Chapitre 22 : La fougue d'Allan Praats - Part 2.

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Un éclat de voix fit sursauter toutes les personnes présentes sur la cour Napoléon. Au pied de la pyramide, et accroupi, Billy tenait fermement son tibia. L’injure entre ses dents étonna, mais ses traits serrés démontrèrent une telle douleur qu’il fut rapidement plaint par l’ensemble.

La star révéla bientôt un regard noir qu’il affligea au garçon en face de lui. Celui-ci, droit comme un piquet, lui balança un doigt d’honneur.

***

Paris connaissait une effervescence, ce matin-là. Tous les Parisiens en avaient entendu parler : Billy Makes s’était installé à la capitale et jouait dans un film, tourné notamment en ces quelques lieux phares. Les médias s’étaient empressés de révéler les précieuses informations. Cette fois, le tournage se déroulerait au musée du Louvre et plus précisément au contact du superbe monument qui ornait le centre de la cour Napoléon.

Allan Praats n’avait pas fait exception à la règle. Face au téléviseur, il comprit que c’était le moment d’agir. Le chanteur ayant quitté son appartement quelques semaines plus tôt, sa curiosité d’enfant l’avait dévorée. Sa mère ne cessait d’éviter le sujet. Elle lui cachait forcément quelque chose. Quant à la réaction de ses copains de classe, elle l’encouragea à leur prouver qu’il n’était pas un menteur.

La nouvelle l’excita autant qu’un bon jeu vidéo, à l’instar des fans qui prévoyaient de se rendre en masse sur le lieu. C’était inévitable. Tandis que la présentatrice appuyait sur les mesures de sécurité mises en place, Allan estima que cette chance ne se reproduirait pas une deuxième fois. ll devait aller à sa rencontre.

Mais comment ?

Son plan était prêt depuis déjà au moins une semaine. Celui-ci débuta à la sortie de l’école primaire, un peu avant midi. C’était un mercredi, et devant le bâtiment, cartable sur le dos, il s’impatienta. Il en oublia le vent glacé qui passait sous son nez déjà rougi. De nature calme, bien que jouette, il était rare qu’Allan s’agite autant. Mais il avait de grandes motivations, et celles-ci ne se limitaient pas à couper le sifflet à ses prétendus amis.

Avec la liasse qu’il avait subtilisée à sa mère, et par ailleurs, dissimulée dans son sac à dos, il eut l’impression de pouvoir s’envoler à l’autre bout du monde. Heureusement, son voyage ne serait pas aussi long, car il n’avait pas encore conscience que l’ensemble de ses billets verts disparaîtrait bientôt.

Il constata le retard de sa professeure en remontant sa montre à hauteur de ses yeux dont la couleur claire rappelait les noisettes. Celles qui ornaient les arbres sur le trottoir d’en face étaient déjà tombées. Il était midi moins le quart. Elle avait quinze minutes de retard. En temps normal, c’est lui que l’on pressait. Allan comprit aussitôt ce que cela faisait d’attendre quelqu’un impatiemment.

Si bien que lorsque la maîtresse apparut en hâte, il la suivit d’un pied égal jusqu’à sa voiture. Le deuxième point de son plan était donc en train de se dérouler sans accroc. Le plus simple également, c’est-à-dire : rentrer chez lui.

  • À demain, M’dame !

D’un signe, Allan attendit que la dame disparaisse pour changer de trottoir. Au lieu de rentrer à l’appartement, il se dirigea vers un arrêt de bus. Celui-ci n’était pas loin, sur une place où de jeunes gens descendaient des longs véhicules bleus, les mains attachées à leurs téléphones malgré le froid de canard.

Allan n’en possédait pas.

Il en recevrait un pour son anniversaire, au printemps, avant d’entrer à l’école secondaire. En attendant, il dut se débrouiller avec les quelques connaissances qu’il avait récoltées auprès de sa mère. Puisqu’il passerait bientôt chez les “grands”, il lui avait demandé de lui expliquer le fonctionnement des bus. Cette dernière s’était fait une joie de lui renseigner quelles lignes il devrait emprunter pour aller à l’école, mais encore, pour la rejoindre à son atelier. C’était là-bas qu’il allait. Ensuite, il prendrait un taxi, qui lui oterait tout l'argent qu'il avait volé.

