa fièrement. Peu importe l’heure et le moment de la journée, elle rayonnait, et cette fois dans son “petit ensemble” composé d’un legging et d’une brassière.

Cette dernière en avait vendu la qualité à d’autres filles dans les vestiaires, ce qui n’avait pas manqué de tomber dans les oreilles de Kimi, qui en se regardant dans le miroir, avait trouvé qu’elle ressemblait à un mec.

  • Bah alors, les filles ? On n'avance pas ?

Un “L” brandit au niveau de son front, Jena les nargua en trottinant à leur hauteur avant de les planter. Kimi suivit sa course d’un regard dédaigneux. À dix-sept ans, les adolescentes se comparaient les unes aux autres plus que jamais. Celle-là avait tout : la beauté, l’intelligence, l’argent, la forme, le nom, le mec…

Celui auquel elle ressemblait dans le miroir.

  • Tu crois que tu vas survivre ? dit Laure, d’une voix pincée.
  • Fais gaffe à ton brushing.

Malgré la menace, elle tenta le diable en l’obligeant à perdre l’équilibre. Kimi s’empressa de faire de même, et leur professeur de les séparer pour les exercices à venir. Au programme : hockey en salle. La séance se déroulerait en binôme, au travers de plusieurs ateliers pour apprendre à gérer la crosse et la balle. Couplée avec Nice, qui s’appliquait grandement, Kimi se rappela à quel point elle aimait ce sport. Elle était douée, mais elle aussi.

Du coin de l'œil, elle ne fit pas attention à Laure et Faye, qui semblaient embarquées dans une longue discussion sur les ongles, et observa celle qui, malgré elle, était devenue son adversaire. Hypnotisée, elle observa Jena jouer de la balle avec une fille de l’autre classe. Même avec sa langue acérée, elle s’entendait avec tout le monde. Selon Laure, c’était sa franchise qui les charmait.

Kimi se demanda s’il l’aimait bien pour cette raison, ou si Sky s’était arrêté au respect des lois. Au fond, il avait l’air de l’aimer. Cette pensée vint avec un coup-de-poing dans son ventre et quand sa balle vola en direction de Jena, celle-ci l’arrêta d’un coup net avec sa crosse.

  • Désolée !
  • Tu as cru que c’était du golf ?

Cachant sa gêne sous un rire, Kimi retourna à ses activités. Perdre le contrôle de cette manière ne lui ressemblait pas. Du temps de Gordon, elle avait beaucoup joué au hockey. Elle adorait ce sport, tellement que la fin du cours arriva bien trop vite à son goût.

Elle avait espéré que celui-ci se clôturait par un premier match, et elle ne fut pas déçue quand leur prof décida de les rassembler :

  • Ok, les nanas !
  • Nanani nananère, s’en alla Laure, à voix basse et en levant les yeux au ciel.

Faye lui cala gentiment un coup de coude.

  • T’as fumé ou quoi ?
  • C’est plus ton style, ça, répondit-elle en tentant de l’imiter.

Quand la rousse recula d’un coup, une main placée sur le flanc, Laure la regarda de haut en bas.

  • Vous vous êtes disputées ? demanda-t-elle, en faisant référence à Nice.

En effet, une drôle d’ambiance régnait entre les deux filles depuis la première heure de cours.

  • Non, pas du tout.

La manière dont elle se recentra sur les explications en cours, ne la convainquit pas, mais elle fit l’impasse.

  • J’allais vous proposer un match, mais vu comme vous êtes dissipées, peut-être que vous devriez refaire de nouveaux tours de terrain ?
  • Ha non ! On fait le match ! rechigna Jena, tout en octroyant un regard persistant à ses condisciples.
  • Alors, soyez sages. Il y a une surprise pour les gagnantes.

Cette promesse fut suffisante pour réveiller leur esprit de compétition. Maintenant qu’elles parlaient le même langage, les choses sérieuses pouvaient commencer.

D’un gros sac, leur professeur sortit une vareuse verte et la lança à Jena :

  • Solaire, cheffe d’équipe.

Elle l’enfila aussitôt, ravie de trouver sa place devant les autres filles.

  • Et il m’en faut une deuxième. Ne vous pressez pas surtout.

Maintenant.

Kimi fit un pas en avant.

  • Je veux bien.

Elle reçut de suite la vareuse rouge. Sa couleur préférée lui porterait forcément chance. En se plaçant à l’opposé de Jena, elle se tint droite. À vrai dire, elles gardaient toutes les deux la tête haute.

C’était à cette dernière de choisir un premier membre pour son équipe. En jouant de ses mains, Jena attira une camarade de taille dans ses filets :

  • Faye !

Elle accueillit son acquisition à bras ouverts, et parut bien trop contente aux yeux de la rousse.

  • Pourquoi tu m’as choisie ?
  • Je sais que ça va la déstabiliser de jouer contre toi, chuchota-t-elle, d’un ton joueur.
  • … T’es un stratège toi.
  • Hum, fit-elle en haussant les épaules. J’aime bien gagner !
  • Et on va gagner !

Ennuyée, Kimi se mordit doucement l'intérieur de la joue. Non seulement, Faye était forte, mais elle aurait du mal à la regarder dans les yeux durant le match. De toute manière, il n’y avait pas à hésiter. Elle choisit Laure comme première coéquipière.

  • Que ce soit clair, dit adieu à ton brushing, lui lança-t-elle, une violente envie de l’écraser la traversant quand elle la vit choisir à nouveau l’une des plus fortes de la classe.

Et quand Nice rejoignit ses rangs, elle fut agréablement surprise par sa répartie :

  • On donne tout ce qu’on a les filles !
  • Compte sur moi.

Le match pouvait commencer, si ce n’était à un détail près. Une fille se plaignit de l’arrivée des garçons. Ceux-ci ayant fini leur partie de foot, s’invitèrent à la partie, et ce nouvel enjeu plut à leur professeur qui leur demanda de rester sage sur les bancs.

  • En espérant que ça les empêche de crier comme des otaries.

La remarque les fit éclater de rire, et contents d’ajouter leur petit effet, Sky, Loyd et Selim s’installèrent côte à côte.

  • C’est qui les cheffes, M’dame ? demanda le dernier, dont les cheveux étaient plaqués sur sa tête à cause de la sueur.

Elle pointa du doigt le milieu du terrain, où deux crosses se croisèrent, la balle régnant au centre. Ils suivirent le mouvement des yeux.

Au coup de sifflet, un, deux, puis trois claquements se firent entendre dans la salle, le plastique des crosses s’entrechoquant. Au troisième coup, Kimi releva son regard dans celui de Jena, la détermination de l’anéantir reflétée sur son visage. Elle fit de même, et prit immédiatement l’avantage en l’envoyant vers une coéquipière.

  • Merde !

En se retournant, Kimi trembla en apercevant “les” garçons.

  • Oh, oh, fit Loyd.

Elle reprit ses esprits et remonta vers leur goal pris en otage par l’équipe adverse. Nice bloqua Faye avec sa crosse. Une bataille sévère, et des cris autour s'élevèrent.

  • Vas-y, Nice !! Bloque-la !

Ce qu’elle fit, décidée, en envoyant balader la balle sur le côté. Telle une meute de loups, les filles se ruèrent dessus.

  • Yeah, ça, c’est ma meuf ! s’exclama Selim, le poing serré, depuis le banc.

Loyd lui octroya un long regard, jugeant, sur quoi, il se rassit à sa place, sur les ordres de la prof. Gênée, mais fière aussi, Nice gagna une rougeur aux joues. Elle s’interloqua quand un point fut marqué, une longue passe filant sous ses yeux pour terminer dans le goal.

  • Je t’ai eu ! fanfaronna Faye.
  • … Tu ne devrais pas jouer, lui lança-t-elle en retour, d’un ton à peine perceptible.

Cela la fâcha.

  • Si tu te prends un coup…
  • Ne parle pas de ça ! s’exclama-t-elle, en essayant de rester discrète.

Seul Selim savait de quoi elles discutaient en secret, ou plutôt qu’elle était la nature de leur conflit.

  • C’est dangereux.
  • Mais arrête, je suis à peine… ! Et je ne sais même pas si je vais le…

Il y avait des choses qu’elle ne pouvait pas formuler à voix haute.

  • Justement. Tu ne devrais pas.
  • Les filles, on reprend !