***

Ce fut avec un étonnant stoïcisme qu’Allan attendit le transport en commun. Assis sous un abri, le menton enfoncé dans son écharpe, il bouillonnait pourtant de l’intérieur à l’idée de confronter Billy. Les scénarios se bousculaient dans sa tête, de comment il le prendrait au dépourvu. Tellement, qu’il monta machinalement dans le bus quand celui-ci se gara, et oublia de préciser sa destination au conducteur.

  • Où vas-tu, gamin ? lui avait demandé celui-ci en le détaillant.
  • À la gare, monsieur…

L’innocence sur son visage joua en sa faveur.

  • Quelle gare ? Est-ce que tu sais où tu te rends ?
  • Oui ! Montparnasse ! Je rejoins ma maman, répondit-il, tout sourire.

Cette joie de vivre charma le chauffeur qui garda un œil sur lui tout le long du trajet. Allan s’était installé à une place à l’avant, côté fenêtre, afin de bien voir la route. Un malaise le gagna. C’était la première fois qu’il prenait le bus seul. Cela lui donna l’impression de partir dans un autre pays, alors qu’il ne voyageait que d’un point à l’autre de la ville.

Il songea ensuite à son aventure. Que se passerait-il si en arrivant à la pyramide, il ne trouvait pas Billy ? Allan secoua sa tête blonde afin de récupérer sa motivation. Il ne devait pas lâcher le morceau, et ce, pour plusieurs raisons.

En effet, face aux railleries de ses camarades, Allan Praats ne s’était pas découragé. Au contraire, une fougue s’était emparée de lui dès l’instant où on l’avait traité de menteur. Ce fut ainsi qu’il se lança à la recherche de preuves pour démontrer que Billy Makes était bel et bien venu chez lui. Sa mère pratiquant le jeu du roi du silence, il avait entrepris de fouiller dans ses affaires. Il tomba alors sur sa réserve d’argent. Cette trouvaille le poussa à l’épier, le moindre de ses mouvements, et depuis que le chanteur était passé, un nouveau rituel l’accompagnait :

Chaque soir, Alicia s’installait devant l’ordinateur familial. À force d’espionnage, Allan comprit qu’elle regardait toujours la même vidéo. Quelques fois, en boucle. Il devint avide de la découvrir. Davantage, quand en feignant d’avoir soif pour se relever de la nuit, elle coupait la page internet à son approche.

Il dut alors attendre l’occasion parfaite, et celle-ci se présenta un soir où sa mère s’était endormie dans la chaise à roulettes. Elle n’avait pas jugé nécessaire d’éteindre l’ordinateur en allant contempler quelques secondes son fils qui dormait “à poings fermés”. Quand elle eut rejoint son lit, Allan défit sa couverture d’un grand mouvement et s’empressa de s’installer devant l’écran. En bon gamer, son premier réflexe fut de consulter l’historique, et il trouva ce qu’il cherchait désespérément : un lien vers Youtube, vers un clip de Billy Makes. Pas de doutes, ce dernier n’était pas passé pour rien à l’appartement !

En cliquant sur play, la musique s’écria sans prévenir. Paniqué, Allan brancha les écouteurs présents sur le côté et baissa ensuite le volume. Le cœur palpitant, il jeta un coup d'œil en arrière. Il n’y avait aucun bruit. Elle dormait.

Avec le même rythme cardiaque, il attrapa les oreillettes pour découvrir la vidéo. Celle-ci commençait par un plan de Billy Makes au milieu du désert, puis en ville, où il rencontrait une fille. Une fille blonde, et qui ressemblait à sa mère, qui dansait sauvagement sur le sable. Une vague de froid, puis de chaleur, le traversa. Allan était un enfant, et souvent, on lui avait répété qu’il avait une imagination débordante. Mais en voyant cette fille, il en devint certain. Si elle n’était pas sa sœur, elle appartenait au moins à sa famille.

***

Une courte pause déjeuner permit à Billy de se réchauffer grâce à une soupe fumante. Il recevait quelques retouches à son maquillage quand il constata la foule présente pour le voir jouer sa scène. Cela lui donna le trac. Après tout, il s’agissait de son premier film. Mais il était impossible d’empêcher les fans de venir en masse, malgré le périmètre délimité.