De plus belle, la balle remise en jeu, le bout des crosses glissèrent contre le sol à sa recherche. Cette fois, à cran, ce fut Faye qui attaqua en première. Elle prit Nice de court et monta jusqu’à leur goal. La défense s’occupa de l’évincer et elle se trouva à courir derrière l’équipe rouge. Les passes filèrent, et comme par magie, Laure mit un but. À ce moment-là, Loyd serra son poing.

  • Tu disais ? fit Selim, d’une expression malicieuse.

Kimi félicita sa meilleure amie, et lui ébouriffa la chevelure, tandis que les filles autour jurèrent.

Elles y retournèrent.

La technique de Laure consistait à se faire oublier parmi les autres. Si bien que la balle atterrît devant sa crosse sans qu’elles ne s’en rendent compte. Elle misait alors tout sur la prestance, libérant toute la mesquinerie dont elle pouvait faire preuve. Face à son expression, l’adversaire ne pouvait que reculer.

  • Mais contrez-la !! s’excita Jena depuis l’autre bout du terrain, enragée.

Celle-ci remonta jusqu’à ses côtés pour s’en occuper elle-même,.

  • Ibiss, je vais te massacrer.
  • Ha, que je suis populaire, chantonna-t-elle, alors que la balle lui échappait.
  • Haa ha !

Folle de récupèrer le Saint-Graal, Jena passa la deuxième vitesse. Battre les autres, c’était une passion.

  • Elle gère, commenta Selim.
  • Ouais… fit Sky, timide de ses grandes exclamations. Elle aime bien gagner.

Cela se ressentait dans l’énergie avec laquelle elle doublait chaque joueuse. Alors qu’elle se rapprochait du goal, extatique, une crosse bloqua la balle. Elle vit le diable en personne. Kimi, ivre de victoire, se consumer sous ses yeux, les siens envoûtés par sa future défaite. Elle lui avait volé la balle. Jena plongea sur ses côtes, et l’empêcha de prendre de l’avance sur le terrain.

  • T’es douée pour une nulle, lui lança cette dernière, un sourire narquois aux lèvres. Hop là ! Et voilà !
  • Et t’es douée…

Rapidement, Kimi lui bloqua le passage.

  • Pour une bourge.

S'ensuivit un combat de crosse sans fin, les claquements féroces entre les deux poussa les autres filles à prendre de la distance. Les garçons suivirent l’affrontement avec intérêt, en haleine. Sky avait les mains agrippées à ses cuisses, la respiration courte de voir d’un côté, sa petite amie se donner corps et âme pour gagner, et de l’autre, Kimi, se déchirer dans le même but.

  • C’est un peu excitant, tu trouves pas ? lui chuchota Loyd, aussi fourbe qu’à son habitude.
  • Tu… ! La ferme, Loyd. T’es pas sérieux.

Ça l'était, en réalité.

Car il n’avait aucune idée de qui triompherait. Chacune au crochet de l’autre, cela parut interminable, jusqu’à ce que Kimi dérive la balle à droite vers une fille, qui la renvoya à gauche vers une autre, qui elle-même s’empressa de lui passer à nouveau, pour qu’elle marque tout droit, sans une once d’hésitation, entre les jambes de la gardienne. Le coup de sifflet marqua la fin du match et les hurlements des gagnantes arrachèrent des plaintes aux perdantes.

  • Trop forte ! s’en alla Laure qui fonça dans les bras de Kimi.
  • Tu as tout déchiré, l’appuya Nice.

Les filles de l’équipe sautaient de joie ensemble quand Jena montra le bout de son nez et présenta son poing à Kimi :

  • Bien joué !

Étonnée, elle répondit en y collant le sien, instinctivement.

  • Mais la prochaine fois ! C’est moi qui gagnerai !

En la voyant sautiller vers les garçons, irradiant de joie, elle sentit sa poitrine se compresser. Même si elle avait perdu, Jena souriait en racontant dans de grands gestes ce à quoi ils avaient déjà assisté. Kimi la vit se laisser tomber sur les genoux de Sky, qui rigolait à pleine dent, en la gardant contre lui.

À quoi servait une victoire, si c’était pour se sentir aussi mal par la suite ? Terrassée par le sentiment qui la traversait, Kimi eut l’impression d’être la pire personne au monde, alors que subtilement, du coin de l'œil, sa concurrente l'observait.

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