Ce fut à contre cœur qu’il quitta le plaid qui l’entourait pour se présenter sous les feux des projecteurs. Dans un cuir, et avec ses cheveux rebelles, il rendit les filles complétement gaga. Les flashs le capturaient, ainsi que son rôle de jeune canaille. Il jouait l’antagoniste et la mince couche de vêtement que portait celui-ci donnait du fil à retordre à la star.

Il ne laissa pourtant rien apparaître pendant qu’il saluait ses fans, accompagné de ses gardes du corps. Au plus il s’approcherait, au plus ils se concentreraient sur lui. Pour autant qu’il les respectait, Billy avait accepté de se prêter au jeu.

Tout ce cinéma était une diversion afin de permettre à l’équipe de sécurité de faire rentrer les figurants par un autre côté. Ceux-ci, bien rangés, furent pressés de rentrer lorsqu’ils virent les fans courir dans leur direction. La sécurité s’activa pour calmer la cohue. En bout de fil, un garçon interpella l’une des figurantes en glissant sa main dans la sienne. La jeune femme, d’abord surprise et agacée par ce désordre, tomba pour le regard de ce gamin.

  • J’ai perdu ma maman…
  • Oh, chéri… Est-ce qu’elle est parmi nous ?
  • Oui, là bas…
  • Ne t’inquiète pas, je te tiens. Allons la retrouver, dit-elle en suivant le troupeau.

La scène nécessitait que les figurants s’éparpillent sur la cour et que la file vers le Louvre, au pied de la pyramide, soit recréée, et ce, en compagnie des acteurs qui jouaient une bande d’ados en sortie de classe.

  • Vous ! Mettez-vous dans la file ! s’écria un caméraman.
  • Excusez-moi, se lança la dame qui avait hérité d’un gosse sous le bras. Cet enfant a…
  • Nous sommes pressés ! Installez-vous auprès des acteurs. Ça rendra bien, marmonna-t-il ensuite entre ses dents, puis en se volatilisant.
  • Quel salaud… Ha ! Ne répète surtout pas ça ! s’exclama la dame envers le garçon qui maintenait son bras. Est-ce que tu vois ta mère ?
  • Non…

Cela lui fendit le cœur de le voir aussi attristé.

  • Nous la retrouverons ensuite, je te le promets.

Main dans la main, ceux qui ressemblaient à une mère et un fils, exécutèrent les ordres de l’équipe de tournage. Ils se placèrent juste derrière le groupe d’adolescents où Billy vint se joindre. Le réalisateur demanda le silence et envoya le signal de départ. La scène pouvait commencer, les caméramen enclins à capturer les meilleurs plans. Ils se déplaçaient avec fluidité jusqu’à la star principale du film.

Le jeune homme aux cheveux noirs n’était pas aussi connu que Billy, mais il excellait dans le cinéma. C’était un acteur en devenir, et il flirtait joyeusement avec l’héroïne du casting. La scène tout à fait banal s’apprêtait à se transformer en péripétie cauchemardesque. Derrière eux, Billy laissa entendre un rire moqueur. Cela amena les garçons dans un face-à-face.

  • Qu’est-ce que tu y connais toi, à l’art ? lui envoya le héros, Arthur.
  • Ce que je sais, c’est que ta gueule est aussi peu convaincante que l’art moderne.

La remarque cinglante les amena à se bousculer. La fille s’intercala. L’antagoniste l’aimait, mais n’avait aucune idée de comment lui exprimer d’autres que par la méchanceté. Il devint vert de jalousie quand elle défendit son camarade.

  • Tu dépasses les bornes, Maël !

Ce dernier fit un mouvement brusque qui frôla sa joue alors qu’elle avait eu le réflexe de se reculer. Elle finit dans les bras d’Arthur. Les deux adolescents le regardèrent scandalisés, tout comme les personnes dans la file.

C’était à ce moment que leur professeur devait les remettre à leur place :

  • He !

Billy se retourna, prêt à provoquer l’homme en question, mais il fut contraint d’abaisser le regard. En face de lui, un garçon blond. Ses yeux s’écarquillèrent de surprise quand il le reconnut. Il avait quitté les rangs, et sa “mère” s’affola. L’équipe de tournage s’arracha les cheveux en anticipant le geste du gamin. En effet, ce dernier lui flanqua un coup de pied dans le tibia.

  • Prends ça, sale type !!

Et il lui envoya un doigt d'honneur lourdement pesé.

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